Jacobus Vrel presque toujours insaisissable

Les experts ont conclu que la toile ci-contre était une copie, mais une copie de l’auteur. Lequel avait ajouté un nid de cigognes sur la cheminée à gauche qui la distinguait de la première. Mais sur les deux il avait maintenu l’inscription « Dit buijs ijs te buijr », ce qui signifiait d’une part que la maison figurant sur l’image était à louer et que d’autre part Jacobus Vrel s’attachait aux détails. À moins bien sûr que le propriétaire de la maison n’eût passé un petit accord publicitaire avec le peintre. Lequel reste à ce jour à l’abri de la notoriété. Comme il marquait la plupart de ses œuvres JV, on pouvait de surcroît le confondre avec Johannes Vermeer (1632-1675) ce qui amena quelqu’un à compléter ni plus ni moins la signature en faveur du second. Procédé qui conduisit au 19e siècle un certain Thoré à l’inclure dans son catalogue Vermeer. Depuis, beaucoup d’erreurs d’attribution ont été réparées et l’on peut aujourd’hui comptabiliser 44 toiles de la main de Jacobus Vrel. Cinq huiles supplémentaires ne sont plus localisables. Ce qui fait beaucoup de mystères autour de cet homme dont la Fondation Custodia à Paris fait le sujet central d’une fort intéressante exposition. Continuer la lecture

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Tout sur Plum

La nouvelle traduction de «Hello, Plum ! Autobiographie en digressions» de Pelham Grenville Wodehouse, est certainement un événement pour tous les amateurs de l’un des plus grands humoristes anglais du XXème siècle. Il est mondialement connu comme le créateur de Jeeves, imperturbable et providentiel valet de chambre du jeune Bertie Wooster ayant l’art de se fourrer dans des situations impossibles. Jeeves est le Holmes ou le Poirot de l’absurde. Par exemple dans «Bonjour Jeeves», écrit en 1938, l’intrigue tourne autour du fait que Bertram Wooster ne veut pas que sa bonne tante Dalhia se retrouve privée de son exceptionnel cuisinier français Anatole. Ce qui entraîne Bertie sur les terres de l’oncle de la fiancée de son «crétin» de copain Gussie Fink-Nottle. Là il doit dérober un pot à lait en argent du 18e siècle, mais sur place les choses s’enchaînent et s’embrouillent de telle sorte que page 123, Jeeves sauve la situation et la vie de son maître grâce à une information ultra secrète recueillie auprès de son club de butlers, le «Junior Ganymède». Continuer la lecture

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Berthe Weill refait progressivement surface

Picasso avait fait d’elle un portrait assez magistral. Tellement réussi d’ailleurs qu’il a été classé en 2007 « trésor national » par un avis de la bien nommée Commission consultative des trésors nationaux, empêchant de fait toute sortie du territoire tricolore. Le peintre lui devait bien ça. Berthe Weill (1865-1951), a été la première à l’exposer dans sa galerie en 1902, à travers trois expositions collectives. Bien que précurseuse majeure, en repérant les premiers fauves puis les futurs cubistes, Berthe Weill n’a jamais eu le même retour de notoriété que ses « grands » confrères tels Paul Rosenberg ou D.H Kahnweiler. Il faut dire que que son flair était inversement proportionnel à sa bosse du commerce. Berthe Weill n’était pas une money-maker comme l’on dit avec élégance dans la finance, mais tout le monde a au moins reconnu qu’elle faisait preuve d’une empathie appréciée des artistes. Or, selon son unique biographe Marianne Le Morvan, les projecteurs de la notoriété bougent enfin sur leur axe.  Trois expositions sur la galeriste figurent actuellement sur les agendas internationaux, à New York fin 2024, au Musée des Beaux-Arts de Montréal début 2025 et enfin à Paris sans que les dates soient encore fixées. Ce sera l’occasion pour Marianne Le Morvan de sortir une nouvelle biographie, plus riche que l’édition déjà bien garnie de 2011. Continuer la lecture

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Le voyage à tiroirs de Louis Aragon

D’emblée le préfacier Olivier Barbarant se demande si ce voyage en Hollande effectué en 1963 par Elsa Triolet et Louis Aragon, n’avait pas pour objet d’en effacer un précédent. Celui qu’effectua un jour le poète avec son amante Nancy Cunard. Et même l’objectif de manifester sa volonté de remplacement de l’une par l’autre, surtout lorsqu’il écrit: « Je t’invente un pays qui ne soit que de nous. » Ce « Voyage de Hollande » par Aragon vient d’être réédité pour la quatrième fois chez Seghers. Le périple a eu lieu en 1963 et la première parution liée au séjour date de l’année suivante, alors que Elsa Triolet (1896-1970) et Louis Aragon (1897-1982) ont déjà l’essentiel de leur vie dans le rétroviseur. Cette œuvre méconnue est donc un ensemble à tiroirs mais quelque peu crépusculaire. « Avant cette nuit de nous »  comme il l’écrit avec bravoure et une lucidité consternée, dans l’un des poèmes du recueil. Continuer la lecture

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Permis de circuler

Étymologiquement le mot congé s’est bâti sur la double idée de circuler et de la permission de le faire. Prendre congé, est devenu une façon d’aller avoir ailleurs, en saluant la compagnie. La promesse de retour est sous-entendue comme une politesse, nullement comme une obligation. Il y a des prises de congés définitives et d’autres qui sont valables seulement jusqu’au soir. C’est selon. Le besoin peut être en tout cas impérieux. Ainsi que l’écrivait Montaigne (1533-1592): « Il me semblait ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oisiveté ».

