J’ai besoin d’un remorqueur

Ce n’est certes pas tous les jours, du moins sur la terre, que l’on a besoin d’un remorqueur. En mer c’est souvent urgent. Et justement,  il se trouve un pavillon pour l’exprimer dans le code international des signaux. C’est même le dernier des vingt-six pavillons, lequel arbore quatre couleurs codant pour  le « Z » de « zulu ». Comme il est assez question en ce moment de la dernière lettre de l’alphabet pour désigner par raccourci ou par pudeur un candidat à un grand jeu télévisé parodiant une élection présidentielle, il est amusant de chercher dans une bonne encyclopédie, les bons mots de cette section finale. Notamment et ce n’est peut-être pas un hasard, les termes moqueurs commençant par « Z », servant à désigner un individu. Par exemple lorsque Marcel Proust brocarde gentiment Madame de Réveillon, en disant d’elle qu’elle « est un bon zig et pas duchesse pour deux sous ». Il aurait pu dire cézigue voire bon zèbre, mais de sa part, c’était sans doute et déjà un effort de descendre à l’office chercher un mot dans le langage ordinaire. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 3 commentaires

Un merveilleux compagnon

Que faire lorsqu’on aborde sa dernière année de conférences au Collège de France après quarante-cinq années d’enseignement et après avoir été un écrivain célébré sur Montaigne, Baudelaire, Proust ou Pascal ? En exergue du livre présentant ses dernières leçons, Antoine Compagnon a placé quatre citations, dont une de J.M.G. Le Clézio et une d’Agatha Christie. Voici la première : «Être jeune, c’est un peu répugnant… J’aimerais avoir quatre-vingts ans. Avoir toute la vie derrière soi : là, on est vraiment libre…» (1963). La seconde : «Je suis comme la prima donna qui donne son spectacle d’adieu définitif ! Ce spectacle d’adieu, il se répète un nombre infini de fois !» Hercule Poirot dans «The ABC Murders» par Agatha Christie, 1936». Tant qu’à donner des conférences pour la dernière fois, autant empoigner le thème à bras le corps, celui de la fin de la vie, celui des dernières œuvres, de «la troisième manière» des artistes, celui de la vieillesse fertile. Comme le fait remarquer le conférencier, on a souvent parlé des œuvres ultimes des peintres ou des musiciens, mais beaucoup moins de celles des écrivains. Continuer la lecture

Publié dans Livres | 3 commentaires

Quand la Ford Vedette puisait dans la poésie et la peinture

D’après Jean Cocteau, l’original de cette lithographie ci-contre avait disparu. C’était un portrait de lui, exécuté par la peintre Marie Laurencin. Et comme la plupart du temps, on retrouvait une belle part d’elle-même dans le visage ainsi brossé et que Cocteau trouvait pourtant ressemblant. D’ailleurs il disait « que tout peintre exécute son propre portrait quoiqu’il imagine, que le modèle n’est que le prétexte à enrouler sa ligne secrète, et, qu’en fin de compte ce n’est pas le modèle que nous reconnaissons, mais le peintre ». Ces lignes comme la lithographie, ont été retrouvés dans un prospectus pour la marque Ford, à l’occasion du salon de l’automobile millésime 1951. Les commerciaux de Ford avaient en effet publié un riche publireportage pour vanter la marque et, afin de faire chic sans doute, ils avaient fait appel à Marie Laurencin, Jean Cocteau et même Baudelaire dont on pouvait se demander un peu ce qu’il fichait-là. Son poème « Ciel Brouillé » n’avait évidemment aucun rapport avec le monde la voiture, encore moins avec Ford. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 3 commentaires

