Seule contre une Big Pharma

Il y a juste deux ans, la chaîne Disney+ diffusait la série « Dopesick »  crucifiant la famille Sackler propriétaire de «Purdue Pharma», une big pharma américaine responsable d’une gigantesque addiction aux opiacés. De quoi s’étonner que depuis août dernier, Netflix diffuse avec succès la minisérie « Painkiller » (antidouleur) sur le même thème. Mais il faut savoir que cette épidémie de puissant antidouleur opiacé atteint des proportions inégalées aux États-Unis depuis une quinzaine d’années, illustrées par le chiffre de 300.000 morts. Il faut aussi rendre à César ce qui est à César: les créateurs américains possèdent un vrai talent pour ce genre de séries basées sur des faits réels et nous en font saisir toute l’horreur. Peut-être faut-il avoir mis le pied aux États-Unis pour comprendre les proportions que les déviances du système peuvent atteindre, d’où la quasi-impossibilité d’y remédier, alors que chez nous on aime se bercer d’illusions. Autre talent US remarquable, celui de mêler réalité et fiction au point de nous rendre incapables de saisir ce qui relève de l’une ou de l’autre, en nous maintenant sur des charbons ardents: jusqu’où vont-ils donc aller dans les révélations sur les turpitudes des vrais méchants? Continuer la lecture

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Saga bleue

Emanuel Haldeman-Julius avait le flair des grands éditeurs. Il n’hésitait pas à changer carrément le titre des ouvrages des grands auteurs qu’il publiait. Et avec quelle radicalité! Ainsi « The talow ball » de Maupassant (Boule de suif) fut transformé en « A french prostitute’s sacrifice », ce qui se comprend sans traduction. En érotisant un brin les titres de ses collections, l’éditeur américain faisait tomber les dollars. Ce qui fait aussi que « The Fleece of gold » de Théophile Gautier (La toison d’or) fut remplacé  par « The quest for a blonde mistress ». Et dans le registre des auteurs anglophones, Haldeman-Julius transforma « Essais sur Joseph Conrad et Oscar Wilde » en « Un navigateur et un homosexuel ». C’était plus vendeur et à chaque fois les chiffres lui donnaient raison. Et comme l’on pouvait avoir vingt des Little Blue Books pour un dollar seulement, l’idée consistait à en acheter 19 « normaux » et en insérer un de plus à connotation érotique pour plus de discrétion. Cela se passait dans la première partie du 20e siècle, en Amérique. Et la saga bleue de cet éditeur hors du commun vient de paraître aux éditions de l’Échappée dans une présentation naturellement blue. Continuer la lecture

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Double langage au Luxembourg

Lorsque Picasso réalise cette étude en vue de la finalisation des « Demoiselles d’Avignon », il connaît Gertrude Stein depuis peu. Américaine, juive, lesbienne, argentée, massive, pratiquant l’écriture poétique, elle a joué un rôle important dans l’art moderne depuis son arrivée à Paris entre 1903 et 1904. C’est en 1907 que les « Demoiselles d’Avignon » voient le jour et c’est aussi pour Gertrude Stein (1874-1946) le moment où elle rencontre Alice B.Toklas qui devient assistante, amante, cuisinière émérite (1) et écrivain à l’humour abrasif. Stein pratiquait le Musée du Luxembourg lorsqu’elle habitait juste à côté rue de Fleurus, là où elle recevait la fine fleur des artistes post-impressionnistes. Le même musée lui rend en ce moment hommage en valorisant sa relation avec Picasso (1881-1973). Au bout d’un nombre substantiel d’heures de pose, ce dernier exécutera un portrait de Gertrude légendaire, peu avant la poussée irrésistible du cubisme. D’aucuns ont pu écrire que l’artiste avait accentué la laideur du modèle, c’est une position injuste. Le résultat est aussi subtil que magistral. Continuer la lecture

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Rose Valland, pour l’amour de l’art

