Sortie de route

C’est donc un « immense » acteur qui vient de nous quitter sous une pluie d’hommages et, cela fait déjà deux beaux poncifs inscrits au compteur. Gabin était immense, Belmondo pareil, Piccoli itou et Jean-Pierre Bacri idem. Ce n’est pas compliqué, on leur colle toujours la même étiquette. Jean-Louis Trintignant n’y a pas échappé. Bien sûr par « immense » il faut prendre en compte la dimension immatérielle, car pour ce qui est du cercueil ou de l’urne funéraire, c’est à peu près la même taille pour tout le monde. Il est bien rare qu’un acteur microscopique nous quitte, du reste personne ne se risquerait à le mentionner en utilisant cet épithète. Lorsqu’ils sont moins importants, Philippe Léotard, Wladimir Yordanoff, Étienne Chicot au hasard, on va plutôt évoquer des artistes à la sensibilité méconnue, abonnés aux seconds rôles (deux poncifs de plus) mais ils ne seront pas  qualifiés d’immenses à leur sortie de scène, de monstres sacrés, voire de légende (morte ou vivante). Ils auront donc droit à quelques mots aimables sans plus, du moins si l’actualité leur laisse un peu de place. La marque de l’immensité se reconnaît quand les chaînes « bouleversent » ou « bousculent » leurs programmes afin de rendre un salut collectif à ceux qui nous firent rêver. Le nec plus ultra étant la cour des invalides (Belmondo). Continuer la lecture

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Histoires concentrées d’animaux, de Rosa Bonheur, et du Portugal

Au château de Fontainebleau s’est déroulé les 3, 4 et 5 juin dernier le 11ème festival de l’histoire de l’art. Paradoxalement et volontairement, ce grand rendez-vous annuel qui réunit des historiens de l’art des philosophes, des anthropologues et autant de spécialistes pointus, se veut avant tout une manifestation destinée au plus grand nombre. Pari réussi grâce à une programmation riche de 200 événements et aussi grâce à la thématique retenue à savoir la place de l’animal dans l’art, ainsi qu’au choix du pays invité : le Portugal. Une occasion pour le grand public de (re)découvrir trois artistes hors pair dont le plus ancien d’entre eux, Jean-Baptiste Oudry (1686-1755). Lequel fut le plus brillant portraitiste animalier du XVIIIe siècle français. Ses remarquables portraits des chiens du roi Louis XV réunis dans l’appartement Mérimée du château (ci-dessus), jouent avec les codes du portrait de cour et témoignent de l’engouement pour l’animal de compagnie de l’époque. «N’a t’on pas eu raison d’appeler Monsieur Oudry un magicien en peinture ?» disait à son propos Baillet de Saint-Julien. Continuer la lecture

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L’âme de Joséphine

Plutôt que de se précipiter au château de Versailles où les touristes en foule (mais pas les Asiatiques) sont de retour, pourquoi ne pas profiter des belles journées de ce printemps parisien pour découvrir dans le calme le Musée National du château de Malmaison. L’endroit était même si tranquille à la mi-mai, en dehors de quelques touristes égarés, qu’on aurait pu se sentir invités par Joséphine elle-même. Si vous empruntez la voiture depuis Paris en direction de Rueil-Malmaison, ne vous tracassez pas trop pour les nombreux panneaux «Déviation géothermie», et réjouissez-vous d’apprendre que l’île-de-France met au point le plus grand réseau de chaleur géothermique d’Europe, en creusant partout dans le sous-sol. Malgré ces panneaux de déviation, on arrive sans encombre au domaine national par une longue allée étroite, débouchant sur une place donnant immédiatement une idée de ce qui se passe ici depuis longtemps. Cette place étant cernée de demeures privées anciennes ou récentes, qu’on devine élevées sur des terrains ayant appartenu autrefois au domaine, qui s’est trouvé bien morcelé au cours du temps. Continuer la lecture

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Henri Cartier-Bresson de retour à Octodure

Déguster un filet de truite finement saisi face à un menu orné d’une célébrissime photographie de Henri Cartier-Bresson, voilà ce qui attendait, la semaine dernière quelques spécimens de la presse française importés en Suisse depuis la France. Qui plus est à l’endroit même où deux millénaires plus tôt, l’armée romaine livra un combat auquel César en personne consacra un chapitre dans « La guerre des Gaules ». Depuis Octodure, (huit portes littéralement) est devenue une aimable bourgade du nom de Martigny, dans le Valais suisse. L’endroit en lui-même aurait déjà un certain intérêt vu son lointain passé et les quelques vestiges qui en témoignent, mais il est en outre complété d’une fondation, la fondation Gianadda laquelle se consacre généralement à l’art et, depuis quelques jours et pour quelques mois encore, à l’œuvre photographique de Henri-Cartier Bresson (HCB), monument certifié du genre argentique et habitué du lieu. Tout cela méritait amplement de se lever à l’aube afin de s’y rendre en train. Continuer la lecture

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Molière, féministe avant l’heure !

