Rhétorique fermentée

Soit un yaourt. Il y a beau temps que la yaourtière a disparu des listes de mariage, déserté les cadeaux de Fête des mères. La ménagère a abandonné la fabrication de la chose aux sociétés laitières. Le décret n°63-695 du 10 juillet 1963 dispose : « La dénomination yaourt ou yoghourt est réservée au lait fermenté obtenu, selon les usages loyaux et constants, par le développement des seules bactéries lactico bulgaricus et streptococcus thermophilus, qui doivent être ensemencées simultanément et se trouver vivantes dans le produit mis en vente ». Il sera postérieurement précisé qu’un pot doit contenir au moins dix millions de bactéries par gramme. Par conséquent, le skyr, présenté comme un «yaourt islandais», à base de lait pasteurisé et de ferments lactiques constitue un abus de langage. Un usage constant consacre l’appellation yaourt à la recette de base, le terme yoghourt désignant, lui, la spécialité dite «à la grecque», enrichie en crème, donc plus grasse. Continuer la lecture

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Escargots, tripes et littérature

  1. On ne pouvait attendre de Francis Picabia qu’il fît une couverture sage. Sa marque de fabrique étant la provocation, il réalisa pour la couverture de Littérature un Sacré-Cœur sanglant, dans l’idée plus ou moins réussie de choquer. C’était le premier septembre 1922, il y a pile cent ans donc. André Breton venait de lui confier la direction artistique de cette revue particulière née trois ans plus tôt au carrefour du surréalisme et du dadaïsme. Avec Picabia, Breton jouait sur du velours. Pour ce qui était de déranger, son aîné, ami et complice, avait déjà un beau parcours derrière lui. Les trois premiers numéros de la seconde série avaient vu leur couverture ornée d’un chapeau haut de forme signé Man Ray. Francis Picabia allait de son côté laisser libre cours à sa fantaisie créative. Cette revue avait mobilisé dès l’origine au moins trois espèces de génies de l’époque, Louis Aragon, André Breton et Philippe Soupault. Continuer la lecture
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Documenta Fifteen à Cassel (Allemagne) : Art et/ou militantisme ?

Disons-le d’emblée, la Documenta Fifteen, la 15e exposition internationale d’art contemporain, qui se tient tous les 5 ans à Cassel (Hesse) pendant 100 jours, n’attire pas les foules. Et, la presse s’est avant tout fait son écho pour relater les scandales qui ont entaché la manifestation et mené à la démission de sa directrice générale, quelques jours après son ouverture. La gigantesque fresque « People’s Justice » du collectif indonésien Taring Padi, suspendue à l’extérieur du Fridericianum, musée emblématique (ci-contre) où a eu lieu la première documenta, comportait en effet des éléments antisémites. On y voyait notamment un soldat à tête de cochon avec une étoile de David et un casque du Mossad ainsi qu’un homme aux longues dents pointues avec un chapeau portant le signe des SS. Incident d’autant plus regrettable que la documenta a été créée en 1955 par Arnold Bode (1900-1977), artiste et professeur d’art de Kassel, afin de réhabiliter et promouvoir les artistes dont les œuvres, qualifiées d’«art dégénéré», avaient été interdites par les nazis. Continuer la lecture

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Festival d’Avignon, coups de cœur 2022 (suite)

C’est à un exercice périlleux que s’est livrée Anne Consigny en portant à elle seule l’adaptation, la mise en scène et l’interprétation du roman mythique de Marguerite Duras “Un Barrage contre le Pacifique” (1950). Gageure merveilleusement réussie ! Pour mémoire, ce récit d’inspiration autobiographique relate la vie d’une veuve et de ses deux enfants, Joseph et Suzanne (20 et 16 ans), dans le sud de l’Indochine française dans les années 30. Propriétaire d’une concession incultivable, la mère tente désespérément de construire un barrage contre le Pacifique, qui inonde régulièrement ses terres, et sombre peu à peu dans la folie. Dans une jolie robe évasée rouge et blanche à motifs qui lui sied à ravir, après avoir envoyé balader son grand chapeau de paille et ses souliers, et avec un escabeau pour tout décor, l’actrice habite de sa grâce juvénile et virevoltante l’entièreté du plateau. Elle est tout à la fois la mère, Suzanne, Joseph et M. Jo, ce riche Chinois qui n’est pas sans annoncer celui de “L’Amant” (1984). Silhouette gracile, timbre délicat, elle les interprète avec une infinie subtilité et, à travers le portrait de la mère, rend un émouvant hommage à toutes ces battantes brisées par la vie. Magnifique ! Continuer la lecture

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Festival d’Avignon, coups de cœur 2022

Après un festival 2021 sous contraintes sanitaires, l’édition 2022 avait soudain des airs de retour à la normale, nous rappelant avec bonheur le bon vieux temps. Malgré la menace plus ou moins planante d’un variant inamical, l’ambiance était à la fête.  Il y avait bien quelques spectateurs portant encore le masque, mais c’était par choix et les visages n’en étaient pas moins sereins. Le tractage avait repris de plus belle, les affiches n’avaient jamais semblé aussi nombreuses… Avignon était redevenu Avignon. À l’ombre du majestueux Palais des Papes, où se tenait l’exposition Amazônia du photographe franco-brésilien Sebastião Salgado, de son éternel Prince, dont la Maison Jean Vilar célébrait le centenaire de la naissance avec celui de Maria Casarès (1), et du souvenir de son fondateur, il a de nouveau suscité de belles émotions artistiques. Retour sur quelques coups de cœur qui, espérons-le, seront bientôt partagés sous d’autres cieux par un plus large public encore. Continuer la lecture

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Aubrey Beardsley en délectables bribes