Rose Valland occupait déjà une place importante dans le précédent roman d’Emmanuelle Favier, “La Part des cendres” (1). Aux côtés de la comtesse de Ségur, Stendhal, Virginia Woolf ou encore Marguerite Yourcenar, elle figurait parmi les nombreux personnages de cette gigantesque épopée dans laquelle un petit coffret nous faisait traverser deux siècles de guerres et de spoliations. Tandis qu’Hitler envoyait Goering réquisitionner des œuvres entreposées au Jeu de Paume pour son futur grand musée national de Linz, l’attachée de conservation Rose Valland (1898-1980) en dressait secrètement la liste, à ses risques et périls. Avec “Le Livre de Rose”, paru ces jours-ci, Emmanuelle Favier resserre son étude autour du personnage de Rose. Sous la forme d’un journal d’enquête, et dans un subtil jeu de miroirs, l’auteure du “Courage qu’il faut aux rivières” (2) nous emmène à la découverte de cette résistante aussi discrète que tenace. Une belle mise en lumière d’une femme singulière et fascinante qui œuvra toute sa vie pour l’amour de l’art. Continuer la lecture

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Andy Warhol au nerf du constat

Dans les années soixante et durant un bon mois, Andy Warhol a filmé un certain John Giorno en train de dormir. Cela se passait 74e rue East street à New York. Depuis une caméra fixe, le premier plan représentait l’abdomen du dormeur et totalisait quarante cinq minutes de visionnage. Comme de juste, le film s’intitulerait « Sleep » avec une projection qui cumulerait en salles plusieurs heures au total sans action particulière. De surcroît Warhol avait réduit le rythme en passant de vingt-quatre à seize images par seconde. Dans sa biographie sortie ce printemps chez Flammarion, Michel Nuridsany tient ce propos remarquable à propos de cette performance inédite. Il écrit qu’avec ce film, Andy Warhol est allé au « nerf du constat ». On y comprend au fil des pages que Warhol (1928-1987) prenait bien soin de ne rien faire comme tout le monde, de mettre l’accent sur ce que l’on élimine d’ordinaire, de souligner enfin ses propres défauts comme des valeurs au lieu de les cacher. Continuer la lecture

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Gargantua ou la truculence du verbe

La langue de Rabelais est plutôt rare à entendre sur les scènes de théâtres. Et c’est bien dommage car celle-ci, savoureuse en diable, se prête merveilleusement bien à l’oralité. N’oublions pas que Rabelais (né en 1483 ou 1494 à la Devinière, à Seuilly, près de Chinon, et mort à Paris en 1553) a considérablement enrichi la langue française par ses écrits. Non seulement ce grand érudit officialisa l’usage de nombreux mots d’origine latine, grecque, italienne, arabe ou hébraïque, mais il semble en avoir inventé tout autant. Nombre de néologismes, expressions et jeux de mots nous viennent de lui, sans parler des adjectifs “pantagruélique” et “gargantuesque”, dérivés des noms des deux géants de ses ouvrages les plus célèbres, “Pantagruel” (1532) et “Gargantua” (1534). Le Théâtre de Poche Montparnasse, toujours désireux de mettre en avant les textes des grands auteurs classiques, nous présente actuellement un délectable “Gargantua”, adapté et interprété par le talentueux Pierre-Oliver Mornas. Au plaisir des mots ! Continuer la lecture

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Hors catégorie

Décidément Clint Eastwood n’a rien fait comme les autres, ni comme acteur, ni comme réalisateur, ni comme compositeur, ni comme citoyen. Si bien qu’il a fini par entrer dans la légende hollywoodienne et devenir un classique dans une catégorie n’appartenant qu’à lui seul. Comme il a débuté dans les années cinquante et continue de tourner à 93 ans, cela fait tout de même plus de soixante-dix ans d’activité devant et derrière la caméra, qui dit mieux ? Son dernier film, «Cry Macho», sorti en 2021, est toujours visible sur diverses plateformes (dont Apple tv), ainsi qu’en DVD. Né en 1930 et sans cesse balloté au gré des engagements paternels, il trouvera dans l’amour de sa mère pour le jazz un point d’ancrage et une passion durable. Ensuite il fera ses classes dans «Rawhide», série western de 217 épisodes (1959-1965), à l’instar de Steve McQueen, né la même année, dans «Au nom de la loi» (1958 à 1961). À trente-quatre ans, âge tardif dans ce métier, sa chance tourne avec la trilogie de Sergio Leone «Pour une poignée de dollars», «Et pour quelques dollars de plus», «Le bon, la brute et le truand» (1966). Ainsi impose-t-il à Leone qui a engagé cet inconnu parce qu’il montait bien à cheval son personnage mutique. En faire le moins possible, à l’instar de grands aînés tels Henry Fonda ou Robert Mitchum. Suivront de 1971 à 1988 les polars machos de Don Siegel mêlant paradoxalement brutalité, virilité et sens de la justice, brouillant son image. Continuer la lecture

