Des ghazals, de l’amour et du vin

En ces temps-là, il était possible de célébrer à la fois Dieu, l’amour et le vin. Au tout début du 14e siècle, le poète perse Hâfez, commençait l’un de ses ghazals (poèmes) ainsi, à la fin du Ramadan: « Allah Akbar! Je te rends grâce, la maison du vin est rouverte! Elle m’attire, elle m’attend, et y venir est une fête. » De nos jours on aurait des ennuis pour moins que ça. Mais il faut dire aussi qu’à l’époque, les pouvoirs étaient intermittents et à des seigneurs fêtards, épris d’ivresse et de beauté, pouvaient aussi succéder des doctrinaires, auprès desquels il valait mieux filer doux. Une fin de règne se payait cher, enfermé dans un sac puis broyé par les sabots des chevaux du vainqueur ou avoir les yeux crevés avant d’être exécuté au pied d’une pyramide de crânes de vaincus. Ce qui fait que dans les périodes sombres, Hâfez trouvait moyen dans la poésie, de tromper les censeurs et des les égarer dans les rimes. Il pouvait évoquer l’amour pour les filles ou les garçons sans que cela soit suffisamment clair. Allant de grâces en disgrâces, il fit en tout cas son chemin jusqu’à dépasser soixante ans et c’est ce que racontait Pierre Seghers en 1978 dans un magnifique volume qui vient d’être réédité dans la maison du même nom. Continuer la lecture

Publié dans Livres, Poésie | Un commentaire

L’esprit basque ouvre l’appétit

Aux Soirées de Paris nous aimons bien traiter les centenaires et il n’y avait donc pas de raison pour que l’on évite celui du musée Basque de Bayonne. Le bâtiment n’en est pas à une étape près depuis ses débuts il y a près de quatre siècles. D’abord maison de négociant, il porte encore le nom de son premier propriétaire: Dagourette. Bâti, rebâti, modifié à maintes reprises, l’ensemble porte en mémoire dans ses fondations et matériaux d’origine, ses différentes fonctions, ne cessant pour autant de se mirer dans la rivière Nive, pile à l’endroit où celle-ci va se mêler à l’Adour avant de rejoindre l’océan. Sur l’un de ses flancs, la maison, du temps où elle était hôpital, disposait d’une tour d’abandon, dispositif qui permettait de déposer discrètement un bébé trouvé ou non désiré. Système que l’on trouve encore dans le monde. En attendant elle est devenue musée avec, du sol au sommet, plusieurs étages concentrant cet esprit basque dont l’origine et la langue remontent à des temps fort lointains. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 2 commentaires

Nouvelles musicales

Deux événements bien différents occupent le milieu de la musique classique ces derniers temps. Le premier a fait l’effet d’une bombe, tellement il est inhabituel de voir un tel article dans Le Canard Enchaîné. Dans son édition du 22 mai dernier, l’hebdomadaire satirique dénonce l’acharnement sexuel contre certaines musiciennes et musiciens de l’un des chefs d’orchestre français les plus connus et appréciés dans le monde nommé François-Xavier Roth, surnommé « FX » (52 ans). Il ne s’agit pas seulement d’un article, mais d’une véritable enquête à charge, qui s’ouvre par les multiples titres de l’homme incriminé: il a fondé l’orchestre des Siècles en 2003, pour jouer tous les répertoires et adapter ses formations au programme choisi (instruments anciens pour le baroque, modernes pour le reste). Artiste associé à la Philharmonie de Paris, il a remporté une Victoire de la musique en 2018 et repris l’Atelier lyrique de Tourcoing (quatre siècles de musique) la même année, tout en cumulant d’autres honneurs auprès du fameux London Symphony Orchestra (LSO) ou à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Cologne.
Continuer la lecture

