Aux bons soins du docteur Beauvillard

La seule page cornée à l’intérieur de cette édition (moisie) du « Médecin des pauvres », figure à la rubrique apoplexie. La personne touchée par ce qui bien souvent se termine par un décès, a-t-elle eu le temps en attendant le médecin et selon les recommandations du livre, de prendre un bain de pieds au vinaigre additionné de cendres ou de moutarde? Le bon docteur Beauvillard ajoutait que si l’homme de science tardait trop à venir, il convenait alors de disposer des sangsues sur l’anus du désespéré. Mais surtout, concluait-il à l’adresse des anxieux, s’ils ne voulaient pas qu’un tel désagrément se produise, le mieux était de boire régulièrement de l’infusion de salsepareille ou du thé des Chartreux. Produits que l’on pouvait commander dans son établissement médical qui se trouvait non loin de la gare de Lyon à Paris. Ses conseils lui étaient donc, en dépit de ses revendications humanistes, au premier chef profitables. Sans compter que dans cette édition de 1919, soit deux ans après l’achèvement de ce bréviaire des indigents, se trouvait une seconde partie bien plus amusante. Continuer la lecture

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Les cosaques zaporogues terminent leur séjour parisien

Leur présence au sein de « La Chanson du Mal aimé » avait indisposé Paul Léautaud. Le critique du Mercure de France était, on le sait, le dédicataire du célèbre poème d’Apollinaire. C’est d’ailleurs lui qui en avait permis la première publication dans sa revue le 1er mai 1909, entre un article sur le compositeur et écrivain Ernest Reyer, et un autre sur le statut des fonctionnaires. Quelques années plus tard, lorsque le même Léautaud découvrit la version augmentée parue dans Alcools, il ne cacha pas sa déception. Ce n’était pas l’absence de ponctuation, délibérément choisie pour toutes les pièces du recueil, qu’il regrettait, mais le rajout de nouveaux chapitres. L’irruption de cosaques zaporogues au cœur de ce long poème de 300 vers lui parut inutile et déplacée (Apollinaire a «bien abîmé» le poème originel, écrira-t-il plus tard dans son journal littéraire). Quoi qu’il en soit, il faut croire qu’Apollinaire avait été suffisamment captivé par cette histoire pour qu’il décide de l’intégrer à la «Chanson». Continuer la lecture

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Eva Jospin ou l’art du carton

Sa signature est le carton, son univers, la nature. Une nature fantastique, onirique, source de poésie. Eva Jospin, artiste plasticienne née en 1975, investit jusqu’au 20 mars le Musée de la Chasse et de la Nature avec ses merveilleuses créations de carton. Une œuvre en particulier est au cœur de cette exposition, à laquelle elle donne son nom : “Galleria”. Réalisée spécialement pour l’occasion, il s’agit d’une spectaculaire structure architecturale, aux dimensions monumentales, qui elle-même contient d’autres œuvres dans lesquelles l’artiste magnifie le carton comme jamais et rejoue un certain nombre de thèmes qu’elle travaille par ailleurs : le dessin, la broderie, le fil de laiton… Dans les étages, ses fabuleuses constructions imaginaires, ainsi que les réalisations de ses artistes invités, s’inscrivent à bon escient dans le parcours de ce musée si singulier (1), jouant harmonieusement des correspondances. Continuer la lecture

