Rasoir national

Élaborée aux temps barbares, la justice de l’Ancien régime, en dépit de l’adoucissement des mœurs, avait conservé sa brutalité initiale. Bien sûr, au début du XVIIIème siècle, étaient advenues des modifications. La question préparatoire, interrogatoire musclé pimenté de quelques atrocités, destinée à favoriser les aveux d’un suspect, était tombée en désuétude. Sa suppression par Louis XVI, en 1780, ne faisait qu’entériner une évolution. Mais les vieux usages persistaient en matière de peine capitale. Selon le droit commun, «pour les crimes méritant la mort, le vilain sera pendu, et le noble décapité. Toutefois, ou le noble sera convaincu d’un vilain cas, il sera pendu comme un vilain». Parallèlement, existaient des spécificités, où la vengeance sociale était proportionnée à l’horreur prêtée au crime. Les sorciers, empoisonneurs, hérétiques récidivistes, incendiaires et individus en flagrant délit de bougrerie allaient vers le bûcher. Continuer la lecture

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Jeu de dupes

Accueillir un migrant chez soi est une expérience d’autant plus fabuleuse qu’elle nous donne une image positive de nous-même, nous enseigne non sans ironie et clairvoyance la pièce de Muriel Gaudin “Un certain penchant pour la cruauté”. Et à condition bien évidemment que chacun reste à sa place. Dès que la sphère intime est atteinte, le soupçon et l’entre-soi peuvent violemment ressurgir, quitte à nous mettre en porte-à-faux avec notre bonne conscience. Héberger un migrant peut être source de questionnements, d’étonnements, et même s’avérer un révélateur de nos névroses les plus profondes. Tel est le propos de la pièce, nous renvoyant à un thème vieux comme Hérode : notre peur de l’étranger. Traitée sur le mode de la comédie, portée par cinq comédiens et un musicien, mise en scène par Pierre Notte, la pièce explore avec humour les faces cachées de notre bien-pensance, nous donne à rire de nos contradictions et de nos préjugés enfouis. “Un certain penchant pour la cruauté” se jouera cet été au Festival d’Avignon. Continuer la lecture

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Le fol demande beaucoup mais fol est qui le lui donne

Un notaire d’aujourd’hui en perdrait presque son latin. Quand peu avant sa mort en 1631, le sieur Jean Lacurne, avocat au Parlement de Dijon, précisait entre autres dispositions testamentaires, qu’il donnait à son neveu le maire d’Arlay, son « pot de noix confites » et « son écorce de citron ». De même que, et c’est le plus important, son recueil de proverbes « qui n’est point achevé ». Il se trouve que le recueil en question vient d’être publié aux éditions Honoré Champion,  sous la houlette du philologue et traducteur, Michael Kramer. Il s’agit-là ni plus ni moins d’une sorte d’exploit éditorial que cette « Anthologie et conférence des proverbes français, italiens et espagnols », contenant quelque huit cents occurrences. Double exploit posthume puisque d’une part, c’est la première fois que cette recension savante est publiée dans son intégralité et parce que d’autre part, Michael Kramer en a identifié l’auteur. Jusqu’à présent, le volume n’était qu’une référence de bibliothèque, après maints legs et péripéties. Continuer la lecture

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Marcel Sembat, le révolutionnaire distingué

Il y a plusieurs justifications à évoquer Marcel Sembat aujourd’hui. D’abord parce que cela fera cette année cent ans qu’il est mort brutalement. Ensuite cet homme de gauche a été ministre d’un gouvernement d’union entre 1914 et 1916, ce qui l’ancre dans une problématique très contemporaine. Également en raison de son engagement pour les arts et les artistes qui allait de pair avec ses convictions politiques en matière de liberté d’expression. Un livre publié en 2008 aux éditions Somogy/Archive Nationales (ci-contre) raconte non seulement en détail la vie de cet homme mais aussi le couple qu’il formait avec l’artiste Georgette Agutte. Intitulé « Marcel Sembat et Georgette Agutte à la croisée des avant-gardes », l’ouvrage va donc bien au-delà du terrain politique en s’attardant sur le collectionneur qu’il fut avec son épouse et ses relations plus ou moins denses avec des personnalités comme Rosa Luxemburg, Auguste Rodin, Matisse, Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars ou encore Marcel Proust. Continuer la lecture

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Explosion en plein vol

Grand Prix de littérature dramatique 2020 Artcena, “Romance” de Catherine Benhamou dresse un poignant portrait d’une adolescente d’aujourd’hui. Coincée dans sa banlieue, en quête d’un avenir qu’elle aimerait pouvoir maîtriser, une jeune fille se voit prise au piège des relations entretenues sur les réseaux sociaux. Laurent Maindon, dont la compagnie s’est fait le chantre du répertoire contemporain, y voyant un moyen de mieux appréhender notre société et d’en chercher des clés de compréhension, a choisi de porter ce texte à la scène. On ne pouvait rêver meilleure rencontre. Ce seul en scène est, de plus, interprété par une jeune comédienne extrêmement talentueuse dont le nom est à retenir : Marion Solange-Malenfant. Le spectacle se jouera cet été au Festival d’Avignon. Continuer la lecture

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Entre Manuel de Falla et Federico Garcia Lorca, une profonde amitié

