Un dollar pour une asperge à la Monnaie de Paris

C’est presque à chaque fois pareil. On se rend à l’Hôtel de la Monnaie afin de profiter de la dernière exposition et finalement, c’est l’édifice si raffiné du 18e siècle, œuvre de l’architecte Denis Antoine (1733-1801) sur le quai Conti, qui emporte le match. Le dollar de Andy Warhol, peint en 1981 à l’acrylique (ci-contre), a beau occuper toute une pièce et même au delà grâce à un effet de miroir, le regard ne peut s’empêcher de glisser vers les magnifiques lambris, les portes, les fenêtres, les planchers de bois ou de pierre, les fenêtres ou encore la vue sur la Seine finement filtrée par des rideaux blancs. C’est sans conteste un lieu merveilleux où il ferait bon habiter, où l’on passerait au gré de nos humeurs de pièce en pièce, d’une chambre à une autre chambre, d’une grande réception à l’un des salons cosy. C’est donc presque facile d’y réussir une exposition tellement les aîtres invitent à la bienveillance. Y compris devant l’œuvre de Bertrand Lavier consistant à superposer un coffre-fort et un réfrigérateur, ensemble censé faire référence au « geste duchampien du ready-made » et, aussi pour faire bonne mesure, « à la réflexion de Constantin Brancusi sur une continuité formelle entre la sculpture et son socle ». Continuer la lecture

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Notes éparses d’Apollinaire

Le 14 juillet 1918, Guillaume Apollinaire écrivit dans son cahier à tout faire, une phrase d’une résonance parfaitement d’actualité: « Avec la guerre, l’intelligence a tellement baissé que tout le monde est devenu intelligent. » Quelques semaines auparavant il notait qu’il avait été nommé au ministère des Colonies juste après s’être marié. Ce jour-là d’ailleurs, il consigna de façon laconique cet événement d’importance en ces termes: « Je me suis marié ce matin à 10 heures et demie à la mairie du 7e arrondissement avec Amelia Kolb, dite en général Jacqueline Ruby. » Il précisa comme pour ne pas oublier, que ses témoins étaient Lucien Descaves et Picasso tandis que sa femme était entourée sur ce point de Ambroise Vollard et de Gabrielle Picabia née Buffet. Riche journée qui vit ce petit monde passer devant Dieu à l’église Saint-Thomas d’Aquin (6e arrondissement) et déjeuner au restaurant Poccardi (1). Le soir, seul Picasso s’était invité à la table du nouveau couple. Voilà une des curiosités du « Journal intime » d’Apollinaire titré ainsi en 1991 par l’universitaire Michel Décaudin, lequel en convertit le contenu en écriture typographique et donc ô combien plus aisée à parcourir. Continuer la lecture

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Sarah Bernhardt, la star aux mille et une facettes

Son image orne à l’année la façade du Petit Palais, le musée ayant repris sur son affiche institutionnelle le plus beau fleuron de sa collection : le portrait de Sarah Bernhardt (1844-1923) par Georges Clairin, en robe de satin blanc et dans une pose d’une nonchalance étudiée. Cent ans après sa mort, Sarah Bernhardt est plus que jamais à l’honneur. Le Petit Palais lui consacre une exposition d’une ampleur exceptionnelle, avec plus de 400 œuvres, des célèbres portraits de Nadar et affiches de Mucha à des toilettes et objets lui ayant appartenu, et, de manière tout à fait inédite, des sculptures et tableaux réalisés par la comédienne elle-même. Car c’est une des révélations de l’exposition : nous découvrons une Sarah Bernhardt peintre et sculptrice, mais aussi écrivaine, metteuse en scène, programmatrice, décoratrice, meneuse de troupe… “La Divine”, que Proust décrivit dans son grand œuvre sous les traits de La Berma, surnommée par Victor Hugo “La Voix d’Or”, celle pour laquelle Cocteau inventa le terme de “monstre sacré”, fut une femme et une artiste aux mille et une facettes. Continuer la lecture

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L’espion qui venait d’outre-tombe