Publié dans Musique | 4 commentaires

La narine de Dieu

Le mois dernier, l’indiscret télescope James Webb en suspension dans l’espace lointain, a détecté une collision censée s’être produite 740 millions d’années après la naissance de l’univers, soit très longtemps avant le percement de l’avenue de Rivoli, également riche en incidents de circulation. Et comme tout le monde désormais, que cela se passe à 1,5 million de kilomètres ou dans l’axe Concorde-Châtelet, le télescope prend des photos. Sauf que celles que nous postons sur Internet plongent très peu dans le passé alors qu’en millions d’années, sapristi quel cliché. Quand Nicolas Copernic, à 24 ans, repéra l’occultation de l’étoile Aldébaran par la Lune, le 9 mars 1497, c’était déjà un exploit. Mais au rythme où vont les choses, l’œil perçant de nos jumelles de théâtre bodybuildées crèvera encore d’autres mystères et, d’années-lumières en années-lumières qui sait, il surprendra peut-être un jour la narine de Dieu, au moment pile où il s’apprêtait, le doigt dans son orifice nasal, à faire sauter le bouchon du big bang. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 2 commentaires

Du papier et une contrebasse pour raconter Camille Claudel

“Du rêve que fut ma vie”, tel est le titre du spectacle conçu par la compagnie Les Anges au Plafond sur la sculptrice Camille Claudel (1864-1943). “Du rêve que fut ma vie”, la première partie s’entend, la seconde ayant été, comme chacun sait, celui d’une recluse dans un asile d’aliénés, cachée et oubliée de tous. Camille Claudel, c’est un talent fou et trente années de création passionnée suivies de trente autres en réclusion forcée, sans plus sculpter. Une femme empêchée dans sa vie et dans son art. Mais il serait réducteur de la présenter à l’aune de ce destin tragique. Pour raconter cette créatrice de génie, Les Anges au Plafond sont partis de la correspondance de l’artiste et ont utilisé leur matériau de prédilection, le papier. Sous les mains expertes d’une comédienne-marionnettiste, la feuille se transforme, comme jadis la glaise sous celles de Camille Claudel… Continuer la lecture

Publié dans Spectacle, Théâtre | Un commentaire

Blanquette aux abois

De la chèvre de monsieur Seguin, l’on se souvient surtout du début et de la fin. Et moins du milieu car Blanquette tout à sa joie de gambader dans un environnement champêtre et montagnard parmi mille friandises à brouter, rencontra, avant le contact fatal, un groupe de chamois qui s’empressèrent de lui faire du charme. Tellement la gaieté la rendait attirante, surtout avec sa belle paire de cornes. Il y eut une compétition emportée par l’un des jeunes chamois à pelage noir, lequel l’emmena parmi à l’écart en frôlant les grands campanules bleues et les « digitales de pourpre à longs calices » dont elle avait savouré les sucs subtils peu avant. Grand séducteur lui-même, Alphonse Daudet (image ci-dessus) ne se lança pas dans la description charnelle de la suite. Et se contenta d’inviter le lecteur curieux à demander les détails aux « sources bavardes qui courent invisibles sous la mousse ». Les générations d’enfants ayant lu ou écouté cette histoire courte, cet apologue, se souvenaient davantage de la nuit qui tomba, des yeux brillants du loup, de ses oreilles courtes, passant tout à sa convoitise « sa grosse langue rouge sur ses babines d’amadou ». Continuer la lecture

Publié dans Livres | Un commentaire

Clavecins pour gigues et sarabandes

Wanda Landowska, avait décidé d’aller au-delà de la partition, de creuser un peu la profondeur, afin de mieux comprendre sa passion pour Bach. Elle s’y était mise en arrivant à Paris en 1900 alors qu’elle avait 21 ans (1879-1959) et déjà une réputation de pianiste qui passait les frontières. Jusqu’à finir par réaliser après nombres de visites de musées, de lectures de documents, que les œuvres de Bach pour clavier se devaient d’être « jouées sur l’instrument pour lequel elles avaient été composées ». Elle se mit donc à la recherche d’un clavecin sans en trouver un de satisfaisant. Elle se souvenait avoir joué une suite au clavecin avec le pianiste et organiste Gabriel Fauré (1845-1924) assise à côté d’elle mais la frustration persistait.
Continuer la lecture

