Paul Guillaume, par chance

Apollinaire avait en effet dit qu’il n’avait pas rencontré de toute sa vie un homme plus chanceux que Paul Guillaume. Comme le marchand d’art est celui qui fait en partie l’angle d’une exposition actuellement en cours à l’Orangerie (1), une biographie est opportunément sortie en même temps, rédigée par l’historienne d’art Sylphide de Daranyi. Apollinaire ne pouvait pas savoir que la chance finirait par tourner. Car celui qui portait son prénom en guise de patronyme devait mourir prématurément, à 42 ans, dans des circonstances discutées. En revanche, celui qui ne s’était pas trompé, ayant même la réputation de voir loin et juste, c’était le poète Max Jacob en prédisant à Paul Guillaume la notoriété et la fortune. Sylphide de Daranyi ne nous dit pas grand-chose de la jeunesse de celui qui devait se faire un nom fameux dans le monde de l’art. Parce que l’on n’en connaît pas grand-chose si ce n’est qu’il apparut en 1891 et qu’il salua pour de bon la compagnie en 1934. La biographie qui nous intéresse est fluide, renseignée mais surtout factuelle, soulignant trois rencontres-clés. Continuer la lecture

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Vestiaire

Les commissions, conseils et autres assemblées délibérantes siègent habituellement autour de tables fonctionnelles, disposées en rectangle, centrées sur un espace vide. Celles-ci, dépourvues d’abattants, permettent une vision panoramique sur les extrémités inférieures des participants placés en vis-à-vis. Lorsque l’orateur de service enfile un collier de banalités ou s’enlise dans le filandreux, moments propices au vagabondage de l’esprit des participants, il est possible de passer en revue les chaussettes des collègues masculins. Et là aussi, le diable se cache dans les détails. À l’aide de quelques critères discriminants, dressons ici, à l’exemple de Linné, une nomenclature systémique.
S’excluent eux-mêmes d’une telle classification les abstinents, que ce soit à la suite d’un choix de vie, tel le moine franciscain chaussé de sandales, ou d’une posture, à l’image du dandy, pieds nus dans ses mocassins à picots. Celui-ci peut toutefois, à l’hypocrite, adopter la chaussette dite invisible, pour se la jouer libéré sans pour autant renoncer à l’hygiène. Continuer la lecture

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Rebrousser chemin

Le fait est qu’une carie linguistique, tenace, gâte la dentition de nombreux éditorialistes et personnalités politiques. C’est le « retour en arrière », expression qui colle parfaitement avec la définition du pléonasme comme « au jour d’aujourd’hui ». Le temps étant élastique on peut, mais c’est plus rare, parler de retour en avant. Attention toutefois aux inspecteurs des oxymores, prompts à verbaliser les rigolos cherchant à jouer les intéressants. Dans une édition de 1806 des Fables de La Fontaine (ci-contre), le grand conteur et moralisateur s’était fait presque prendre. L’éditeur -libraire-imprimeur H.Barrou (au 5 rue des Mathurins) avait en effet adjoint un lexique en fin d’ouvrage afin d’y traduire les mots supposés compliqués. Comme dans le texte « La femme noyée », livre III, où La Fontaine fait dire à l’un des personnages: « Rebroussez plutôt en arrière ». Et dans l’appendice lexical il est mentionné qu’il s’agit d’un pléonasme et qu’il eût mieux valu dire: « Rebroussez chemin ». Dans la mesure où l’auteur a mis la bévue dans la bouche d’un protagoniste, il n’est pas si fautif que cela. Si la fable doit coller à la réalité, il faut bien en effet, se soumettre au mal-parler du bon peuple. Continuer la lecture

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Hô Chi Minh ne portait pas de moustaches