Il a suffi de feuilleter un vieux numéro de l’Œil traînant sur un étal de bouquiniste pour éveiller une curiosité de Parisien désœuvré. Car à l’été 1962, ce magazine offrit dans ses colonnes, un portrait d’un artiste depuis bien longtemps disparu, Aubrey Beardsley. Anglais, francophone, ce jeune homme n’avait pas atteint 26 ans lorsque frappé par la tuberculose, il décéda à Menton en 1898. Il se trouve que cela fait cent cinquante ans qu’il est né en ces derniers jours d’août et que renseignements pris, cela valait un petit mouvement de projecteur. Dandy, dessinateur, écrivain, Aubrey Beardsley a laissé une trace irrévérencieuse dans l’Angleterre victorienne, bien connue pour son ultra conformisme. Il avait notamment côtoyé Oscar Wilde (1854-1900) pour lequel il illustra la version anglaise de la pièce « Salomé ». Les deux hommes avaient en commun d’être des esthètes, un certain goût pour une décadence choisie et une homosexualité pas facile à assumer, celle qui devait valoir à Wilde la prison et les travaux forcés. Continuer la lecture

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Remettre Burnett à sa place

Le volumineux Quarto Gallimard consacré aux romans noirs de l’Américain William R. Burnett (1899-1982), sorti en 2019, n’a pas eu le retentissement qu’il mérite. Comme si malgré l’opulence de l’ouvrage (1120 pages), le manque de notoriété de l’écrivain de son vivant le poursuivait encore. Il s’agit pourtant d’un auteur yankee majeur, ayant toute sa place auprès de Dashiell Hammett, Raymond Chandler, James M. Cain, David Goodis, Chester Himes et autres. Écoutons John Huston dans son livre «An Open Book», publié en 1981 : «J’ai toujours admiré Burnett, qui me semble un des auteurs américains les plus négligés : Iron Man, Dark Hasard, Little Caesar, The Asphtalt Jungle et The Giant Swing- autant de romans considérables. Il y a des moments de réalité dans tous ces livres qui sont complètement écrasants.» Huston en sait quelque chose, lui qui connaissait bien Burnett et devait tourner l’adaptation de «The Asphalt Jungle» en 1950. Continuer la lecture

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Le verre en verve

Par définition, l’abstraction abolit le sujet, du moins sa représentation.  Bien malin celui qui pourrait discerner dans le détail du vitrail ci-contre, la symbolique des fonts baptismaux. Dans l’après-guerre, l’Église qui s’apprêtait à perdre son latin, était encore un peu frileuse à l’égard de la modernité. Ce qui fait que ce verre, peinture à la grisaille et plomb, n’a pas été retenu par l’église de Choye en Haute-Saône. Ce vitrail pourtant remarquable, réalisé par Jacques Bony en 1953, a depuis trouvé un musée tout neuf pour l’abriter. L’ancien hospice de Conches-en-Ouche (Eure), transformé en musée du verre, vient en effet d’ouvrir ses portes pour célébrer cette matière sous toutes ses formes. Bien qu’il ne soit pas vraiment facile d’accès à partir de la gare d’Évreux, le bâtiment mérite amplement l’effort d’une expédition, tant pour sa transformation impeccable en musée moderne que pour la richesse bien ordonnée de ses collections. Continuer la lecture

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Avec notre meilleur souvenir

L’entre deux-guerres, les congés payés et les premiers estivants, ont créé les marchands de souvenirs. Telle cette vue de Royan sur plaque de verre qu’un jour quelqu’un a accroché dans le salon au-dessus du buffet avant qu’elle ne finisse dans une brocante où elle a été cédée pour dix sous. Il paraît, selon un article du Parisien paru voici deux ans, que presque tous les vacanciers rapportent des souvenirs, en sus de leurs innombrables photos. Le mug, le porte-clés, le phare-baromètre, le magnet, les bols-prénoms, le galet peint, la carte postale, la boule à neige, tout y passe. Rien qu’en France, il s’en vendrait pour 3 milliards d’euros chaque année. Cependant, tout est souvenir dès lors qu’un objet rappelle quelque chose à son utilisateur. Le télescope James Webb vient même de nous rapporter des souvenirs du Big band, c’est dire. Continuer la lecture

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Ciel, un nouveau Pavarotti!

Alors, ce Pene Pati, né dans les îles Samoa, serait-ce le nouveau Pavarotti, comme le clame la critique? C’est toujours la même chose : quand un nouveau Caruso fait son apparition, on a l’impression qu’il surgit sur scène du jour au lendemain, né pour éblouir les foules. Mais quand on sait qu’il faut une bonne dizaine d’années, au minimum, pour former la voix et acquérir la technique, on sait bien que ce n’est pas possible. Demandez donc au tenorissimo Jonas Kaufmann, qui se produisait depuis quelque dix années sur les scènes européennes, pourquoi il est devenu une star du jour au lendemain dans «La Traviata» de Verdi auprès d’Angela Gheorghiu, au Metropolitan Opera, en 2006 ! La belle Angela à l’œil sûr avait remarqué le beau jeune homme, et l’avait demandé, mais avec son intelligence et sa modestie habituelles, lui trouvait qu’il avait chanté comme il le faisait depuis des années. Demandez donc au Yankee Michael Spyres, ayant quitté son Missouri natal pour se former à Vienne et fait des débuts dès 2006 au San Carlo de Naples, pourquoi il a dû attendre les années 2010 pour devenir une gloire rossinienne mondiale. Ou bien demandez à Roberto Alagna s’il se souvient de ses soirées de jeunesse passées dans les cabarets à gratter la guitare pour accompagner ses chansons. Il est vrai que dès qu’il a gagné le concours Pavarotti à 25 ans, il n’a plus arrêté depuis… Continuer la lecture

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