Le dilemme de Solutré

En 1992, cherchant à éviter des manifestants qui l’attendaient à la roche de Solutré (ci-contre), François Mitterrand dut choisir d’escalader la roche de Vergisson, l’escarpement jumeau que l’on voit de loin depuis le premier. En 1995, son état de santé ne lui avait pas permis de finir le parcours. Un document de l’INA (1) le montre en effet assis, l’air affaibli, entouré de Roger Hanin et de Jack Lang. Ce sont à Solutré, ses deux seuls ratés répertoriés. François Mitterrand faisait le parcours à Pâques puis à la Pentecôte car le temps était meilleur. On ne sait pas si la  petite foule habituelle de « followers » le flattait ou l’irritait, toujours est-il qu’à notre humble avis, un peu de sérénité et de solitude siéent davantage à l’excursion qu’une opération de communication politique. Continuer la lecture

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En un mot comme en cent

C’est un rituel sur les réseaux sociaux. Dès qu’une célébrité passe de vie à trépas, l’acronyme « RIP » fuse. Pour ceux qui ne parlent pas l’anglais cela signifie « rest in peace » ou encore « repose en paix ». Et non référendum-d’initiative-partagée comme une lecture trop rapide pourrait le faire croire. « RIP » c’est fait pour les gens pressés avec une pointe de branchitude. Condoléances, c’est un peu ringard sans parler du « je vous présente mes condoléances attristées », expression réservée « aux vieilles badernes » qui défendent la langue française comme on a pu le lire dans une tribune publiée récemment. « RIP » est donc une façon un peu cavalière d’expédier le sujet nécrologique. Cela induit l’idée que l’on veut passer à autre chose, avec un temps de deuil réduit aux acquêts.  Et sans forcément avoir conscience de raviver ainsi le métier de brachygraphe, c’est à dire celui qui écrivait par abréviation. La brachygraphie est en vogue sans que la plupart des locuteurs en aient conscience, presque tout le monde sait maintenant ce que signifie NTM (nique ta mère), MDR (mort de rire) ou encore le très élégant PTDR (pété de rire). Continuer la lecture

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Au temps des postillons

Il y deux sortes de boîtes aux lettres, les jaunes qui jalonnent encore les rues de nos villes et celles de nos maisons qui attendent la livraison du courrier. L’une est pour les envois, l’autre pour la réception. La corbeille est chez nous, dans la cuisine ou dans le salon. Une boîte mail de notre méta monde en revanche, contient tout. La réception, les envois, la corbeille et même un dossier pour les indésirables, ceux qui ne devraient pas y être mais qui y sont quand même. Étrangement un courriel expédié vers un autre pays est toujours consultable. Il est à la fois parti, arrivé et resté. C’est le progrès et c’est le type de réflexion qui vient à l’esprit lorsque l’on visite le musée de la Poste boulevard de Vaugirard à Paris. On y voit des boîtes aux lettres pour tous les goûts, les anciennes, les modernes, les artistiques comme celle de l’artiste Marcel Duchamp avec ses « missives lascives » et aussi différents réceptacles du monde entier. De leur côté, celles vouées au transport international, toutes de bleue recouvertes, font encore rêver, le temps que deux cents millions de mails (en une minute) soient diffusés à travers le globe. Continuer la lecture

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Coïncidence cannoise

Les écrivains croient beaucoup aux coïncidences de l’existence, et le dernier festival de Cannes en est l’illustration : le grand satiriste anglais Martin Amis (prononcer Amisse) est mort à 73 ans le jour de la présentation du film inspiré de son roman «La zone d’intérêt» («The Zone of Interest»). Réalisé par le cinéaste anglais Jonathan Glazer («Under the skin», 2013), récompensé par le grand prix, le film est réputé glaçant. Il est vrai que le quatorzième roman de l’écrivain, paru en 2014, se situe en lisière du camp d’Auschwitz (jamais nommé mais reconnaissable). La zone d’intérêt était l’appellation utilisée par les nazis pour décrire la zone de 40 kilomètres carrés entourant le camp de concentration.
Nous suivons les intrigues sentimentales et autres vécues par quatre sinistres bouffons nazis, à commencer par le commandant du camp et sa belle petite famille aryenne.
S’il n’est pas très connu en France, Martin Amis est reconnu depuis longtemps outre-Manche comme «l’enfant terrible des lettres anglaises», celui qui a «redéfini la littérature britannique des années 1980 et 1990 avec des romans au style sombre et mordant», dixit Le Monde. Selon son grand ami Salman Rushdie, précise le quotidien, « c’est un styliste de tout premier plan, très reconnaissable, comme Oscar Wilde, avec un ton sarcastique qui n’appartient qu’à lui ». Continuer la lecture