Cartes en or

Le Palazzo Borromeo n’était en rien un quelconque tripot, mais on y jouait tout de même aux cartes. En témoigne une fresque (détail ci-contre) de la bâtisse en briques milanaise qui a pu franchir les vicissitudes des siècles. Une formidable exposition au Musée de la Carte à Jouer, nous explique en effet, que ces joueurs distingués, un peu extra-terrestres sur les bords, ont survécu tant bien que mal depuis 1445, à l’humidité, « un incendie, le percement d’ouvertures, des restaurations maladroites » et les bombardements de 1943. Les femmes portaient des houppelandes et les hommes, des chapeaux à larges bords. Cette expo sur les tarots enluminés de la Renaissance italienne et qui court jusqu’au 13 mars, mérite ô combien un crochet par Issy-les-Moulineaux, là où se trouve le musée. Les enluminures des cartes et plus globalement les couleurs des œuvres présentées, font scintiller les yeux par leurs délicats agencements tandis que les couleurs utilisées réchauffent notre plasma interne avec une sollicitude inattendue. Continuer la lecture

Publié dans Exposition | Commentaires fermés sur Cartes en or

Albi au cœur du pays de Cocagne

À une heure de train de Toulouse, le centre d’Albi, qui a gardé son caractère de gros bourg paisible, repose de la frénésie de la ville rose. Albi c’est un peu un retour dans le temps. En parcourant ses rues étroites et sinueuses, où survivent les vestiges des anciennes échoppes qui animaient son cœur marchand, on a l’impression de se promener dans un village médiéval. On flâne avec délice dans ce décor mêlant le champêtre et l’urbain et où les maisons à colombage en brique rouge et aux volets colorés se resserrent autour de petites places typiques. Au milieu de ce tableau, l’imposante cathédrale Sainte-Cécile surgit telle une forteresse, apte à défier le temps à tout jamais. Continuer la lecture

Publié dans Découverte | 6 commentaires

Première Dame

Depuis l’instauration de la IIIème République, les présidents ont accédé à la magistrature suprême en ayant contracté mariage. À l’exception de trois d’entre eux, Louis Napoléon Bonaparte, Gaston Doumergue et François Hollande. Leur épouse n’avait d’autre statut que celui résultant du livre I titre V du code civil. Et les attributions d’une maîtresse de maison bourgeoise. Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, elles n’ont guère laissé de souvenirs. À part, peut être, Jeanne Fallières, abondamment raillée par les chansonniers, pour ses naïvetés et ses bourdes. Marguerite Lebrun se trouve la première dénommée «première dame»… en 1936, au cours d’une visite d’État aux USA. Transposition journalistique du «first lady» désignant Eleanor Roosevelt. Effectivement, depuis l’Indépendance, l’étiquette de la présidence de l’Union a prévu d’accoler ce titre à l’épouse du président. Mais cette qualité n’est pas exclusive. À plusieurs reprises, le président étant célibataire ou devenu veuf, on appela ainsi, selon le cas, sa nièce, sa bru, sa sœur. Voire même sa fille, lorsqu’en 2000, Hillary Clinton se présenta avec succès aux sénatoriales. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique, Politique | 3 commentaires

Gloire à Anna, Marianne et Edgar

Quel lyricomane ne se précipiterait-il pas sur le dernier CD d’Anna Netrebko, toujours star mondiale des sopranos ? Elle qui s’est permis de célébrer ses cinquante ans en septembre dernier à Moscou par un super gala, quand toutes les autres divas auraient soigneusement tenu cet anniversaire secret. Tel est le personnage, tout chez elle est un événement, ses apparitions sur scène comme les actualités qu’elle distille sur son site internet, sur lequel elle affiche tenues extravagantes et recettes de cuisine. Et voilà qu’en janvier dernier, aux dernières nouvelles, elle annonçait sur Instagram qu’excédée par les conditions de travail dues au coronavirus depuis deux ans, elle avait décidé de s’octroyer un congé sabbatique. La sphère lyrique tout entière en frémit… mais il faut dire que la vie de ces divas et divos ressemble à celles des grands athlètes, en plus dure même.
Anna a encore défié le monde lyrique en novembre dernier en Lady Macbeth de Verdi inaugurant la saison de la Scala en virevoltant longuement sur scène tout en faisant tournoyer ses longs voiles et admirer ses fort belles jambes (à voir sur Arte Concert jusqu’au 6.6.2022). Malheureusement, sa performance, le soir de la générale retransmise dans le monde entier, n’a pas été à la hauteur de nos attentes. Car même la Netrebko peut ne pas être en forme, ce qui est rare, mais demeure la dure loi de l’opéra. Continuer la lecture

