Faire bonne mesure

C’est tout l’avantage du profane que d’aller de surprises en surprises et de découvertes en découvertes. Comme de découvrir au hasard des pages d’un ouvrage scolaire de 1882 destiné aux élèves du second cycle, qu’il existe des nombres « incommensurables », représentés par un symbole de type idéogramme. On se dit que cela doit être dur pour un mathématicien de constater à l’amiable qu’il existe une telle zone hors champ. Et plus encore pour un professeur de calcul, expliquant l’affaire à ses élèves dans un chapitre significativement intitulé « préliminaires ». Introduction selon laquelle et à titre d’exemple, il est établi que « la longueur d’une circonférence n’a pas de mesure commune avec son diamètre ». Moyennant quoi, celui qui s’acharnerait à la trouver, n’aboutirait qu’à un nombre incommensurable proprement dit, autrement appelé une « limite ». Implacable démarcation au demeurant, sauf pour les littérateurs et autres poètes qui n’ont que faire d’une telle abstraction, des toises en général et des attestations de sortie en particulier. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 4 commentaires

Secret médical

Le 17 avril 1964, un communiqué faisait part à la Représentation Nationale du fait que le général De Gaulle venait de subir, à l’hôpital Cochin, l’ablation d’un adénome prostatique. Le vieux soldat avait pris soin de rédiger, à l’avance, le texte à diffuser à son réveil. Il n’y avait pas lieu d’appliquer l’article 7 alinéa 4 de la Constitution, disposant qu’en cas de «vacance de la Présidence de la République, pour quelque cause que ce soit», le président du Sénat assurait l’intérim. Une attestation émanant du professeur Aboulker témoigna de la bénignité de l’intervention. Puis le chirurgien urologue fit ce à quoi tout médecin respectueux de ses devoirs est tenu : il observa le silence sur tout ce qui concernait son illustre patient. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique, Histoire | 5 commentaires

Certains ne meurent jamais

Certains auteurs ne meurent jamais, tel Shakespeare qui ne cesse de ressusciter sous diverses identités (une soixantaine jusqu’à présent, dont celle d’une femme), la dernière datant de 2016 («John Florio alias Shakespeare», éditions Le Bord de l’Eau). Impossible non plus de laisser tranquille «le petit Marcel», chacun ou presque ayant son mot à dire sur sa personne comme sur son œuvre, tel le romancier-essayiste-réalisateur hanté par « La Recherche », Patrick Mimouni, publiant d’innombrables essais sur le sujet, dont à la fin de l’an dernier, un copieux et vigoureux «Proust amoureux Vie sexuelle, vie sentimentale, vie spirituelle» (Grasset). Si bien qu’en cette année du centenaire de la mort de l’immortel Marcel, outre une nouvelle Pléiade (essais dont un nouveau « Contre Sainte-Beuve » enrichi de passages narratifs), le président de la Société des amis de Marcel Proust Jérôme Bastianelli imagine les vingt années supplémentaires dont Proust aurait pu jouir s’il s’était mieux soigné, terminant sa vie à New York pour s’éloigner de la guerre («Les années retrouvées de Marcel Proust. Essai de biographie», Sorbonne Université Presses, ci-dessus). Continuer la lecture

Publié dans Livres | 2 commentaires

Code rouge

Plusieurs choses ressortent de ce portrait impeccable réalisé par Agnolo Bronzino (1503-1572). Le maintien général du personnage, l’intelligence et l’amertume du regard et, sagement assis sur les genoux de la dame, un petit chien qui peine manifestement à contenir sa joie. Nous ne savons pas qui elle est, sauf qu’elle appartient à une époque où le maniérisme était en vogue. Cependant, ce qui domine dans cet ensemble hautement aristocratique, c’est le rouge intense de la robe, un rouge puissant qui attire l’œil. Cette huile sur bois fait justement partie d’un livre publié il y peu sur le rouge, par l’historienne d’art, Hayley Edwards-Dujardin, sachant qu’elle en a commis d’autres, sur le rose, l’or et le bleu. La quatrième de couverture prévient que l’auteur distille ce faisant une « érudition mesurée » et pourtant la lecture de l’ouvrage est non seulement assez riche mais fort plaisante car elle est parsemée d’anecdotes et de bonnes citations comme celle de Picasso qui disait: « quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge ». Bronzino s’était peut-être trouvé dans ce cas-là, qui sait. Continuer la lecture

