Des vignes, des oiseaux, des chats et des poissons

Apollinaire y avait décelé de la littérature nouvelle. Il s’était en l’occurrence si peu trompé, dans la mesure où l’écriture de Colette pourrait en remontrer à tant de plumes actuelles. C’était en 1908 et l’écrivain associait encore le nom de son mari -Willy- sur la couverture. Le recueil s’intitulait « Les vrilles de la vigne ». Elle lui avait donné ce titre eu égard à un rossignol qui s’était imprudemment posé pour la nuit sur une vigne. Dont les pousses -les vrilles-, s’étaient si bien entortillées autour de ses pattes au fil des heures, qu’elles avaient presque piégé l’oiseau. Colette a vu dans cet incident matière à comparaison avec sa propre existence. Elle admettait que ses nuits n’étaient plus forcément sereines, mais que les vrilles de la vigne, n’avaient désormais plus prise sur elle. Cette première histoire faisait effectivement figure de parabole dans la mesure où l’écrivain n’avait eu de cesse de s’émanciper et de contrôler ceux, (femmes, hommes, bêtes) qui se seraient mis en tête de l’envelopper dans leurs filets.
Continuer la lecture

Publié dans Livres | Un commentaire

Marignan 1859 et une jambe de preux capitaine

Lorsqu’elle évoqua la vie de son père, Colette n’omit pas de mentionner qu’il fut blessé à Marignan en 1859. Et qu’au lieu de mourir en héros à 29 ans, comme il l’aurait peut-être souhaité, il fut simplement amputé d’une jambe. Handicap qui ne l’empêcha pas à son retour de séduire une certaine Sidonie avec laquelle il eut deux enfants dont Sidonie-Gabrielle Colette, bien davantage connue comme Colette. Et avant, croyait-il, de mourir, il indiqua où il voulait qu’on l’allongeât, « au milieu de la place, sous le drapeau ». Ce sont deux membres de son régiment de zouaves qui transmirent l’information à un certain colonel Godchot que cite Colette comme « compagnon d’armes » de son père avant de poursuivre le fil de sa narration familiale qu’elle avait commencée avec sa mère Sido. Or ce colonel Simon Godchot (1858-1940) est toujours répertorié à la BnF avec une bibliographie comptant pas moins de 66 œuvres! Assez prolixe, on lui compte notamment une « Marche des zouaves » (musique de Goueytes) et aussi un poème, « Printemps 1915 », sur une musique de Léo Pouget. Mais le piquant n’est pas là. Continuer la lecture

Publié dans Livres | 3 commentaires

Malkin en majesté

L’histoire commence par un conte de fée. Un beau jour de de 1987, le peintre abstrait David Malkin et sa femme Ruth, arpentant comme souvent les galeries de la Rive gauche, poussent la porte d’une toute nouvelle galerie, rue Guénégaud, presque au coin de la rue Mazarine. Rien d’étonnant à ce qu’un peintre fréquente les galeries, mais le banal événement va se révéler providentiel. Jean-Pierre Arnoux vient d’ouvrir sa galerie l’année précédente, et le dialogue s’engage entre les trois personnages, un peu à la façon d’une nouvelle d’Henry James: le galeriste qui collectionne les « peintres abstraits des années 50 et 60 » et veut les défendre dans ce lieu, et ce couple visiblement si uni (cela se voit du premier coup d’œil). Lui un homme frêle à la barbe blanche, aux cheveux blancs un peu fous, au regard vibrant, elle visiblement plus jeune que lui, et le jeune galeriste, haute stature et moustache, vont s’apprivoiser. Deux ans plus tard, la galerie organise la première de ses expositions dédiée au peintre de soixante-dix-sept ans, qui ne pensait plus intéresser le monde de l’art parisien (tout à fait comme Henry James à sa mort, désespéré d’être si peu reconnu, incapable de pressentir sa gloire posthume). Mais la rencontre de ce fameux jour rue Guénégaud va tout changer pour David Malkin. Continuer la lecture