Le roman posthume de John le Carré, «L’espion qui aimait les livres», est de la même veine que les autres : dès qu’on a tourné la dernière page, on refuse de quitter les personnages et on n’a qu’une envie, les retrouver en relisant l’ouvrage. Car la fin jette une lumière nouvelle sur le livre entier, et une seconde lecture permet de mieux savourer chaque épisode. D’autant que fidèle à son habitude, le Carré, alias dans le civil David John Moore Cornwell, disparu le 12 décembre 2020 en Cornouailles, se livre à une composition éblouissante de subtilité, ce que Milan Kundera appelle la composition en sonate.
Mais à qui doit-on ce miracle ? Son plus jeune fils, Nick Cornwell, lui-même écrivain sous le nom de Nick Harkaway, s’en explique dans la postface. Il nous raconte que quelques années plus tôt, marchant sur Hampstead Street avec son père, celui-ci lui a demandé de s’engager : «s’il venait à disparaitre en laissant une histoire inachevée sur son bureau, accepterais-je de la terminer ?»  Et le soir de la mort de ce père, contemplant l’océan, le fils s’est souvenu de «L’espion qui aimait les livres» (en anglais «Silverview»), dont il connaissait l’existence mais n’avait pas lu. «Ce n’était pas un roman inachevé, mais un roman non publié. Retravaillé encore et encore.» Entrepris juste après la publication de «Une vérité si délicate», datant de 2013. Alors pourquoi John le Carré ne l’a-t-il jamais publié ? Continuer la lecture

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Gibets et cachots

Cette image pouvant faire penser à Jackson Pollock, chantre de l’action painting, n’est en fait qu’une marque de censure. Afin de tuer le temps et d’entretenir leurs convictions, certains prisonniers du donjon de Vincennes (Val de Marne), garnissaient les murs de leur cellule avec des œuvres graphiques de leur cru. Mais, comme elles ne plaisaient pas forcément aux commanditaires de leur incarcération, une main féroce les rayait en tout sens. Ce qui donne cette modernité abstraite ne manquant pas de frapper l’œil averti. Un panneau nous informe sur l’un des auteurs. Il s’agissait de Étienne Antoine Boulogne (1747-1825) archevêque de Troyes, lequel s’était opposé à l’empereur Napoléon en prenant parti pour le pape Pie VII. Cette même salle de réclusion aurait aussi été celle du comte de Mirabeau (1749-1791). Continuer la lecture

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L’étoile du Nord

D’emblée, le dossier se présente mal ! Le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Faure (1894) prononce une condamnation définitive : «marolles (sans « i » après le « o » dans le document, ndla), fromage qui se fabrique dans le pays de ce nom du département du Nord. Son odeur et sa saveur le font repousser de toute table qui se respecte». Présentant cette particularité comme une qualité, Curnonsky, le qualifiant de «véhément», remarque que sa «tonitruante saveur résonnait comme le son du saxophone dans la symphonie des fromages». Alexandre Dumas, dans son Grand dictionnaire de cuisine (1873), relevant qu’il existe une quantité considérable de fromages, le classe parmi «les plus estimés» ,avec le brie, le livarot, le camembert ou le roquefort. L’intéressé ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. Il peut toutefois se targuer d’une longévité plus que millénaire. Sa présence est attestée dans les alentours de l’abbaye de Maroilles à la fin du dixième siècle, sous la réalité d’un «fromage fiscal», participant au paiement de la redevance dite du «fromage à la vache», source de nombreux contentieux en ces temps lointains. Continuer la lecture

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Le fantôme de Saint-Cloud

Et dire que cette petite chose grise que l’on distingue dans sa châsse est sans doute un bout de radius ou d’humérus ayant appartenu à Clodoald, fils de Clodomir et petit-fils de Clovis. Il est mort très jeune le 7 septembre 560, à Novigentum hameau d’une cinquantaine de feux, aujourd’hui devenu Saint-Cloud dans les Hauts-de-Seine. On avait pourtant pris soin des restes de cet homme susceptible d’accomplir des miracles eu égard à sa relation directe avec Dieu. À la Révolution tout avait été saccagé, mais une dame assez rapide avait récupéré cet ultime échantillon afin de le restituer une fois les émeutes terminées. Cet os qui n’est pas à ronger laisse croire, par sa modestie, qu’il est authentique. Contrairement au Saint-Suaire de Turin qui reste malgré tout en vitrine, photographié tous les jours par des touristes crédules. Quand même, il y a de quoi être pris d’un léger vertige, devant ce mince vestige d’un prince né en 522,  ayant échappé à une mort violente grâce à son entrée en religion. Quinze siècles nous séparent de lui. Continuer la lecture