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Bâle au centre

Ces deux-là semblent sortis du cadre. Parmi toutes les œuvres garnissant les murs du Kunstmuseum, ces « deux amis », ainsi que Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938) a titré sa double sculpture, s’inscrivent dans le flux des visiteurs. L’ensemble à taille humaine date de 1924. Un peu plus loin le même charme agit au travers de ce qui ressemble, dans le même style, à une mère et sa fille. L’insertion n’est ni gratuite ni systématique. Les deux œuvres sont comme posées au bon endroit. Elles ont d’autant plus de valeur que la carrière artistique de Ernst Ludwig Kirchner n’est pas dominée par la sculpture. Mais il a fait cette fois un écart, transposant en trois dimensions son intérêt pour la sculpture « nègre ». Il a cependant été l’un des principaux animateurs du mouvement Die Brücke avant de se rapprocher, après la dissolution du premier, du mouvement Blau Reiter. Ces statues de bois n’ont rien de banal en tout cas. Elles ont plus qu’un regard, un capteur. La proximité des deux couples cités plus haut, traduisent bien par dessus le marché le lien affectif qu’elles sont censées représenter. Et c’est peut-être pour cela que cela fonctionne si bien, comme deux petits îlots de tiédeur dans un musée où l’ambiance neutre est de rigueur. Continuer la lecture

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Siffler le train

Sur la liaison ferroviaire Bâle-Strasbourg (et inversement), le voyageur fait déjà une remarquable incursion dans le passé. Les secondes classes sont à compartiments et la voiture des premières nous ramène par son style intérieur, avec ses sièges jaune-or, aux alentours du premier choc pétrolier. Il ne manque plus que les cendriers. De surcroît une poussière tenace voile la vue sur les Vosges. L’ensemble est vieillissant, à la mesure d’une bonne partie du parc ferroviaire français. L’ironie est que l’étape juste avant Bâle (ou juste après selon le sens) est Mulhouse, ville qui vit justement apparaître au début des années soixante-dix un musée du chemin de fer devenu depuis la Cité du Train. Comme la tête de wagon ci-dessus, nombre de tractions et nombre de voitures encore en service pourraient intégrer ce très vaste espace. Mais la maison de retraite n’est pas pour tout le monde. Certains vieux matériels sont encore bons pour les liaisons laborieuses où les passagers ne sont pas trop regardants sur le décorum du moment que les trains arrivent à l’heure, mais ça aussi ce n’est pas gagné tous les jours. Continuer la lecture

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Promenade alerte dans l’ancien village de Charonne

À peine de retour et déjà la ville et sa fureur vous insupportent ? Pour retrouver un petit goût de campagne, rien de tel qu’une balade dans l’ancien village de Charonne. Rattaché à Paris en 1860, il est depuis intégré au 20e arrondissement. Si Charonne, situé sur la colline de Belleville, était auparavant couvert de vignes, il n’y en a plus trace mais il offre tant d’autres saveurs ! Notre plongée dans le Paris d’autrefois commence au métro Alexandre Dumas et nous mène à la porte de Bagnolet. Au métro Alexandre Dumas, la rue de Bagnolet conduit à la Cité Aubry (première à gauche). Elle abrite un charmant jardin partagé puis débouche dans la Villa Riberolle. Cette belle impasse pavée qui s’étire, nostalgique, jusqu’au mur d’enceinte du cimetière du Père Lachaise est un véritable coup de cœur. Bordée d’anciens ateliers industriels du XIXe siècle, la Villa est aujourd’hui occupée par des artistes, des studios de danse ainsi que par trois restaurants élégants et chers, inédits dans un tel endroit. Ce choix est peut-être motivé par les herbes folles, les ateliers de guingois et les pavés inégaux qui créent une atmosphère digne d’un décor de film ! Continuer la lecture

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