Publié dans Livres | Un commentaire

Le dévoiement du fiasco

Originaire de Fano, dans la région italienne des Marches, Carlo Magini s’était taillé une honorable réputation de peintre grâce à ses natures mortes. Nous n’avons pas la date exacte de la toile ci-contre (détail), fin 18e peut-être, mais ce qui est intéressant c’est que l’on y voit une bouteille de vin, le fameux fiasco, entouré de paille afin de protéger le verre. De nos jours le terme à fait florès au sens figuré pour signifier un échec complet, et ceci depuis l’époque où un acteur italien du 17e, Domenico Biancolelli, fit un bide sur scène en agitant une bouteille de vin. L’actualité n’a de cesse de s’emparer du mot fiasco, le dévoyant à l’excès. Le dernier en date étant un certain match de foot à Saint-Denis qui ne s’est pas déroulé dans les conditions souhaitées. Heureusement qu’en 2013 puis en 2021, parut sous la plume de l’académicien Jean-Robert Pitte, aux éditions Tallandier, un bel ouvrage autour du vin et de sa mise en bouteille. Disponible à la librairie des Immortels, en vue du Pont des Arts, c’eût été bête de passer devant sans l’acquérir pour s’instruire. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | Un commentaire

Annette Messager fait comme si… et fait comme ça

Lorsqu’il décida de mettre fin à ses jours, le 27 août 1950 dans une chambre d’hôtel de Turin, le poète italien Cesare Pavese laissa sur une table un dernier texte «La mort viendra et elle aura tes yeux». La plasticienne Annette Messager a décidé de prendre cette formule troublante et ambiguë au pied de la lettre. Dans sa dernière exposition présentée au musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq, cinq grands dessins d’œils sont collés au mur, disposés en pyramide. Il faut s’approcher de très près pour découvrir que dans la pupille de chaque œil se cache une tête de mort. La référence à Pavese est revendiquée. Dans la même salle, une installation posée à même le sol évoque une ville en ruines, comme calcinée. On peine à reconnaître la Tour Eiffel, Notre-Dame de Paris ou le centre Pompidou. Seules émergent des têtes d’animaux en peluche qui ont gardé leurs couleurs. L’unique survivant parmi les humains, c’est Pinocchio, celui qui ment et qui ne veut pas grandir. Cela s’intitule « La Revanche des animaux ». Continuer la lecture

Publié dans Exposition | Un commentaire

Le médiéval dans un bain de jouvence

C’était pour récompenser un fidèle parmi les fidèles que chaque année, le quatrième dimanche de Carême, le pape offrait à ce dernier une rose d’or. Celle-là a été acquise en 1854 par le Musée de Cluny. Une notice nous explique qu’elle provient de la cathédrale de Bâle. C’est la plus ancienne du genre, nous est-il également indiqué. Le pape Jean XXII en avait commandé l’exécution en 1330 à un artiste italien, Minucchio da Siena. Tout en délicatesse, elle a été disposée dans la salle 11 du musée de Cluny qui sort à peine d’un long bain de jouvence. Les travaux ont effectivement débuté en 2011 et il y avait foule, jeudi 12 mai, pour profiter des espaces intérieurs rénovés. Les Français aiment leur Moyen Âge, ils aiment rêver devant ses icônes, un bouclier de tournoi, jusqu’à cette rose qui ne s’est jamais fanée. Quant aux murs du musée, ils ne délivrent plus guère le bon parfum d’antan, celui que l’on trouve dans les anciennes demeures. C’est l’inconvénient du savon. Il stérilise quelque peu 1000 ans d’histoire et même 2000 si l’on prend en considération les thermes de Cluny qui sont accolés à l’ensemble. Continuer la lecture