Publié dans Exposition | 3 commentaires

Nusch, l’histoire sans paroles

La très jeune fille avait déjà été soubrette. Maria Benz, figurait à ce titre sur une affiche du restaurant allemand Drei Könige. Plus tard à Paris, après un passage parmi les artistes et intellectuels du Bauhaus, elle gagna aussi sa vie au Grand Guignol, Cité Chaptal. On ne sait pas à coup sûr si elle y joua des personnages de femmes décapitées, violées, mutilées, dévorées par un puma ou plus simplement si elle tint un rôle de figurante dans des numéros d’hypnose, alors en vogue. Toute la biographie de Nusch (surnom attribué par son père et que l’histoire artistique a retenu) est bien compliquée à établir puisqu’en dehors des photos de Man Ray ou encore de portraits de Picasso, elle n’a guère laissé de traces définitives, exception faite également de sa tombe dans la quatrième division du Père Lachaise. Elle y repose sans son mari le poète Paul Éluard inhumé tout à l’opposé dans le saint des saints du carré communiste. Sa vraie histoire commence avec Éluard d’ailleurs, comme il en ressort d’un livre qui vient de sortir chez Seghers et rédigé par Joana Masó enseignante en littérature française à l’université de Barcelone. Continuer la lecture

Publié dans Livres | 2 commentaires

Littérature selon François

Quel est le point commun entre Dante Alighieri, Michel Houellebecq, Thérèse d’Avila, Blaise Pascal, Paul Claudel, Georges Bernanos, Christian Bobin ou Sylvie Germain? Ces écrivains ont tous puisé l’inspiration dans la culture chrétienne. Littérature et christianisme, c’est une vieille histoire. Le Pape François a récemment publié un écrit qui fera date, une « Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation ». En premier lieu destinée aux personnes engagées dans une formation sacerdotale, ce texte renouvelle l’approche de la littérature par l’Église et s’adresse finalement à tous tant son contenu est universel. Il faut d’abord dire que l’Église catholique a longtemps entretenu une volonté de contrôler la littérature, n’hésitant pas à condamner les œuvres qu’elle jugeait contraires à sa doctrine. Ce n’est qu’en 1966, que le Pape Paul VI a supprimé l’index, c’est-à-dire la liste des livres jugés pernicieux et que les catholiques n’étaient pas autorisés à lire. Rien de tel ici. C’est même le contraire. Le texte proposé est avant tout une ouverture sur le monde et sur le pouvoir de la littérature, que celle-ci soit ou non d’inspiration chrétienne, pour accéder au cœur de l’être humain. Continuer la lecture

Publié dans Livres | Commentaires fermés sur Littérature selon François

Guillemets filiaux

Quand la mère de Colette reçut un exemplaire du roman « La vagabonde », elle se réjouit et en profita pour flétrir au passage ceux qui n’étaient pas « dignes de lécher la boue » des souliers de l’auteur, c’est-à-dire ceux de sa fille. Cela se passait en novembre 1910. Sidonie (1835-1912) se montrait de la sorte satisfaite que sa Colette se comportât en femme affranchie et non-plus en gratte-papier de l’ombre pour le compte de son premier mari. Bien qu’elle reconnaisse qu’il avait fallu en passer par là, c’est le paradoxe même d’une émancipation. Colette, quant à elle, avait attendu la disparition de sa mère avant d’écrire sur elle un texte chargé de sentiments et de fascination. Elle n’était pas allée la voir depuis longtemps dans sa campagne non loin de Montargis, à Châtillon-Coligny, et avait même séché l’enterrement. Mais d’une certaine façon, en publiant « Sido », elle lui insufflait une nouvelle vie, laissant libre cours à l’expression d’une forme d’héritage intérieur. Continuer la lecture

Publié dans Livres | Commentaires fermés sur Guillemets filiaux

Étonnants ténors

Ah ces ténors! Ils nous en font voir! Mais ce sont des denrées si rares… Chez nous, depuis Roberto Alagna (qui se dit franco-sicilien parce que né de parents siciliens dans la banlieue parisienne) remportant le concours Pavarotti en 1988, à vingt-cinq ans, on attendait. On attendait le prochain Alagna. Bien sûr on a eu entre temps, hors de France, les deux phénomènes que sont le munichois Jonas Kaufmann, le beau Jonas qui peut tout chanter, et plus récemment l’américain Michel Spyres, ce bariténor lui aussi assez phénoménal. Deux ténors qui ont marqué l’histoire de l’opéra, comme notre Roberto. Rien n’est plus mystérieux que ces phénomènes naissant ici et là, on ne sait pourquoi. Mais rares, si rares. Comme ce jeune fils d’immigrés s’accompagnant à la guitare dans les cabarets alentour, tombant amoureux des disques des grands anciens, de Caruso à Domingo, prenant pour maître ce voisin ancien ténor cubain. En un temps record, selon sa légende, il développe des qualités inouïes: un timbre lumineux, une approche naturelle à la Pavarotti, un don pour le chant français, et le voilà demandé partout sur les grandes scènes européennes puis internationales. Continuer la lecture