Il portait un chapeau oui, mais pas de moustaches. En revanche, à en croire cette fiche de renseignements établie par le ministère des Colonies entre 1919 et 1920 (dont on voit ici un détail), le futur chef de l’État vietnamien suscitait déjà la méfiance des autorités françaises. Hô Chi Minh (1890-1969) était décrit comme quelqu’un changeant facilement de nom (Nguyễn Sinh Cung puis Nguyễn Ái Quốc), cachait son « origine véritable » et pouvait contrefaire son accent. Ce document tout à fait étonnant figure en bonne place au sein de l’exposition consacrée à l’immigration asiatique au Palais de la Porte Dorée. Lequel s’appelait autrefois le Musée des colonies avant de devenir celui de l’histoire de l’immigration ce qui est une façon de rendre une thématique parfaitement circulaire. Cette très intéressante exposition, peut-être davantage que les précédentes, nous emmène depuis la guerre de l’opium aux environs de 1860 jusqu’à nos jours où le « péril jaune » avait pris la forme d’un virus incontrôlable. Elle concerne certes quelques personnalités comme Hô Chi Minh -dont la fameuse fiche est consultable aux Archives nationales (1)- mais surtout ces milliers d’anonymes ballotés de continents en continents au fil des tragédies de l’histoire. Continuer la lecture

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Cocteau, moderne et pop

2023 marque le 60e anniversaire de la disparition de Jean Cocteau (1889-1963). Alors que, cet automne, la Cinémathèque française consacre un cycle au poète-cinéaste (1), le metteur en scène Christophe Perton, lui, souhaitant réhabiliter un théâtre injustement considéré comme daté, poursuit son hommage au poète-dramaturge. L’ancien directeur du Centre dramatique national de Valence a décidé de consacrer une trilogie à l’auteur de “La Voix humaine”. Grand bien lui en a pris. La saison passée, Muriel Mayette-Holtz incarnait ainsi de manière magistrale la mère des “Parents terribles” (1938) sur la scène du Théâtre Hébertot, un rôle écrit à l’origine pour le “monstre sacré” Yvonne de Bray, et inspiré par la propre mère de Jean Marais. “Le Bel Indifférent” (1940), à l’affiche du Théâtre de l’Atelier, constitue le deuxième volet de cette réhabilitation théâtrale autour des figures féminines. Écrite initialement pour Édith Piaf, cette courte pièce en un acte constitue plus un lever de rideau qu’une pièce en soi. Christophe Perton en a compilé les deux versions existantes, la partie théâtrale et le poème chanté, pour faire de ce monologue à deux personnages un spectacle à part entière, une tragi-comédie musicale aux sonorités pop, résolument moderne. Continuer la lecture

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Passions pas réciproques

Maintenant, heureusement, si on rate un film exceptionnel, on a la chance de le voir peu de temps après sur une chaîne payante ou en DVD. La session de rattrapage s’impose avec «La femme de Tchaïkovski», le film du cinéaste russe Kirill Serebrennikov, présenté à Cannes en 2022 et diffusé en salle en février dernier. La première scène à elle seule condense le film tout entier: on suit la mince silhouette sombre d’une femme à voilette fendant une foule, accompagné d’un homme lançant «Laissez passer la veuve!», jusqu’à un catafalque où repose un homme à la chevelure et barbe blanche, en costume noir. Soudain, le visage grimace, s’anime, le mort se lève et se dirige vers la femme, la veuve, figée à l’entrée de la pièce, et lui hurle : «Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Qui t’a invitée ? Va-t’en ! Je te hais ! Je te hais !» Frappés par la violence de la scène, n’y comprenant rien, nous sommes entrés dans l’univers du cinéaste : c’est toujours à la scène, ou les scènes suivantes, que s’éclaire ce qu’il nous montre. Il nous faudra un flash-back de près de deux heures pour saisir toute la plénitude de cette scène inaugurale. Continuer la lecture

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Une affaire de langue vivante

Voilà un timbre qui ne vaut plus grand-chose. Sa cote est estimée à quarante centimes sans oblitération, dix centimes avec. En 1989 il valait deux francs et vingt centimes et il avait été conçu afin de célébrer le 450e anniversaire de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (Aisne). Qui faisait du français la langue écrite officielle, via un document signé par le roi de France François Ier. Ce timbre ci-contre, résonne d’un double écho. D’une part parce que c’est jeudi 19 octobre que La Cité internationale de la langue française sera officiellement ouverte (finalement inaugurée le 30 octobre ndlr) après quelques années de travaux et, d’autre part, clin d’œil tragique de l’histoire, il a été oblitéré à Arras, là où la semaine dernière un professeur de français, Dominique Bernard, a été poignardé à mort par un terroriste. Il est bien possible et même souhaitable que jeudi, journée de ses obsèques, l’image de cet homme dont on a dit qu’il avait la passion de son métier chevillée au corps, soit dans tous les esprits. Continuer la lecture

