André Billy vivant

Pour une enquête biographique en bonne et due forme il allait falloir attendre quelques années supplémentaires. Il y aura un siècle en octobre que paraissait le premier ouvrage de référence sur Guillaume Apollinaire. Pas une biographie non, mais un livre trempé d’affection et même d’un peu de chagrin car la disparition du poète multitâche en 1918, était si l’on peut dire, encore fraîche.  « Apollinaire vivant » ainsi était titré l’opuscule, ne commençait pas vraiment par un « né le ». Mais par ce paragraphe qui relevait sans aucun doute de l’amour fraternel: « Connaissais-tu Guillaume, ce restaurant de la rue Caulaincourt où c’est en ce moment la mode d’aller manger une bourride, un homard à l’américaine, une perdrix aux choux ou quelque autre plat de haut goût? ». Et de poursuivre en spéculant sur le nouveau destin de Guillaume humant quelque marmite céleste destinée aux banquets éternels. André Billy s’était rendu un jour au cimetière du Père Lachaise. Il avait pris le tramway jusqu’à la place Gambetta. Et avait ragé, sous une chaleur pénible, de ne trouver du premier coup la tombe de son ami. Ils s’étaient connus seulement 15 ans plus tôt. Continuer la lecture

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Saltimbanque

Jusqu’au 8 mai 2023, à la BPI de Beaubourg, une exposition Serge Gainsbourg, s’intitule «Le mot exact». Le but ? Faire comprendre que «les petites conneries» qu’il écrivait, ressortant, selon lui, d’un «art mineur» n’en étaient pas moins le produit d’un travail d’artisan littérateur. Les manuscrits, tapuscrits mis en vitrines, quelques ouvrages issus de sa bibliothèque dévoilent une partie de ses sources d’inspiration. Il part de la sonorité des mots, «du titre, qui lui donne le poème, et par le découpage de la versification, conduit à la structure musicale de la mélodie». Il associe la rime complexe, en français choisi, à l’argot, aux anglicismes, aux onomatopées, sans limites aux mélanges. Sur les 550 chansons identifiées, les deux tiers ont été écrites pour d’autres que lui, mais, à chaque fois, on reconnaît son style. À côté de ce matériel documentaire, quelques objets personnels : cannes, couverts de table, une paire de ses emblématiques chaussures Repetto (ci-dessus), un curieux bar de voyage (autant dire une trousse d’urgence). Continuer la lecture

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Clara Haskil, pianiste virtuose

« Parmi mes amis, j’ai pu côtoyer trois génies : le professeur Einstein, Winston Churchill et Clara Haskil » disait Charlie Chaplin, son voisin à Vevey (Suisse). Clara Haskil (1895-1960), pianiste virtuose d’origine roumaine. Les mélomanes la connaissent sans doute. Les autres, c’est moins probable. Sa gloire, tardive, ne dura qu’une petite dizaine d’années. Ses enregistrements, bien qu’admirables, furent peu nombreux (1). Serge Kribus, né en 1962 à Bruxelles, la découvrit à l’âge de 16 ans un peu par hasard, au détour d’une médiathèque, et ne cessa, par la suite, de l’écouter. Et c’est tout le mérite de sa pièce, “Clara Haskil Prélude et Fugue”, de remettre aujourd’hui en lumière cette artiste prodige à l’attachante personnalité. Mise en scène par Safy Nebbou et admirablement interprétée par Laetitia Casta, au côté de la talentueuse pianiste turco-belge Isil Bengi, la pièce raconte Clara à la première personne pendant les quelque 66 ans que dura sa vie. Forte de son succès, la pièce est reprise au Théâtre du Rond-Point. Continuer la lecture

