Une famille aux Tuileries

Le 6 octobre 1789, les Parisiens ramenèrent de force à Paris leur roi, sa femme et leurs enfants. Les revendications sur le prix du pain et la méfiance vis-à-vis du roi qui avait rappelé auprès de lui le régiment de Flandre avaient provoqué cette irruption violente du peuple à Versailles et la conduite sous escorte de la famille royale au Palais des Tuileries, au cœur de la capitale. L’événement intervenait après des mois d’agitation au cours desquels le pouvoir de la monarchie avait déjà été sérieusement ébranlé : transformation des États Généraux en Assemblée nationale, puis en Assemblée constituante, prise de la Bastille, abolition des privilèges. Louis XVI et Marie-Antoinette, désormais placés sous surveillance, ne reverront jamais Versailles. Pendant trois ans -mille jours-, c’est aux Tuileries que, de maladresses en irrésolutions, le roi verra s’atrophier jour après jour, puis disparaître de façon tragique le pouvoir et la monarchie millénaires dont il avait hérité. L’histoire s’incarne dans des lieux et non dans des livres. Le palais des Tuileries n’existe plus aujourd’hui car incendié par la Commune de Paris en 1871 et finalement jamais reconstruit, mais il restera une scène majeure de l’histoire de France. Pendant trois, ans, c’est à huis clos que s’y jouent les derniers moments d’une monarchie, mais aussi d’une famille entourée de ses derniers fidèles : domestiques, gardes suisses, proches comme le comte de Fersen, ami de la reine et aristocrate suédois. Continuer la lecture

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Paysages au flash

Lorsque les œuvres relevant de l’art contemporain auront fini d’aller chatouiller les limites du possible, gageons que le paysagisme et l’art du portrait opéreront un inexorable retour. C’est la réflexion qui peut venir à l’esprit en ce moment-même devant les peintures de Thomas Verny exposées au musée  Paul Valéry de Sète (Hérault). Bien que ses références en peinture s’accrochent à des grands noms comme Jean-Baptiste Corot, Félix Valloton, Albert Marquet ou Pierre-Henri de Valenciennes, il a indéniablement développé son style propre. Au moins sur ses plus grandes toiles où un agencement spécifique des couleurs locales, faites d’un savant mixage de matière vinylique et de pastel, confère à chaque résultat, chaque conjugaison, la mer bleue, les pins verts, les tuiles des toits rouges, un effet flashy propre à séduire. En revanche ses petits pastels sur carton ébranlent moins la rétine, mais au bénéfice d’un charme intimiste qui fait tout de même mouche. Continuer la lecture

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La leçon de peinture de Balzac

À la demande du marchand d’art Ambroise Vollard, Picasso avait illustré la nouvelle de Balzac (1799-1850) “Le chef-d’œuvre inconnu” (1831). Cette réflexion sur la création artistique et la notion de chef-d’œuvre ne pouvait que parler, il est vrai, au génie espagnol. À un siècle d’intervalle -l’édition d’Ambroise Vollard date de 1931-, le romancier et le peintre avaient ainsi uni leurs talents pour raconter l’histoire de Frenhofer, ce peintre exceptionnel et vieillissant qui cherche désespérément à atteindre la perfection avec un portrait de femme sur lequel il ne cesse de travailler depuis dix ans. Accéder au sublime à travers l’œuvre d’art, tel est le rêve que poursuit Frenhofer, la quête qui le mènera à sa perte. Le cinéaste Jacques Rivette avait, lui aussi, raconté l’histoire, à sa façon, avec son film “La Belle Noiseuse” (1991). Aujourd’hui, c’est sur la petite scène du Théâtre Essaïon, à Paris, que la comédienne Catherine Aymerie s’empare de la nouvelle balzacienne. Une leçon de peinture joliment menée ! Continuer la lecture

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Le goût suranné du travail bien fait

