À Argenteuil, une maison rose aux volets verts  

Nous sommes nombreux à connaître la maison de Giverny et son sublime jardin où Claude Monet  s’installe en 1883. Elle attire tous les ans plusieurs centaines de milliers de visiteurs venus du monde entier. Par contre peu de monde sait que le même Claude Monet a vécu 7 ans à partir de 1871 à Argenteuil (Val d’Oise), une période les plus riches de sa vie d’artiste. Puisqu’il réalise sur place 259 œuvres dont 156 sur Argenteuil même. C’est dire l’importance de ce séjour pour le travail artistique du peintre qui côtoie sur place Renoir, Manet, Caillebotte, Sisley, ou encore Jongkind, faisant de la ville un véritable berceau de l’impressionnisme. Continuer la lecture

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Titre et fin

Découvrir dans un TGV  « L’ivresse de la métamorphose » de Stefan Zweig, à côté d’une dame qui dévore « Cher connard » de Virginie Despentes, permet d’une certaine façon de mesurer le temps qui passe. D’autant qu’un regard de biais sur l’ouvrage de la voisine permet rapidement de détecter quelques thèmes à la mode, ceux qui font la base facile d’un succès de librairie. « L’ivresse de la métamorphose » est un roman qui mérite un arrêt aux stands. D’abord parce qu’il est posthume. Sa première parution en allemand date de 1982, quarante ans après le suicide de Zweig, ce qui nous fait quatre-vingts ans cette année. Ensuite parce qu’il n’était pas titré et que le manque a  été comblé en piochant avec une belle pertinence dans la narration. En allemand cela donne « Rausch des verwandlung » mais la tonalité de la version française est plus adéquate parce que moins brutale pour nos ouïes raffinées. Et enfin, parce que Zweig n’a pas pris le temps de terminer l’histoire, laissant le soin au lecteur frustré de s’en charger. Continuer la lecture

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Façonnier en bons mots

Dans les décennies 1960-70, l’intelligentsia de la pellicule considérait quiconque prenait plaisir aux dialogues de Michel Audiard comme un bas du front incurable, hermétique au vrai cinéma, celui visant l’Art et non la distraction du public. La cohorte des intellectuels engagés (osons le pléonasme) assimilait son travail à une entreprise d’abêtissement des masses. Le critique Jean-Louis Bory remarquait, finement, dans le Nouvel Obs : «J’ai déjà marché dans du Audiard, mais c’était du pied gauche et ça m’a porté chance». Avec le sens des nuances propre aux comités d’épuration, François Truffaut avait renchéri, dans les Cahiers du Cinéma : «Les dialogues de Michel Audiard dépassent en vulgarité ce que l’on peut écrire de plus bas dans le genre.»  Ce d’autant que le sus-dit se vautrait dans la fange de la production commerciale (arrière la bête hideuse !), faisant de son travail une activité alimentaire. Sa raison sociale : façonnier en bons mots du cinéma franchouillard. La Revue des Deux Mondes vient de lui consacrer un numéro spécial (juillet-août 2022). Continuer la lecture

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Parole d’automate

Soustraction faite de l’émotion qui en résulte, l’unique enregistrement sonore fait par Apollinaire  en décembre 1913, déçoit un peu. Il s’agissait du « Pont Mirabeau », poème publié pour la première fois dans le premier numéro des  Soirées de Paris en février 1912.  Entre la litanie au sens invocatoire et la palabre d’outre-tombe, le bilan est pour le moins étrange. Et peut-être le poète aurait-il fini, s’il avait vécu plus longtemps et donc avec un peu plus d’entraînement, par rectifier le tir. C’est ce que l’on pourrait supposer en écoutant le comédien Pierre Bertin (1891-1984) qui s’exprimait à la radio en 1953 et en 51 secondes, sur le sujet de la déclamation poétique. Ce sociétaire de la Comédie Française a eu la chance de connaître Guillaume Apollinaire et de restituer sur les ondes le point de vue de celui qui avait déjà décidé à l’écrit, d’abolir la ponctuation, partant justement du principe que la seule prosodie pouvait suffire à faire le job. Continuer la lecture

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Un pape lozérien

Quel bien petit village que celui de Grizac, au sud du Mont-Lozère, comme lieu de naissance du si grand pape que fut Urbain V ! Pensez donc : béatifié en 1870, il est le seul des pontifes avignonnais (sept papes et deux papes schismatiques) ayant reçu le titre de Bienheureux! Le futur pape naquit en 1309 à Grizac, hameau des Hautes-Cévennes en pays gévaudan, dans le château familial construit peu avant sa naissance par son père, le chevalier-paysan Guillaume II Grimoard. Non seulement Grizac était et demeure un hameau des plus modestes (à quelques kilomètres de Pont-de-Montvert où débuta la guerre des Camisards au XVIIIème siècle), mais curieusement, le château se situe en contrebas du village, une position inhabituelle, et il se présente plutôt comme une grosse ferme à peine fortifiée.  Quand on arrive devant l’entrée, on aperçoit au premier plan une série de petits bâtiments, tel un four à pain conique, comme on en voit autour des nombreuses fermes de la région, abandonnées ou en cours de restauration. Au second plan, se dresse le vaste corps de la façade rectangulaire, trouée de minuscules ouvertures, flanqué à droite d’une tour appuyée à un autre bâtiment perpendiculaire, le tout massif et austère, en pierre de granit régional et toit de lauzes, comme toute ferme du coin qui se respecte. Continuer la lecture