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Au-delà de la flamboyance

Dans les années 1950, Douglas Sirk était considéré à Hollywood, non sans un certain mépris, comme «le maître du mélodrame flamboyant». Des mélodrames qui flamboyaient un peu trop visuellement, racontaient des histoires invraisemblables à faire pleurer dans les chaumières, servies par des personnages vraiment trop primaires. Il se situait seul dans une catégorie à part, regardé de haut par la critique. Il suffit de penser au «Secret magnifique» («The magnificent obsession», 1954), «Écrit sur du vent» («Written on the Wind», 1956), ou «Mirage de la vie» («Imitation of life», 1959), avec pour star Lana Turner, le plus gros succès Universal de l’année. Pourtant le roi du mélo devait quitter Hollywood cette année-là, après y être arrivé en 1937 pour fuir le nazisme. Il ne s’était jamais intégré à la communauté austro-allemande pourtant riche de sommités comme Ernst Lubitsch, Billy Wilder, ou Fritz Lang, qu’il trouvait beaucoup trop méprisants vis-à-vis de la faune locale. Cet intellectuel raffiné avait à son arrivée acheté un terrain non loin de Los Angeles pour construire une ferme, et s’était improvisé éleveur de poulets afin de subsister avec sa femme juive, l’actrice Hilde Jary. Le cinéaste dirait plus tard qu’il avait trouvé ses collègues agriculteurs bien plus chaleureux que ceux de Hollywood… Continuer la lecture

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Atrophie programmée de l’intelligence

En marge des générateurs de textes biberonnés à l’intelligence artificielle, il existe au moins un site Internet qui se propose de produire de la poésie à la demande. Sous le nom de baptême OuPouCo, soit « Ouvroir de Poésie Combinatoire », l’engin accessible gratuitement a repris à son compte l’idée de Raymond Queneau (1903-1976) visant à créer cent mille milliards de poèmes à partir de combinaisons quasi-infinies. Dans ce cas précis, le site OuPouCo débite des poèmes sur l’étal en amalgamant des textes issus d’environ 4.500 sonnets du 19e siècle, selon un procédé élaboré par le laboratoire Lattice, émanation du CNRS. Une entité qui compte dans ses « structures associées » l’Université Sorbonne nouvelle ainsi que l’École normale supérieure. Et donc une fois sur la page, il suffit de donner un titre au poème en devenir et un nom d’auteur, pour que la machine crépite et émette un texte inédit. Si on veut aller plus loin, il est possible de définir une période, un auteur pour influencer le résultat (Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé…) et d’agir sur un curseur allant de la rime « pauvre » à la rime « intense ». Continuer la lecture

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Le paradis en un clic

Le bonheur n’est plus dans le pré. Il est au bout du doigt. Un seul clic peut vous conduire aux portes du paradis. Peu importe que vous n’ayez rien sollicité et que l’envie ne vous ait même pas effleuré, un rêve inavoué a pris forme sur votre écran d’ordinateur géré par de mystérieux algorithmes. Le tour-operator vous connaît, il connaît vos désirs secrets. L’hydre de l’“All inclusive“ vous menace. Défilent alors sur l’écran autant de destinées paradisiaques que de descriptions mirifiques. Comme on ne peut se dédoubler et que, par ailleurs, il semblerait qu’on ne vive qu’une fois, le supplice du choix va commencer. Préférez-vous un «écrin confidentiel» ou une «luxueuse escapade» ? Une « parenthèse prestigieuse » ou une «divine idylle» ? Êtes-vous tenté par «un magnifique bijou oriental» ou par un «sublime palazzo florentin»? Voici un «cadre magnifique sur l’océan à l‘ile Maurice» et un «séjour inoubliable devant les eaux turquoise à Punta Cana». Vous pouvez encore vivre une «expérience magique et gastronomique à Valence» à moins d’opter pour une « immersion culturelle étoilée à Zanzibar ». Continuer la lecture