En 1996, à quelques semaines d’intervalle, le journaliste Philippe Lançon signait deux portraits plutôt inspirés pour Libération avec cette originalité d’écriture qui lui est propre. Sur l’actrice Marie Trintignant, évoquant plus particulièrement son rôle dans « Série noire » d’Alain Corneau, il disait qu’elle y faisait figure de « pauvre carabine à l’air déprimé ». Sur la photo en très gros plan (signée Luc Perenom) elle mord ses lèvres, ses yeux sont vert liquide, on reconnaît bien la femme décédée sous les coups de son compagnon en 2003. Le texte était titré  « Incertain sourire » et c’est assez amusant puisque le portrait suivant, six semaines plus tard, concernait Françoise Sagan laquelle, on le sait, avait publié un jour un roman intitulé  « Un certain sourire ». Là aussi, le personnage était parfaitement adapté à la plume de Philippe Lançon, écrivant par exemple que les mots de l’écrivaine fatiguée d’articuler étaient « comme des chauffards en fuite ». Ces deux profilages experts avaient été réunis parmi les meilleurs publiés par Libération aux éditions de la Table Ronde, en octobre 2010. Libération s’apprêtant à célébrer début avril ses cinquante années d’existence, il fallait bien trouver un angle original. Continuer la lecture

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Un quatuor au salon

Et si vous invitiez un quatuor dans votre salon ? C’est de plus en plus tendance, car il faut bien aider les jeunes musiciens qui n’ont pas la vie facile…. Il existe depuis longtemps des organisations proposant de programmer une soirée musicale chez soi, l’une des plus connues étant l’association caritative «Coline en ré» (visible sur internet), recueillant des fonds pour sauver des enfants dans le monde entier. Si on possède un piano, va pour un pianiste, sinon des virtuoses des cordes feront l’affaire. Il est plus rare d’inviter un quatuor de flûtistes, comme l’a fait récemment mon amie de longue date Ariane, de sa seule initiative. Tombée amoureuse de la flûte traversière depuis sa retraite (prématurée car cœur fragile), elle pratique depuis régulièrement, voire assidûment. Et comme pour les pros, elle est tombée il y a quelques années sur une professeure exceptionnelle qui lui a fait reprendre sa technique à zéro, une jeune argentine nommée Florencia Jaurena. Continuer la lecture

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Plaisante mais finalement vaine tentative de retrouver un gisant

Ce n’est sûrement pas tous les jours que quelqu’un se présente à l’accueil de l’ancien cimetière français de Mexico afin de s’enquérir de l’emplacement funéraire de Alberto Eugenio Giovanni de Kostrowitzky, le demi-frère de Guillaume Apollinaire. Mais voilà qui est fait, un peu plus de trois ans après que nous eûmes retrouvé sa dernière trace terrestre (1). Certificat de décès en main nous avions pu établir qu’il était décédé le 4 juin 1919 à 14h45 d’une septicémie-phlébite-typhus dans un hôpital français, au numéro 150 de la rue de l’hôpital. Le certificat précisait qu’il  était agent de négoce. Et que sa dépouille avait été enterrée au «Panteon Frances de la Piedad, Mexico, Mexique». Il restait à franchir l’Atlantique pour voir si par chance une stèle attestait toujours de cet événement grâce à un complice, ami lillois et lecteur des Soirées, Henri Vanderhaghen. Cent ans après, la probabilité qu’il restât quelque chose était assez faible mais il fallait vérifier. Chercher enclenche l’aventure et il ne faut pas négliger ce type d’occasion. Ce qui au passage, ne nous dispense pas de remercier le bienveillant commandité, dans un rôle équivalent à Harrison Ford dans « Les aventuriers de l’arche perdue ». Sans oublier une amie mexicaine qui s’était également déplacée pour faciliter les choses. Continuer la lecture

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A votre santé

Champagne ! Le mot se conjugue à l’impératif dès qu’un succès se concrétise. A l’issue d’une épreuve automobile ou d’une course à la voile, le vainqueur masturbe frénétiquement un magnum pour éclabousser les spectateurs pressés contre le podium. Le champagne revendique, depuis qu’il sait pétiller, la signature d’un apéro un tant soit peu festif. Le dictionnaire indique, au mot champagne, «vin blanc de Champagne rendu mousseux». Cette définition, pour tout un chacun, frôle le pléonasme, même si le vignoble local assure également la production de vins tranquilles, blancs comme rouges. La côte de Bouzy, versant Sud-Est de la Montagne de Reims produit un vin bouqueté d’une belle couleur grenat. Tout amateur connaît le rôle prêté au révérend père Pierre Pérignon. Le mot « dom », accolé à son patronyme, du latin dominus, est un titre d’honneur en usage dans certains ordres monastiques, notamment les bénédictins, auxquels il appartenait. Les vins blancs de Champagne avaient une tendance naturelle à mousser de façon aléatoire, propriété fâcheuse aux yeux des vignerons. Dom Pérignon semble s’être attaché, vers 1670, à trouver le procédé permettant d’obtenir à coup sur une mousse régulière. Il se serait inspiré de la méthode de vinification de la blanquette de Limoux, dont il fit la découverte lors d’un séjour à l’abbaye de Saint Hilaire, en Languedoc. Continuer la lecture