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Phénoménale Barbara

Quel extraordinaire personnage ! Quelle musicienne ! Quelle bête de scène ! Quelle chance que cette Canadienne ait abordé aux rives de la Seine depuis quelques années ! Quel flair, de la part de Radio France, d’en avoir fait une artiste en résidence en 2021 et 2022 ! Chacune de ses apparitions déchaîne les applaudissements, et le public en rajoute du début à la fin, il ne veut pas qu’elle le quitte et que l’apparition se dissipe. Que leur importe tous les virus du monde, une pluie torrentielle et un vent dangereux, comme samedi dernier, le 8 janvier, les fans se précipitent à la Maison Ronde quand les uns et les autres restent peureusement chez eux. Il suffit qu’elle surgisse des coulisses de son pas décidé et qu’elle prenne place sur le podium pour que le charme de Barbara Hannigan opère, car on n’a jamais vu une cheffe ou une cantatrice comme elle à l’engagement dramatique exceptionnel (voir mes articles du 16 octobre 2017 et du 4 juin 2020) : une longue chevelure blond clair juvénile, de longues jambes prises dans un pantalon moulant, une longue chemise blanche manches relevées, de hautes bottines noires, des bras interminables, une souplesse de danseuse de tout le corps accompagnant les larges gestes des bras, pas de baguette. Elle est un spectacle à elle toute seule, elle est la Femme, elle est la Musique, elle est la Danse. On se demande comment les musiciens du Philharmonique s’y retrouvent avec une maestra aussi imprévue, mais ils semblent fascinés eux aussi. Continuer la lecture

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Journalistics

Le journaliste causant dans le poste a souvent la langue chargée. Chargée de poncifs, de pléonasmes, de catachrèses, de barbarismes, de métaphores et autres épitopes. Sans compter moults américanismes, pandémie contre laquelle il n’est pas de traitement. Il dit opportunité pour occasion, initier pour commencer, supporter pour soutenir, revisiter pour revoir, finaliser pour conclure, et, last but not the least, solutionner pour résoudre. Pour lui, circonlocution se prononce circonvolution. Son vocabulaire se pare d’anciens vocables, escarcelle, giron, férule, fief, houlette, manne (qu’il lui arrive de confondre avec mânes), viatique, dont il peut ignorer le sens originel. Ce qui n’a d’ailleurs aucune importance, puisqu’il les emploie volontiers à contretemps : les espèces sont sonnantes et trébuchantes, même comptabilisées en billets verts. Il serait, notamment, fort surpris d’apprendre que cette sellette, sur laquelle il place tant de gens ou d’institutions, était un siège instable, ou, selon la procédure pénale de l’Ancien régime, le prévenu était placé, lors d’un interrogatoire, afin de lui faire perdre sa dignité. (On a cessé de l’utiliser par le décret des 8 et 9 octobre 1789). Continuer la lecture

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Dernière station avant l’autoroute

Ils y pénètrent avec ce qui leur reste de lucidité. Et ils n’en sortent que les pieds devant, le corps froid, emballés dans une housse. La maison de retraite est bien le dernier endroit où l’on a envie de se rendre. C’est le dernier palier, l’ultime étape, la dernière station avant l’autoroute. Sauf pour ceux qui y travaillent, sauf pour les visiteurs, l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) signe la fin du parcours terrestre, pour ceux que l’on appelle les résidents. Exception à la règle, le Collectif 2222, a séjourné dans l’un de ces établissements afin d’en faire un spectacle intitulé « Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ». Des comédiens de plusieurs nationalités, tous issus de l’École Internationale de Théâtre Jacques Lecoq, ont été durant huit semaines, des résidents expérimentaux auprès des confinés permanents que sont les vieux. Ils ont su éviter toutes les caricatures que l’on aurait pu craindre comme le misérabilisme ou la maltraitance. Au contraire, ils ont tiré sur les ficelles de l’humour, de l’humanité et pour tout dire du cœur. Continuer la lecture

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Baudelaire, le spleen pour aider à vivre