Publié dans Musique | Commentaires fermés sur Clavecins pour gigues et sarabandes

Cinquantenaire de l’élection d’une particule

Ce 19 mai 1974, à 20 heures, seul devant son téléviseur, Valéry Giscard d’Estaing savourait son élection à la présidence de la République. Encore pour peu de temps ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement Messmer, il occupait un appartement de fonction dans le pavillon Turgot du palais du Louvre. Sous les ors de ce décor Napoléon III, il se sentait assurément plus d’Estaing que Giscard. Et pour cela, grâces soient rendues à son père Edmond, qui avait su procurer un nom prestigieux à sa lignée. En quelques clics sur le mulot, il est possible de retracer cette belle aventure. Tout d’abord, un petit point de droit: selon l’article 61 du code civil, « toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom ». Ceci, par égard pour les dénommés Bitodeau, Connard, Zbyniewskipetrovitchi ou Landru, échappant ainsi aux quolibets. La disposition permet également de « relever un nom en voie d’extinction », c’est-à-dire de l’adopter pour l’empêcher de disparaître. Ce, par la validation du Conseil d’État. L’institution n’est pas très sourcilleuse quant à l’intérêt légitime. Elle dispense, en outre, de la nécessité d’un lien direct avec le patronyme espéré. Il est possible de remonter jusqu’à « un ascendant collatéral du demandeur au quatrième degré ». Sauf, bien sûr, opposition d’un tiers habilité. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique, Politique | Un commentaire

L’oublié de Prague

Ce n’était pas forcément une bonne idée. En tout cas, l’information et la requête qui l’accompagnait avaient tout du cadeau empoisonné. J’avais cru bon de signaler à mon ami, en partance pour un week-end à Prague, qu’il y trouverait une curiosité ignorée des milliers de touristes envahissant la ville. Je savais mon ami sensible à la poésie; cette curiosité n’était autre qu’un buste d’Apollinaire (photo) que les Praguois, très admiratifs, ont érigé dans leur ville il y a une douzaine d’années pour y commémorer la venue du poète en 1902. Ce séjour avait été à l’origine du célèbre conte « Le Passant de Prague », publié d’abord dans La Revue Blanche deux mois seulement après la visite, puis en 1910 dans « L’Hérésiarque & Compagnie ». On connaît les circonstances de ce voyage. Engagé comme précepteur de la fille d’une vicomtesse en Rhénanie, Guillaume, alors âgé de 21 ans, avait mis à profit ce séjour pour découvrir les régions avoisinantes.
Continuer la lecture

Publié dans Apollinaire | 2 commentaires

Les Possédés d’Illfurth ou la puissance salvatrice du théâtre

Le Munstrum Théâtre ne cesse d’avoir le vent en poupe. Et c’est bien normal, compte tenu du talent et de l’originalité de cette compagnie, déjà mentionnée dans Les Soirées de Paris (1). L’Académie des Molières ne s’y est pas trompée en lui décernant cette année deux récompenses, le Molière du Théâtre Public pour son spectacle “40° sous zéro” (d’après Copi) et celui de la Mise en scène dans un spectacle de Théâtre public pour son metteur en scène Louis Arène, co-fondateur, avec Lionel Lingelser, du Munstrum Théâtre. Pas moins de trois spectacles de la compagnie étaient cette saison à l’affiche du Théâtre du Rond-Point. “Les Possédés d’Illfurth”, le dernier en date, s’avère là encore une véritable claque artistique. Dans un solo époustouflant, Lionel Lingelser mêle le récit d’une légende à celui d’une fêlure plus intime, et livre un flamboyant hommage à l’art théâtral. Continuer la lecture

Publié dans Théâtre | Commentaires fermés sur Les Possédés d’Illfurth ou la puissance salvatrice du théâtre