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Médée par-delà le mythe

“Médée” est une histoire qui nous dépasse. Fiction hors du temps, œuvre immémoriale, elle nous rebute et nous fascine tout à la fois. Car le geste de Médée reste incompréhensible. Après avoir trahi son père, tué son frère, manigancé la fin terrible de Pélias, la voici qui continue à semer la mort de manière implacable (Créüse, son père Créon), jusqu’à commettre l’inconcevable : l’infanticide. Médée, meurtrière de par sa propre volonté et non par celle des Dieux. Médée, impunie pour ses crimes qui, à la fin de la tragédie, devenue déesse, s’envole sur un char rejoindre Égée, roi d’Athènes, et lui donner un fils… Car coupable et victime, nous dit Euripide. Victime de son amour pour Jason. Victime d’Aphrodite. Le mythe de Médée, apparu chez Homère (VIIIe s. av. J.-C.), a été maintes et maintes fois repris. Lisaboa Houbrechts, jeune artiste de la scène flamande, a choisi la version du grand poète tragique grec Euripide (480 – 406 av. J.-C.) pour cette nouvelle production de la Comédie-Française. Elle nous en livre une vision humaine et poétique d’une grande beauté. Continuer la lecture

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La Ciotat : Une, première !

C’est le critique italien Riccioto Canudo, ami d’Apollinaire, qui, le premier, utilisa en 1923 l’expression «septième art» pour qualifier le cinéma. Le mot «cinématographe» avait déjà été victime de l’habituelle apocope, cette figure de style qui consiste à raccourcir un mot un peu long (« auto » pour automobile). Dans la revue Nord-Sud du 15 avril 1917, Apollinaire publie ce poème intitulé « Avant le cinéma » : «Si nous étions des Artistes/Nous ne dirions pas le cinéma/Nous dirions le ciné/ Mais si nous étions vieux professeurs de province/Nous ne dirions ni ciné ni cinéma/Mais cinématographe/Aussi mon Dieu faut-il avoir du goût». Le cinéma, en 1917, a tout juste une vingtaine d’années. La première séance publique a eu lieu à Paris en décembre 1895 dans une salle de billard du Grand Café (actuel hôtel Scribe, quartier de l’Opéra). Les instigateurs sont les inventeurs eux-mêmes, les frères Auguste et Louis Lumière. Fils de l’industriel Antoine Lumière, originaire de Besançon, peintre et photographe, ils ont épousé deux sœurs, vivent dans deux appartements d’une même villa et forment une communauté particulièrement soudée. Continuer la lecture

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Effroyables fanfares

Cette sculpture intrigante a été réalisée clandestinement par Arthur Birkner, au camp de concentration de Sachsenhausen, dans la ville de Oranienburg en Allemagne. Ce qui était désigné comme un exercice sportif était en réalité un supplice. Il fallait que le prisonnier tînt le plus longtemps possible dans cette position sauf à être battu. Et il pouvait arriver que les SS en charge de le faire souffrir l’obligeassent à chanter. Ce n’est pourtant pas ici la moins pénible des images constituant la matière d’une exposition démarrée récemment au Mémorial de la Shoah à Paris. L’idée étant d’expliquer quel rôle a pu jouer la musique dans les camps nazis. Comment au milieu de l’horreur et pour plusieurs types de motivation l’on pouvait entendre Schubert, Beethoven ou Strauss, de la musique allemande plus légère et même du jazz. Ce n’était pas toujours par sadisme, mais ça n’en était pas moins monstrueux puisque par exemple, les orchestres priés de jouer à l’entrée des chambres à gaz étaient là pour divertir les bourreaux. Continuer la lecture