Si l’on devait juger de l’importance d’un écrivain au nombre de publications qui lui sont consacrées, il est probable que Baudelaire arriverait en tête, sans doute aux côtés d’Arthur Rimbaud et peut-être de Proust (Apollinaire n’est pas mal placé non plus). La consultation des fonds universitaires en France mais aussi à l’étranger, notamment aux États-Unis, aboutit à une énorme bibliographie. Cette surabondance témoigne d’un intérêt qui ne s’est jamais démenti. À preuve aussi le nombre relativement important d’expositions sur la vie et l’œuvre du poète critique d’art. Baudelaire est un sujet chéri des conservateurs de musées et des directeurs de bibliothèques. C’était le cas il y a quelques années ans au Musée de la Vie romantique de Paris (Les Soirées de Paris du 17 janvier 2017). Toujours à Paris, pour quelques semaines encore, Baudelaire est la star de la Bibliothèque nationale qui célèbre le bicentenaire de sa naissance (Paris, 8 avril 1821). Continuer la lecture

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Oedipe enfin innocenté

Pierre Bayard est un phénomène unique dans la littérature française : ayant la double casquette de professeur de littérature (Université Paris 8) et de psychanalyste, il fait dialoguer comme personne ces deux disciplines de la façon la plus réjouissante. Tous ses livres (une vingtaine) sont publiés aux Éditions de Minuit, et certains, dont «Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?» ou «Comment parler des lieux où l’on n’a pas été », ont connu un succès mondial. Comme quoi on peut être à la fois sérieux et facétieux, comme il l’a démontré dans sa fameuse série de «critique policière» comprenant «Qui a tué Roger Ackroyd ?», «Enquête sur Hamlet», «L’Affaire du chien des Baskerville», et «La Vérité sur «Ils étaient dix». Les amoureux d’Agatha Christie, de Shakespeare et d’Arthur Conan Doyle y reconnaîtront les leurs… car Bayard s’amuse beaucoup à reprendre l’enquête à leur place et à démontrer qu’ils se sont trompés de coupable (voir mon article du 11.1.2017). Continuer la lecture

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Ces artistes au berceau du fascisme italien

Ceux qui croient voir le fascisme émerger partout en France seraient bien inspirés de se procurer le dernier numéro-collection de L’Histoire. Principalement rédigé par des universitaires, ce mook (fusion de magazine et de livre) revient fort opportunément aux sources, c’est-à-dire en Italie, là où le fascisme (fascismo) et le totalitarisme ont été inventés puis mis en pratique, il y a cent ans cette année. Sous un graphisme remarquable, la couverture symbolise la participation des artistes à ce funeste mouvement qui fit tant de dégâts (et de disciples) dans la péninsule et ailleurs. Cette œuvre signée Gerardo Dottori (1884-1977), représente Benito Mussolini en aviateur. La toile selon le journal, « couronnait un polyptyque pyramidal formé de cinq panneaux » représentant les idéaux d’alors, comme la guerre, la jeunesse, la révolution ou l’industrie. L’auteur appartenait à la mouvance futuriste et de l’aéropeinture laquelle exaltait notamment la vitesse et les armes en tant que vecteurs d’une certaine modernité. Il s’agissait, comme l’explique Lucia Piccioni (université de Florence)  d’abolir « le point de vue rationnel du spectateur pour mieux l’inclure dans une vision globalisante propre au projet totalitaire du fascisme ». On ne saurait être plus clair. Continuer la lecture

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Tuyau de poêle et toile à matelas

Le 1er janvier 1922, lorsque sa nouvelle édition s’afficha aux devantures des kiosques à journaux, l’almanach Vermot en était déjà à sa trente-septième année d’existence. La couverture de couleur rouge, qui n’avait jamais changé, l’indiquait clairement en gros caractères (moins importants cependant que ceux donnant le prix : 4 francs 75). C’est en effet en 1886 qu’un certain Joseph Vermot conçut ce nouvel almanach débordant de renseignements pratiques de toutes sortes et d’informations aussi incongrues qu’inutiles. Mais surtout, cet almanach de 400 pages affichait un nombre impressionnant de dessins humoristiques volontiers franchouillards, de blagues recueillies sans doute dans les cours de récréation et de faits-divers pas toujours vérifiés. Continuer la lecture

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