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Relire l’avenir

C’était le 21 février 2023. De bonne heure dans un café parisien, une femme commentait son horoscope, dans le bien nommé journal, Le Parisien. Sur un ton qui n’appartient qu’aux vieux habitants de l’île de France, elle raillait la prédiction du jour selon laquelle elle « supporterait mal les reproches » que son conjoint lui ferait. S’il y a bien une chose prévisible chez lui remarquait-elle en substance, c’est bien son « côté jamais content de moi ». De derrière ses lunettes rondes elle lut aussi qu’à la rubrique Réussite, il fallait qu’elle ne prenne pas mal « les remarques au travail » car susceptibles d’être « très constructives ». Décidément « c’est ma journée » semblaient exprimer les plis de son visage, lesquels s’accentuèrent encore en lisant au chapitre forme que son « stress » irait progressant. « À un jour près, souligna-t-elle amère, j’étais poissons avec une harmonie qui règne et une vie familiale sereine ». L’un des clients accoudés au bar déclara que lui était précisément du signe des poissons mais déclina d’un geste de la main la proposition d’offrir sa tournée. Continuer la lecture

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Bruxelles, quelques pépites architecturales

Si Bruxelles est avant tout connu pour son style architectural Art nouveau, dont Victor Horta et Paul Hanka sont les dignes représentants, quelques pépites moins courues méritent elles aussi l’attention. Sur l’avenue Tervueren de Bruxelles, une immense et luxueuse propriété, entièrement revêtue de marbre encadré de cornières de bronze, attire immanquablement le regard. C’est le palais Stoclet, du nom du banquier belge commanditaire de cet ouvrage auquel il avait alloué un budget illimité. Une construction aux lignes épurées, unique en son genre, conçue entre 1905 et 1911 par le grand architecte de la Sécession Viennoise, Joseph Hoffmann. Continuer la lecture

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Compétitions perdues

Le 18 décembre dernier, dans le stade de Lusail, au Qatar, les équipes de France et d’Argentine s’affrontent pour la coupe du monde de football. La multitude des amateurs s’est rassemblée devant le petit écran, comme en témoigne les indices de consommation de bière en boîte et de pizzas à livrer. Les réfractaires ont dû courber l’échine sous le matraquage médiatique, en attendant le coup de sifflet final. Impossible d’y échapper, sauf à vivre en anachorète. Un score insuffisant des Bleus aux tirs au but leur épargnèrent cette déferlante populaire qui aurait nécessairement accompagné leur victoire. Le phénomène n’est pas nouveau. Dans la Rome antique, le peuple entrait en transes, lors des courses de chars au Circus maximus. La popularité de Flavius Scorpus, un aurige resté fameux, et ses revenus, valaient bien ceux de Kylian M’Bappé. Il n’eut pas trop le temps d’en profiter, car, dans cette compétition, tous les coups étaient permis, et les accidents fréquents. Ce qui, d’ailleurs, faisait partie de l’attraction. Continuer la lecture

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Un palais épiscopal pour un musée d’art moderne

Juste au dessus de ce portrait de femme exécuté par Jean Metzinger, figure une phrase de Guillaume Apollinaire disant que le « cubisme est l’art de peindre des ensembles nouveaux avec des éléments empruntés non à la réalité de la vision mais à la réalité de conception ». Jean Metzinger (1883-1956) était un ami d’Apollinaire et il avait écrit comme lui, en collaboration avec un autre ami tiers Albert Gleizes, une définition du cubisme. Ce qui est marquant lorsque l’on parcourt la partie rénovée du musée d’Art Moderne de Troyes, c’est qu’Apollinaire est partout, suivant une trajectoire complexe comparable à une boule de billard. C’est l’une des bonnes surprises de cette réouverture partielle après quatre années de travaux. Les visiteurs peuvent à nouveau pousser les portes de ce palais épiscopal au charme implacable. Il est toujours réconfortant de constater qu’une ville de province sait mettre les moyens afin de proposer à ses habitants comme aux touristes, une offre culturelle substantielle venant s’ajouter à un patrimoine local déjà bien consistant. Continuer la lecture

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