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Parfums de révolution

Le soixante-huitard a les honneurs du Larousse : «personne qui a conservé l’esprit, les idées des évènements de mai 1968.» Cette définition se conjugue, par conséquent au passif. Le dictionnaire se garde bien de s’aventurer dans la définition de cet esprit et de ces idées. Car, à l’instar des membres du mouvement du 22 mars (1968) dont ils constituent l’exponentielle, les soixante-huitards, dans leur période constitutive, s’inscrivaient dans des identités multiples. Certains étaient encartés dans de sibyllins acronymes, UNEF, JCR, UJC(ml), CAR , CAU, MAU, GP (gauche prolétarienne)…. D’autres se réclamaient de mouvances plus vagues, chrétiens de gauche, guévaristes, marxistes en froid avec le PCF, anarchistes, maoïstes avec la sous variété mao-spontex, dutschkistes, proches du révolutionnaire berlinois Rudolf Dutschke, dit Rudi le rouge. D’autres enfin, sans identification spécifique, étaient entrés dans la danse en ayant cru voir de la lumière. L’ensemble s’était toutefois retrouvé sur le mot d’ordre de leur leader le plus charismatique, un étudiant en sociologie de Paris-Nanterre, Daniel Cohn-Bendit : «Bougeons d’abord, nous ferons la théorie du mouvement après.»
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Les soixante ans de « Z »

Les écrivains, les poètes ou les artistes ont un avantage connu par rapport aux scientifiques. Ils peuvent s’avancer sur ce qu’il advient d’un être dont le cœur vient de s’arrêter sans crainte d’être contredits. Il y a de cela soixante ans, presque jour pour jour, le député grec (de gauche) Grigóris Lambrákis était blessé à mort dans une rue de Thessalonique le 22 mai. Il expira le 27. De cet événement a notamment été tiré un film de Costa-Gravas inspiré d’un roman dont il reprenait le titre: «Z». Publié en 1966 (1967 pour la version française), le récit inspiré de l’assassinat était signé Vassilis Vassilikos (1934-). Et ce qu’il y a de tout à fait remarquable dans ce livre, c’est que son auteur fait parler l’âme du défunt. Cette âme qui s’éloigne de ce corps brutalement refroidi. Elle s’exprime étrangement d’ailleurs, comme une femme dont le mari vient de mourir, au point d’instiller une certaine confusion dans l’esprit du lecteur. Cette âme encore qui disait: «Maintenant que tu vas t’étendre au sein de la terre, souviens-toi que je t’ai aimé et que pour cette raison tu ne mourras jamais». Continuer la lecture

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Tenerife, l’ile des conquistadors

Nombreux sont ceux pour qui l’île canarienne de Tenerife est synonyme de «Sea, Sun and Farniente». C’est méconnaître le nord de l’ile. Le Teide, le volcan qui culmine au centre de Tenerife à 3.718 m, soit le pic le plus élevé d’Espagne, est venu opportunément couper l’île de 2.000 km2 en deux. Le sud, avec son soleil permanent et ses plages de sable concentre les usines à touristes. Le nord a été doté d’un climat plus tempéré, de montagnes volcaniques, de vignes et de bananeraies qui dévalent les collines, de falaises noires qui tombent à pic dans la mer, et, de villes magnifiques à l’architecture bien préservée, fondées par les conquistadors. Ainsi San Cristobal de Laguna (dite La Laguna,ci-dessus) dont l’architecture a servi fréquemment de modèle en Amérique latine. La conquête des Canaries a commencé par celle de l’île de Lanzarote au début du XIVe s. Mais ce n’est pas avant 1495 que les conquistadors ont, au nom des Rois catholiques, conquis Tenerife, où vivaient des Guanches. Ce peuple, sans doute d’origine berbère, se serait établi aux Canaries vers le VIe s. av. J.C. à Tenerife, les Guanches ont opposé une résistance farouche aux assauts sanglants menée par Alonso Fernández de Lugo et son millier de soldats. Tenerife sera la dernière île des Canaries conquise. Continuer la lecture

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