Publié dans Musique | 3 commentaires

Les dentiers de la mer

Tandis que Louis XIII posait pour Philippe de Champaigne en 1635, quelque part dans les environs du Groenland, naissait un tout petit requin. À la sortie, il ne mesurait en effet avec ses frères, que 90 centimètres. Et le jour où il fut pêché pour évaluation scientifique, au 21e siècle, il mesurait quatre mètres, ce qui permit aux chercheurs d’établir que ce vertébré ne circulant qu’en eaux froides, affichait 400 ans sous la toise. On ne connaît cette espèce par observation que depuis 30 ans et l’on ne sait pas encore s’il en existe de plus âgés, mais quatre siècles, hein, cela fait quand même un bail. Leur cerveau avec tout ce temps a dû en empiler des données. Les spécimens qui croisent toujours dans les deux à trois cents mètres de profondeur, ont connu la coque des galions et celle des sous-marins nucléaires. Une des caractéristiques des requins du Groenland par ailleurs, est qu’ils vont très lentement, un kilomètre par heure environ, ce qui complique pour eux la quête d’un déjeuner. Ce qui fait que parmi leurs proies, ils choisissent notamment des phoques assoupis. Toujours est-il que Louis XIII de son côté, fils d’Henri IV et de Marie de Médicis, n’a vécu que 42 ans jusqu’en 1643, au château Neuf de Saint-Germain-en-Laye. C’est la rançon d’une vie à bride abattue. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 2 commentaires

En excellent état de conservation

On part rarement se faire embaumer, sauf s’il s’agit bien sûr d’aller chez le parfumeur, car le verbe en question possède un double sens. Dans le premier et funèbre cas, quand une entreprise procède à cette opération, elle a l’accord des proches, le défunt ne se présentant pas spontanément. Mais il se trouve qu’un narrateur, à qui l’écrivain Edgar Poe avait prêté sa plume, décida après une nuit compliquée, d’aller justement se faire embaumer, ce qui est moins courant on l’admettra, que d’aller se faire voir, se faire cuire un œuf ou bien pire encore. Dans la  « Petite discussion avec une momie », le protagoniste (sans nom) décide dans l’ordre, d’écrire quelques notes et de quitter sa femme qualifiée de « mégère », pour cause (surtout) de nausées provoquées par le dix-neuvième siècle et aussi en raison de l’anxiété relative à l’identité du chef d’État qui serait élu en 2045. Sur ce dernier point, dans maints pays et pas seulement en France, on peut effectivement comprendre qu’un bon embaumement à l’égyptienne ou peu importe, une fois « rasé et le café avalé », puisse enfin apporter sur au moins quelques siècles, un peu de sérénité sans passer par les cases électorales. Continuer la lecture

Publié dans Livres | Commentaires fermés sur En excellent état de conservation

Droits d’auteur

Ernest Bourget, Paul Henrion et Victor Parizot avaient pour point commun d’être paroliers et compositeurs de musique, tendance variétés. Ce soir de mars 1847, ils prenaient du bon temps au café-théâtre Les Ambassadeurs, sur les Champs Élysées. Ils ont soudain la désagréable surprise d’entendre une artiste de la maison interpréter l’une de leurs chansonnettes. Désagréable, car ils n’étaient pas informés d’un tel emprunt, sans percevoir de droits d’auteur…(1) Ils décident, en représailles, de refuser de régler leurs consommations. Tumulte, intervention du directeur, procès. Procès qu’ils vont gagner, et qui débouchera sur la création de la SACEM (2), dont ils seront membres fondateurs, le 28 février 1851. Cet organisme indépendant a pour mission de gérer l’auparavant ingérable: la collecte et la répartition des sommes dues, relatives à l’exécution, la diffusion ou la reproduction de musiques. Il ne s’agit pas d’une taxe, mais de la juste rémunération d’une création intellectuelle, ayant le caractère d’une propriété privée, au bénéfice de son auteur. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 3 commentaires