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Eau et gaz

Chaque épisode de sécheresse vient nous rappeler la valeur de l’eau. Sauf que nous sommes de plus en nombreux à en avoir besoin. Et c’est ce qui peut venir à l’esprit du visiteur se disant un samedi du mois d’août qu’il y a toujours quelque chose à découvrir ou redécouvrir au Musée des Arts et Métiers. Car en effet, tout au bout du premier couloir du 2e étage, est reconstitué le laboratoire de Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794). Et la courte notice en proue ne manque pas d’interpeller eu égard à l’actualité météo. Vu que vers 1787, au moyen des deux balances de précision dont il dispose en tant que titulaire d’une charge de fermier général, il pèse sans plus de façon un peu d’hydrogène et d’oxygène. En les recomposant dans le même  ballon grâce une étincelle, il obtient quelques gouttes d’eau. C’est d’ailleurs lui qui a baptisé les deux gaz et comme nous savons aujourd’hui liquéfier l’air (grâce à Georges Claude en 1902), il est possible de se dire que l’on trouvera toujours une solution si l’on continue de tout gâcher. Continuer la lecture

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Rhétorique fermentée

Soit un yaourt. Il y a beau temps que la yaourtière a disparu des listes de mariage, déserté les cadeaux de Fête des mères. La ménagère a abandonné la fabrication de la chose aux sociétés laitières. Le décret n°63-695 du 10 juillet 1963 dispose : « La dénomination yaourt ou yoghourt est réservée au lait fermenté obtenu, selon les usages loyaux et constants, par le développement des seules bactéries lactico bulgaricus et streptococcus thermophilus, qui doivent être ensemencées simultanément et se trouver vivantes dans le produit mis en vente ». Il sera postérieurement précisé qu’un pot doit contenir au moins dix millions de bactéries par gramme. Par conséquent, le skyr, présenté comme un «yaourt islandais», à base de lait pasteurisé et de ferments lactiques constitue un abus de langage. Un usage constant consacre l’appellation yaourt à la recette de base, le terme yoghourt désignant, lui, la spécialité dite «à la grecque», enrichie en crème, donc plus grasse. Continuer la lecture

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Escargots, tripes et littérature

  1. On ne pouvait attendre de Francis Picabia qu’il fît une couverture sage. Sa marque de fabrique étant la provocation, il réalisa pour la couverture de Littérature un Sacré-Cœur sanglant, dans l’idée plus ou moins réussie de choquer. C’était le premier septembre 1922, il y a pile cent ans donc. André Breton venait de lui confier la direction artistique de cette revue particulière née trois ans plus tôt au carrefour du surréalisme et du dadaïsme. Avec Picabia, Breton jouait sur du velours. Pour ce qui était de déranger, son aîné, ami et complice, avait déjà un beau parcours derrière lui. Les trois premiers numéros de la seconde série avaient vu leur couverture ornée d’un chapeau haut de forme signé Man Ray. Francis Picabia allait de son côté laisser libre cours à sa fantaisie créative. Cette revue avait mobilisé dès l’origine au moins trois espèces de génies de l’époque, Louis Aragon, André Breton et Philippe Soupault. Continuer la lecture
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Documenta Fifteen à Cassel (Allemagne) : Art et/ou militantisme ?

Disons-le d’emblée, la Documenta Fifteen, la 15e exposition internationale d’art contemporain, qui se tient tous les 5 ans à Cassel (Hesse) pendant 100 jours, n’attire pas les foules. Et, la presse s’est avant tout fait son écho pour relater les scandales qui ont entaché la manifestation et mené à la démission de sa directrice générale, quelques jours après son ouverture. La gigantesque fresque « People’s Justice » du collectif indonésien Taring Padi, suspendue à l’extérieur du Fridericianum, musée emblématique (ci-contre) où a eu lieu la première documenta, comportait en effet des éléments antisémites. On y voyait notamment un soldat à tête de cochon avec une étoile de David et un casque du Mossad ainsi qu’un homme aux longues dents pointues avec un chapeau portant le signe des SS. Incident d’autant plus regrettable que la documenta a été créée en 1955 par Arnold Bode (1900-1977), artiste et professeur d’art de Kassel, afin de réhabiliter et promouvoir les artistes dont les œuvres, qualifiées d’«art dégénéré», avaient été interdites par les nazis. Continuer la lecture

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Festival d’Avignon, coups de cœur 2022 (suite)

C’est à un exercice périlleux que s’est livrée Anne Consigny en portant à elle seule l’adaptation, la mise en scène et l’interprétation du roman mythique de Marguerite Duras “Un Barrage contre le Pacifique” (1950). Gageure merveilleusement réussie ! Pour mémoire, ce récit d’inspiration autobiographique relate la vie d’une veuve et de ses deux enfants, Joseph et Suzanne (20 et 16 ans), dans le sud de l’Indochine française dans les années 30. Propriétaire d’une concession incultivable, la mère tente désespérément de construire un barrage contre le Pacifique, qui inonde régulièrement ses terres, et sombre peu à peu dans la folie. Dans une jolie robe évasée rouge et blanche à motifs qui lui sied à ravir, après avoir envoyé balader son grand chapeau de paille et ses souliers, et avec un escabeau pour tout décor, l’actrice habite de sa grâce juvénile et virevoltante l’entièreté du plateau. Elle est tout à la fois la mère, Suzanne, Joseph et M. Jo, ce riche Chinois qui n’est pas sans annoncer celui de “L’Amant” (1984). Silhouette gracile, timbre délicat, elle les interprète avec une infinie subtilité et, à travers le portrait de la mère, rend un émouvant hommage à toutes ces battantes brisées par la vie. Magnifique ! Continuer la lecture

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