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Le coup de jeune de la bibliothèque Richelieu

La bibliothèque Richelieu a retrouvé tout son éclat après un travail de rénovation et de modernisation de choc qui a duré dix ans. Ce coup de jeune a notamment le mérite de rendre ce haut lieu de culture plus accessible au grand public. Grâce au décloisonnement, lecteurs et visiteurs peuvent circuler librement dans le grand hall du rez-de-chaussée. Là, l’élégante salle Ovale, désormais ouverte à tous, est une invitation à s’abreuver de culture dans un endroit lumineux et confortable. 20.000 ouvrages y sont mis librement à la disposition du public, dont la plus grande collection de BD en accès libre en France. On peut aussi s’y instruire en explorant la richesse des collections de la BnF grâce à des bornes de médiation intelligentes. Près de la salle Ovale, un bel escalier, œuvre contemporaine constitué d’une hélice ajourée en acier et aluminium vernis, mène au premier étage où se trouve le musée. Plus loin, une rambarde permet à tous de jeter un coup d’œil à la superbe salle Labrouste, réservée aux lecteurs accrédités, qui a inspiré la salle Ovale. Créée en 1868 par Henri Labrouste, cet espace était avant-gardiste : colonnes et structures en fer et fonte pour la sécurité des collections, lumière diffusée par verrières et oculites, poêles calorifères et chaufferettes aux pieds pour le confort des lecteurs. Continuer la lecture

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Apollinaire, chantre du pays flamand

Septembre 1918. La guerre existe depuis quatre ans quand le député du Nord Claude Cochin publie un appel à l’attention du gouvernement de la France et «des sommités intellectuelles des pays neutres» : «Notre cœur saigne en pensant à nos malheureux compatriotes victimes de l’odieuse brutalité du conquérant;  mais notre intelligence souffre en songeant aux trésors d’art livrés à des mains rapaces.» Aux irréparables pertes humaines s’ajoutait «l’inquiétude de voir les œuvres du genre humain mises en grand péril». Dans certains cas, la menace de voir l’ennemi s’approprier les chefs-d’œuvre artistiques des régions occupées avait déjà été mise à exécution. L’appel du député était largement justifié. Plus de soixante personnalités répondirent favorablement à l’initiative encouragée par le président de la République Raymond Poincaré et le président du conseil des ministres Georges Clemenceau. Parmi les signataires, on trouve de nombreuses célébrités de l’époque, notamment les peintres Émile Bernard et Maurice Denis, les écrivains Maurice Barrès, Tristan Derème, Fagus, Maeterlinck, Franz Hellens.  Également sollicité, Guillaume Apollinaire, engagé depuis le début du conflit, souscrivit avec enthousiasme à la demande et envoya au comité un poème spécialement écrit pour la circonstance,  “Souvenirs de Flandres “. Continuer la lecture

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Exil lunaire

Soixante-dix ans après sa première publication, on s’y laisse encore prendre comme des vieux bachibouzouks toujours prêts à remonter en selle. Alors que la NASA vient tout juste d’annoncer le nom des quatre astronautes qui iront en 2024, orbiter autour de notre astre en prévision d’une future installation au sol, « Objectif Lune » montre à bien des égards, comment Hergé avait balisé le trajet. Si cette BD nous réjouit encore l’âme en 2023, on peut imaginer l’étonnement et le plaisir des lecteurs de 7 à 77 ans à une époque où l’URSS n’avait pas encore lancé son satellite Spoutnik. Hergé avait donc une sacrée avance puisque le deuxième tome, « On a marché sur la lune » devait sortir en 1954 contre 1957 pour le drop de Spoutnik. Notre appréciation sur cet album évolue forcément, entre notre regard d’enfant et nos yeux devenus adultes. C’est sans doute ce qui contribue à écarter tout effet de lassitude. Et c’est vrai pour n’importe quel album de Tintin, ce reporter qui n’écrivait jamais, personnifiant ainsi l’idée du reporter en soi, du journaliste totémique, matriciel et référent. Continuer la lecture

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