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Keith Haring vibrations

Sa façon de s’occuper de ses parents, ses actions en faveur des enfants, sa capacité à donner des œuvres à côté de celles qui se vendent plusieurs millions de dollars, font de Keith Haring un personnage très attachant.  Sa carrière météorique a laissé dans son sillage beaucoup de poussières cosmiques. Inhalées au hasard d’un documentaire qui doit être diffusé bientôt sur Arte, elles font l’effet d’une drogue procurant l’impérieuse envie de brûler la chandelle par les deux bouts ainsi que le déclarait l’artiste. Il faut bien dire que Keith Haring avait de bonnes raisons de mettre les bouchées doubles. Il n’a même pas eu le temps de fêter ses trente-deux ans, victime du Sida en 1990. Sa voix portée dans le documentaire dit qu’il guettait chaque matin la tache fatale trahissant l’apparition du sarcome de Kaposi, le signe avant-coureur d’une maladie qui devait notamment ravager la communauté gay. Et le jour où il la vit, il décida d’appuyer sur l’accélérateur et de produire, produire et encore produire, soit pas loin de 10.000 œuvres et encore parle-t-on ici des répertoriées. Le dernier dessin qu’il fit est poignant de fragilité. Une fois son dernier souffle rendu, le film de Ben Anthony (2020) ne le précisant pas, ses cendres seront en partie répandues par Yoko Ono, devant l’hôtel Ritz à Paris. Continuer la lecture

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Broadway à Paris

Le musical “Black Legends” arrive au 13e Art ! Sous ses airs on ne peut plus américains, cette comédie musicale qui raconte un siècle de culture afro-américaine à travers des reprises de chansons culte et de grands standards musicaux, et a fait un tabac la saison dernière à Bobino, est, en réalité, une production française. Écrite et mise en scène par un Toulousain, Valéry Rodriguez, elle réunit une vingtaine d’artistes d’origine principalement martiniquaise, guadeloupéenne ou africaine, et comprend un seul Américain, arrivé en France dans les années 80. Mais si Valéry Rodriguez a étudié au Conservatoire de Toulouse, c’est au London Studio Center qu’il a poursuivi sa formation et appris la comédie musicale. Les shows anglo-saxons n’ont ainsi aucun secret pour ce comédien-chanteur fasciné par la culture afro-américaine et caribéenne. “Black Legends” en est la magistrale démonstration. Continuer la lecture

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Teutatès en salle de réunion

Les bas-reliefs c’est un peu comme pour les photos, on les comprend mieux avec une légende. Celui-là date du 2e siècle après Jésus-Christ, il a été découvert vers la fin du 19e siècle encastré dans une maison rémoise. Et au milieu des trois effigies figure Teutatès, ancien dieu de la guerre, protecteur, à l’époque gallo-romaine et donc un peu d’actualité par effet de translation. Le commanditaire du bas-relief eut la sagesse de ne pas miser uniquement sur un dieu celte puisqu’il avait fait encadrer Teutatès (plus connu sous le nom de Toutatis) par le dieu Esus à gauche, grimé en Mercure et coiffé d’un pétase (chapeau). À droite le visage féminin symbolisait peut-être la déesse Rigani dont l’attribution et les fonctions ne sont pas absolument limpides, ce qui est un euphémisme, relativement à une époque où l’affabulation avait au moins autant de valeur que la vérité. Le tout figure en bonne place au sein de l’abbaye Saint-Remi de Reims, devenue un délectable musée. Un assortiment de représentations divines comble la salle capitulaire, laquelle servait de lieu de réunion aux religieux. Cet espace magnifique bordant en partie le cloître extérieur témoigne des origines moyenâgeuses de l’abbaye vers le 12 siècle. Continuer la lecture

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