Encore enivré des effluves de jasmin qui accompagnent sa visite de l’Alhambra, le touriste de Grenade a rarement l’idée de se rendre dans une petite ruelle proche pour y découvrir le «Carmen de la Antequeruela». Les «carmenes», désignent à Grenade des habitations particulières typiques, possédant un patio et un petit jardin, conçues pour favoriser une relative fraîcheur. Celle-ci fut pendant près de quarante ans la résidence du plus célèbre des compositeurs espagnols, Manuel de Falla. Né à Cadix en 1876, il s’y était installé en 1920. Il connaissait déjà la célébrité grâce à ses musiques de ballet comme «L’Amour Sorcier» ou «Le Tricorne», créé par Diaghilev. Après ses années parisiennes où il s’était notamment lié avec Debussy et Paul Dukas, il souhaitait vivre dans un lieu propice à la contemplation. Idéalement située dans l’enchanteresse ville andalouse, cette maison comblait ses attentes. Il y vécut de 1920 à 1939, en compagnie de sa sœur Maria, avant de s’exiler à la fin de la guerre civile, en Argentine, toujours avec sa sœur. C’est dans ce pays qu’il décéda en 1946. Continuer la lecture

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Adogrammes colonisateurs

Il ne faut jamais défier les adolescents trop longtemps. Si le projet est bien présenté, ils foncent. C’est ce qui est arrivé à quelques jeunes chanceux appartenant à des classes de sixième et de cinquième. Leur prof Tristan Félix, poète par ailleurs et bien d’autres choses encore, leur a proposé de « coloniser » des pages blanches, avec des calligrammes, mot inventé par Apollinaire après le temps des calligraphes. Un exercice consistant à plier les mots au service de la forme. Elle en a fait un livre étonnant dont la couverture parle toute seule. Sur ce dessin soumis aux contours du sujet, peut-être un autoportrait, on peut lire sur la droite, le long d’une courbe qui épouse une natte: « Mes épaules portent un lourd fardeau, un ensemble de faiblesses et de défauts. » Ce qui traduit bien les doutes existentiels, la faible estime de soi que l’on peut avoir à cet âge où tout va commencer, où l’innocence s’éloigne inexorablement dans le rétroviseur. Continuer la lecture

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Paris-Lisbonne en passant par Yerres

Nous sommes à Yerres à 25 km de Paris soit à une demi-heure de voiture. La propriété dénommée «Maison Caillebotte» (1) dresse son imposante architecture néo classique voire néo-palladienne avec ses colonnades et les statues de Vénus et Apollon en façade qui dominent le parc de 11 hectares.  C’est là que résida pendant 19 ans la famille Caillebotte: le père à l’origine de la fortune familiale et le plus célèbre des fils Gustave -très lié aux impressionnistes- qui a peint sur place plus de 90 toiles au cours des étés des années 1870.
La propriété Caillebotte est aussi depuis 2009 un centre d’art qui accueille dans l’ancienne laiterie à savoir «La ferme Ornée» une des plus belles expositions d’une saison franco portugaise battant son plein, laquelle nous raconte une histoire complètement méconnue en France, celle des «modernités portugaises» sur une période qui va de 1910 à 1970 comme cette peinture (détail ci-dessus) de Sarah Affonso réalisée en 1930. Continuer la lecture

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Francfort sur le Main, des saucisses, des banques et une vie culturelle enviable

À 3h30 de Paris en train direct, Francfort sur le Main (au centre-ouest de l’Allemagne, dans le Land de Hesse) vaut largement quelques jours de visite. Loin de l’image austère que pourrait véhiculer ce pôle financier, la ville de 800 000 habitants est belle, agréable à vivre et présente de nombreux atouts culturels. On imagine souvent Francfort comme une ville fébrile et sans cachet dont les activités sont toutes tournées vers le commerce et la finance. Il faut dire que la lutte qu’elle a menée au moment du Brexit, à côté d’autres villes européennes, pour s’imposer comme la plus importante place-forte financière d’Europe, n’a fait que renforcer cette image. Elle avait ses atouts. La banque centrale européenne (ci-contre) est installée à Francfort, de même que la banque centrale allemande, la Bourse allemande, la Commerzbank -pour citer les plus connues- ainsi quelques 400 autres institutions financières et sièges de grandes compagnies. Continuer la lecture

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Parfums de Chine et d’industrie

En face de cet autre confluent qu’est celui de la Marne et de la Seine se trouve un complexe hôtelier qui fit beaucoup murmurer lors de l’achèvement de sa construction il y a trente ans. Calqué dit-on sur la Cité interdite de Pékin, Chinagora fit peu à peu figure de palais abandonné avant d’être repris par la province chinoise du Hunan afin de transformer l’ensemble en hôtel de luxe. Mais il y eut une période et même aujourd’hui encore vu de l’autre rive, où ce complexe n’était pas sans rappeler ces mirifiques palais à la sauce Hayao Miyazaki où la nuit tombée des nefs scintillantes viennent déposer d’étranges fantômes pour d’improbables messes païennes. Dans cette banlieue d’Alfortville, garnie de maints vestiges industriels, cela valait la peine d’y jeter un œil et même les deux. Impliquant une vaste boucle piétonne partant du métro Porte d’Ivry, un point de départ très peu pratique mais qui a l’insigne avantage de faire découvrir au visiteur une zone en perpétuelle mutation. Continuer la lecture

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