Publié dans Histoire, Musée | Un commentaire

Perceptions polyphoniques

Avant son départ vers l’Europe et les mille déboires qu’il a dû affronter, le migrant l’ignore probablement: en Hollande, sa voix va être enregistrée afin de déterminer s’il ment sur son pays d’origine. Sur cette simple analyse vocale, du moins en 2012, son dossier allait être estampillé « accepté », « rejeté » ou « en attente ». Ce procédé discutable a fait l’objet d’une « installation », actuellement visible au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis. Intitulée « Conflicted Phonemes », cette œuvre d’art singulièrement marquante, est signée par Lawrence Abu Hamdan, originaire de Jordanie. Elle est constituée de diagrammes mis au point avec des linguistes, des chercheurs, des activistes, des organisations culturelles et une graphiste. Elle se base sur des demandes d’asile de Somaliens, parfois rejetées, à la suite de tests d’analyses vocales mis en place par les autorités néerlandaises.  Ainsi Jama, qui affirmait venir de Somalie du Sud, a dû prononcer devant un microphone des phonèmes comme « non », « école » ou « banane » avant que l’expertise automatisée, basée sur un atlas d’accents, ne détermine qu’il venait du Nord. Fatale erreur, ont alors estimé d’intraitables censeurs de frontières. Continuer la lecture

Publié dans Exposition | 5 commentaires

A couper au couteau

Il existe des tas de sortes de couteaux sauf celui à couper le brouillard. Quand bien même quelqu’un viendrait à l’inventer, il ne servirait plus à rien, du moins à Paris. Nous pouvons certes connaître quelques matinées de demi-brume au cours de l’hiver (photo ci-contre), mais le vrai brouillard, le franc brouillard propice à l’oubli de soi, a disparu des rues de la capitale. C’est une perte, peut-être un signe. Nous ne regrettons pas ici le brouillard de pollution, mais bien le phénomène atmosphérique naturel produit par de minuscules gouttes d’eau, perturbant la luminosité et entourant toute chose d’un halo étrange. À Paris, foncer dans le brouillard ne veut plus rien dire. La seule métaphore qui tienne encore un peu la route dans ce domaine mais indépendante de la question géographique, c’est le fait d’être dans le brouillard, signifiant par-là que les brumes du réveil ou celles causées par une soirée trop arrosée, font que l’on peine à avoir les idées claires. Il faut attendre qu’elles se dissipent. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | Un commentaire

Ramener sa fraise

Avec le printemps réapparaît sur les étals des marchés et dans les rayons des grandes surfaces la fraise gariguette. Elle appartient au groupe des «précoces». Les fraises, par les vertus du commerce et de la génétique réunis se divisent en quatre groupes : précoces, donc, puis par ordre d’entrée en scène, celles de «pleine saison», les «tardives», et enfin les «remontantes». Le Larousse gastronomique (ed. 1996) penche, lui, pour une classification morphologique : coniques, cordiformes, rondes, triangulaires. Prosper Montagné, en son dictionnaire culinaire (1938), se satisfaisait de deux groupes, les petites et les grosses, signalant la création permanente de nouvelles productions. Il en identifiait quelques unes, la Héricart-de-Thury, la Docteur-Morère, la Président-Carnot, la Général-Chanzy, la Duc-de-Malakoff… L’époque pratiquait volontiers l’éponymie. Mais les temps ont changés. À l’exception des inventeurs de roses, on ne donne plus volontiers aux produits de l’activité agricole des noms de célébrités. Imaginerait on l’asperge Charles-de-Gaulle, la poire Georges-Pompidou, ou la tomate Guy-Mollet ( en souvenir de son accueil à Alger, le 6 février 1956, les Pieds Noirs le bombardant de ce légume-fruit bien mûr). Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 2 commentaires