Dans le cadre de ses réjouissances moliéresques, la Comédie-Française met aujourd’hui à l’honneur une petite comédie en un acte fort plaisante, “Le mariage forcé” (1664). Molière y déconstruit de manière tout aussi géniale que savoureuse la figure du patriarcat en inversant astucieusement la contrainte : l’obligation du mariage est ici non plus subie par la jeune fille (Dorimène) mais par le vieux célibataire (Sganarelle), un vieillard en tout point détestable. Le propos est audacieux pour l’époque et Molière, en les détournant, se moque férocement des mœurs de son temps. Mise en scène par Louis Arène, ancien pensionnaire de la Comédie-Française et co-fondateur du Munstrum Théâtre, une compagnie dont la particularité est de travailler à partir du masque, la comédie oscille ici entre bouffonnerie et farce macabre. Jeu masqué, inversion des genres, sorcières shakespeariennes et références à “Orange mécanique” nous dévoilent la pièce sous un jour nouveau. Une vision pour le moins décapante ! Continuer la lecture

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En notre âme et conscience

Il n’est pas tout à fait clair que notre cerveau soit le siège unique de notre conscience et voilà qui constitue un bon départ pour un essai sur le sujet. Il se pourrait qu’elle dispose en effet de succursales neuronales dans différentes parties de notre corps, comme par exemple l’appareil intestinal. Lorsque l’on reçoit incidemment un signal de satiété, il vient d’en-bas et c’est le haut qui réceptionne. Auteur dramatique, essayiste, chercheur, Bertrand Marie Flourez vient de produire un courageux essai à ce propos, profitant sans doute de l’inconscience d’un non moins téméraire éditeur, tant les sujets qu’il aborde, un peu difficiles, nécessitent un minimum de foi dans l’édition. Mais c’est le côté supérieur de la foi et donc de l’âme, par rapport à la conscience des risques. Le gros avantage de cet opus de près de deux cents pages est qu’il est lisible, fluide, éclairé, au point que l’on se surprend à le lire d’un trait (ou presque), aiguillé il est vrai par la curiosité que suscite l’exploration d’un terrain a priori ardu. Continuer la lecture

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Retour à Versailles

Tandis que la France célèbre le quatre-centième anniversaire de la naissance de Molière, à Versailles on fête depuis 26 ans en juin «Le mois Molière». Un ensemble de spectacles et manifestations créées par le Maire actuel François de Mazières à l’époque où il était adjoint à la culture. Pourquoi célébrer ainsi Molière à Versailles ? Tout simplement parce que c’est dans ce qui n’était encore qu’un relais de chasse, que le jeune Louis XIV lui a donné sa chance en lui permettant de jouer pour la première fois en 1663 «L’impromptu de Versailles» une pièce peu jouée, si révélatrice de la vie de la troupe de Molière de l’époque et de la vie de la cour en général et qui sera suivie de beaucoup d’autres. Continuer la lecture

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Les termes adéquats

C’est une toute petite plaque fixée à côté du porche d’un immeuble, au 60 boulevard du Montparnasse. Elle rappelle que là, entre le 12 mars et le 7 avril 1929, a séjourné au sein de ce qui était alors Le Grand Hôtel de Versailles, l’écrivain, peintre et poète, David Herbert Lawrence (1885-1930). Il était venu en quête d’un éditeur pour son roman, « L’amant de Lady Chatterley ». Apposée en mai 2019, elle prend en ce moment-même tout son sens puisque la chaîne Arte, diffuse non seulement jusqu’au 28 août le film du roman signé par Pascale Ferran, mais aussi un documentaire qui relate principalement le procès en obscénité fait en 1960 à l’éditeur. Sorti en 2006, le film quant à lui, démontre avec subtilité que ce qui avait été longtemps confondu avec de la pornographie était en réalité une histoire d’amour, une vraie, celle qui fusionne par ordre d’apparition le désir et les sentiments. La fin en est particulièrement appréciable dans la mesure où Constance (parfaite Marina Hands), femme de tête qui n’a pas peur de mettre en cohérence ses rêves et ses actes, comprend qu’il existe une troisième voie pour les amours impossibles. Une voie qu’elle ouvre comme une délivrance pour elle et lui. Continuer la lecture

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Vogue la paroisse

Ce vitrail possède une singularité rare: il est à quai. Voué à Notre Dame des Eaux, il occupe l’un des hublots d’un bateau amarré sur la promenade François Mitterrand à Conflans-Sainte-Honorine. Sa transparence diffuse une fine lumière au sein d’un navire qui fait office depuis des décennies d’une paroisse fluviale. À l’origine, en 1919, son rôle était le transport du charbon. Depuis 1936, sauf quelques épisodes d’hébergement social, il est pratiquement resté une paroisse pour les mariniers, où la messe continue d’être dite chaque semaine, si l’on se fie aux horaires affichés. Peint en bleu et blanc, il pourrait laisser croire à la pratique d’une liturgie de type grec, mais non. Sa présence n’est pas illogique au pied de l’une des capitales françaises de la batellerie mais pour le promeneur venu s’incliner devant le vaste confluent de la Seine et de l’Oise, en bout de quai, c’est assurément une surprise. Celle d’un monde littéralement flottant comme l’ont conceptualisé les Japonais. Continuer la lecture

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La fondation Verbeke, chamboule-tout du monde de l’art

Oubliez toutes les images de musées d’art moderne ou contemporain que vous auriez pu visiter un jour ou l’autre. Ne vous attendez pas à voir surgir au bout de la route un bâtiment moderne d’avant-garde, aux salles impeccablement blanches et lumineuses, renfermant une construction en acier tordu savamment poli. Nous sommes dans les Flandres belges, à une vingtaine de kilomètres d’Anvers, deuxième port d’Europe. Insérée dans un entrelacs serré d’autoroutes, la ville flamande de Kemzeke, qui appartient elle-même à la commune de Stekene (vérifiez que votre GPS soit bien à jour) n’aurait rien de particulier si ne s’y trouvait l’un des plus surprenants lieux d’exposition d’œuvres d’art en Europe. Des conteneurs empilés à la va-comme-je-te-pousse, des carcasses de grues parfois gigantesques, une vieille enseigne qui dut autrefois signaler la présence d’un fast-food urbain : vous y êtes. Continuer la lecture

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