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Cocteau fait son retour sur les planches

“Faites semblant de pleurer, mes amis, puisque les poètes font semblant d’être morts” déclarait Cocteau dans “Le Testament d’Orphée” (1960). “Comment se porte son œuvre aujourd’hui ?” serait-on tenté de demander alors que se profile le soixantième anniversaire de sa disparition. Si les films de Jean Cocteau (1889-1963) comptent parmi les chefs-d’œuvre de notre patrimoine cinématographique, si ses dessins au style reconnaissable entre tous sont appréciés dans le monde entier, son théâtre, hélas, semblait un peu tombé dans l’oubli ces dernières années. Certes, Jean Marais (1913-1998), l’ami fidèle, n’avait eu de cesse de monter et jouer ses pièces dans le souci de faire perdurer la mémoire de son mentor. Jean-Claude Brialy (1933-2007) avait mis en scène “Les parents terribles” à l’aube du nouveau millénaire et un “Orphée”, porté par une troupe jeune et dynamique, avait vu le jour au Théâtre du Lucernaire en 2019. Mais tout de même…  Aujourd’hui, alors que le Théâtre Hébertot affiche “Les parents terribles” (1938) avec une distribution des plus prestigieuses (Muriel Mayette-Holtz, Maria de Medeiros et Charles Berling en ce qui concerne les fameux parents), voici que son petit voisin se met au diapason avec un drame encore plus rarement joué, “L’Aigle à deux têtes”.  Continuer la lecture

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Point-virgule deux points parenthèse

Il y a trois façons courantes de marquer une pause dans une phrase, la virgule, le point-virgule et le point. Énoncé un peu théorique dans la mesure où le second élément, censé être l’ultime étape avant l’arrêt, a tendance à disparaître des écritures courantes, au même registre d’ailleurs que les accents circonflexes. Sauf erreur de mémoire et imprécision toujours possible, c’est l’acteur Richard Bohringer (1942-) qui avait un jour demandé à un jazzman (bizarrement) quelques conseils avant de se lancer dans l’écriture de son premier livre. Et celui-ci lui avait livré en l’occurrence, un viatique fort simple qui disait: « Tu mets une virgule quand tu veux que ça freine et un point quand tu veux que ça s’arrête. » Trop subtil par rapport à ses cousins (le point de suspension, le point d’exclamation, le point d’interrogation, les deux points) le point-virgule s’efface. C’est un peu comme  l’usage du feu orange sur la route. Il est devenu optionnel, dispensable, illisible. Le point-virgule est pourtant l’un des milliers d’éléments constituant la richesse de la langue française. Laquelle est très proche de se voir célébrer en grandes pompes à Villers-Cotterêts, grâce à une certaine ordonnance de 1539. Continuer la lecture

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Le bazar ou le chaos

Disons que si l’on veut bien accentuer une description laissant entendre qu’un certain désordre règne, il est préférable d’utiliser le mot chaos. Dans la plupart des sujets d’actualité qu’il s’agisse de climat ou de colère sociale, le choix est vite fait. D’autant que parler de bazar a quelque chose de péjoratif susceptible de vexer un responsable politique, un militant ou un manifestant. Mais techniquement c’est faux. Dans l’antiquité, le chaos était considéré, comme l’état d’un monde confus existant avant tout départ de civilisation. Autrement dit, en clair si possible, un juste-avant précédait les prémices de l’apparition de la vie et même de la lumière. C’est dire que l’emploi du mot chaos pour désigner au hasard les conséquences d’une grève des éboueurs a quelque chose d’anachronique sauf à considérer bien sûr que nous ne sommes pas encore sortis de l’entropie originelle. Ce qui donnerait raison à un lycéen reprochant à Élisabeth Borne, sur un plateau de télévision, d’être l’organisatrice du chaos. Mais si l’on s’en tient aux textes, le big bang est quand même un peu loin de notre monde contemporain. Continuer la lecture

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