Publié dans Musique | Un commentaire

Esprit-Madeleine Poquelin, fille de Molière

Esprit-Madeleine Poquelin (1665-1723) fut la seule enfant de Molière et d’Armande Béjart parvenue à l’âge adulte (1). De cette fille de Molière, nous ne savons pratiquement rien. Georges Forestier, dans sa biographie consacrée au comédien et dramaturge, indique qu’elle aurait passé son enfance dans une institution religieuse et qu’âgée de sept ans à la mort de son père, elle n’aurait quitté le couvent où elle avait grandi que “pour expier, par une vie chrétienne et austère, le métier “infâme” de ses parents dont elle ne voulait rien connaître.” Elle n’eut pas de descendance. Quel curieux destin que celui de la fille de Molière et quelle frustration de n’en rien savoir ! L’écrivain et critique littéraire italien Giovanni Macchia (1912-2001) décida, en 1975, de s’en emparer et de sortir ce personnage du silence qui l’entourait. À partir d’éléments extérieurs connus, il choisit d’en donner une libre interprétation, à travers la fiction d’une conversation avec des interlocuteurs imaginaires. La pensionnaire Danièle Lebrun est la merveilleuse interprète de ce monologue. Continuer la lecture

Publié dans Théâtre | Un commentaire

Le siècle du Chant profond

La ville andalouse de Grenade célébrera dans quelques mois le centième anniversaire d’une manifestation qui connut en son temps un très grand retentissement : le « Concurso de Cante Jondo» (concours de Chant profond). Destiné à réhabiliter les formes les plus nobles et les plus anciennes du chant flamenco, ce concours se déroula les 13 et 14 juin 1922 dans l’enceinte même de l’Alhambra. Il avait été initié par quelques grands noms de la vie culturelle et artistique de la péninsule, en particulier le compositeur Manuel de Falla, le peintre Ignacio Zuloaga et le poète Federico García Lorca. Tout juste âgé de 24 ans, ce dernier bénéficiait déjà d’une grande réputation dans le milieu littéraire. Né à une vingtaine de kilomètres de Grenade, il se passionnait pour les traditions et coutumes du peuple andalou, puisant aux sources populaires, et manifestant pour les paysans et les villageois un intérêt profond. Lorsque Manuel de Falla, âgé de 46 ans, lui fit part de son intention de réhabiliter le chant ancien, il ne pouvait que souscrire au projet. Continuer la lecture

Publié dans Musique | Un commentaire

L’Algérie de Depardon fusionne avec les mots de Kamel Daoud

Au terme de l’exposition des photos de Raymond Depardon sur l’Algérie, il est offert au visiteur un film inédit, tourné à l’Institut du Monde Arabe. Réalisé par Claudine Nougaret, ce court métrage présentant un entretien entre le photographe et l’écrivain Kamel Daoud (né en 1970 à Mostaganem) est un délice de simplicité et d’intelligence, combinaison fort rare par les temps qui courent. Les deux hommes ont, à eux deux, également réalisé un livre remarquable (ci-contre), copie étendue de l’exposition (mais sans le film), associant le point de vue d’un Français à celui d’un Algérien. Depardon est allé en Algérie en 1961, puis en 2019 avec cette idée en tête, sans compter un passage par la Suisse en face d’Évian, là où se sont signés les accords de 62. C’est pour le compte de l’agence Dalmas que le photographe s’est d’abord rendu très jeune à Alger, saisissant avec son objectif les soubresauts d’une atmosphère insurrectionnelle. Il y est retourné près de 60 ans plus tard, d’abord à Alger puis à Oran, afin de faire côtoyer des images et des textes. Les deux hommes se sont complétés et compris. Une osmose. Continuer la lecture

Publié dans Exposition, Livres | Commentaires fermés sur L’Algérie de Depardon fusionne avec les mots de Kamel Daoud