Les motivations sont variables mais celle du philosophe, avec sa fameuse collerette typée Renaissance, est la plus courante. Plus proche de nous, dans le film « Bancs publics » de Bruno Podalydès, sorti en 2009, un personnage assis au bord du bassin d’un square dit à son copain: « Ah que c’est bon de glander ». Et l’autre de lui rétorquer avec étonnement: « Tu dis ça comme si c’était nouveau »! Tout ça pour pour vous dire chers lecteurs que Les Soirées de Paris cessent de paraître dès aujourd’hui le temps que les chaleurs passent. Et que nous reprendrons nos activités éditoriales dès le 21 août. Bonnes vacances.

PHB

Photo: la plage du Havre/Sainte Adresse ©PHB
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Catherine Salviat, une vie de théâtre

Il y a peu de temps encore, elle présentait au Studio-Théâtre de la Comédie-Française “36 chandelles dans la maison de Molière”. Pour ceux qui n’auraient pas eu le bonheur d’assister au Singulis de Catherine Salviat, il est toujours possible de se plonger dans le livre dont a été tiré ce spectacle de souvenirs. Sous la forme d’une longue interview, répondant avec humour et acuité aux questions de son interlocuteur, la comédienne revient en huit courts chapitres sur ses 36 années passées au Français. Entre anecdotes et citations, elle évoque certains rôles, ses auteurs et metteurs en scène de prédilection, ses partenaires de théâtre et nous parle de cette chance qui semble ne l’avoir jamais quittée. “Méfiez-vous de vos rêves, ils se réalisent”, aime-t-elle à répéter. Et une autre de ses phrases préférées : “Confiance mais vigilance.” Sous ses airs sages et studieux, l’interprète du « Mystère de la charité » de Jeanne d’Arc montre un esprit espiègle et blagueur, toujours plein d’entrain. Ce petit livre très plaisant s’avère tout autant une leçon de théâtre que de vie. Continuer la lecture

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Le noir et ses arcanes

Les artistes, peintres et poètes, devinent parfois bien à l’avance ce que les scientifiques s’acharnent à prouver. Samedi dernier une fusée a emporté dans l’espace Euclid, un nouveau télescope dont la mission sera de détecter la matière noire et l’énergie sombre. Depuis un certain point dit de Lagrange, à 1,5 million de kilomètres de chez nous, la machine déterminera comment la noire pèse sur la gravité des corps et le rôle de l’autre (la sombre) dans l’accélération de l’expansion de l’univers. Et ce, depuis que ce dernier s’est échappé d’un récipient théoriquement aussi grand d’un dé à coudre. Ce double défi est non seulement aussi ambitieux que le projet de rétablissement du pacte républicain dans les banlieues, mais il nous interpelle sur ce noir invisible, ubiquiste, omniprésent au point d’être presque tout. Or, dans ses écrits publiés sur l’art, Henri Matisse (1869-1954) n’était pas loin de brûler la politesse à Euclid sans pour autant fournir de preuve expérimentale. Mais cet artiste n’en avait pas besoin pour énoncer qu’avant, quand il ne savait pas « quelle couleur mettre », il utilisait du noir. « Le noir, c’est une force », prophétisait-il ainsi avec ô combien de justesse. Ayant fait ce constat, Matisse n’aura plus peur de mettre du noir en « lest ». Continuer la lecture

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Un concert très privé

Les documentaires filmant des musiciens classiques peuvent se révéler (assez souvent) légèrement ennuyeux, sauf lorsqu’on est invité, très exceptionnellement et pour la première fois, à un concert privé chez Daniel Barenboïm à Berlin. Ce fut le cas samedi 24 juin sur France 4, grâce à la chaîne culturelle Culturebox. Comme il le précise en souriant à son intervieweuse, il est rare que l’illustre maestro accorde une interview, surtout chez lui. Mais la jeune femme aux yeux bleus et longs cheveux qui lui fait face n’est pas n’importe qui, puisqu’elle est la fille de son amie de toujours Martha Argerich : tous deux enfants prodiges à Buenos Aires, ils se cachaient sous le piano en espérant qu’on les oublierait. Le maître a fait une exception en 2020 parce qu’Annie Dutoit étant la fille du second mariage de Martha avec le chef d’orchestre Charles Dutoit, ils se sont connus toute leur vie et se tutoient. Il s’agit plus d’une conversation, comme il le souligne. Continuer la lecture

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Soupe aux truffes

Soignant son personnage, Sa Truculence Paul Bocuse (1926-2018) aimait à souligner, les difficultés de ses débuts : une scolarité rudimentaire, (bien qu’il précise «avoir ses deux bacs, le bac d’eau froide et le bac d’eau chaude»), une année de guerre ou il sera blessé, et il entre comme apprenti, en 1946, chez la Mère Brazier. Femme au caractère plutôt rude, chez qui il est employé à tout, y compris traire les vaches, sans congés ni vacances. Elle lui apprend la rigueur. Il en tirera cet aphorisme : «bien faire le travail ne prend pas plus de temps que de le faire mal». Il passe les années 1950 avec Fernand Point, à Vienne, qui sera son maître. Il y retrouve les frères Pierre et Jean Troigros. En 1958, il se met à son compte en reprenant le restaurant familial. Trois ans plus tard, il est reçu Meilleur Ouvrier de France. Rapidement détenteur des trois étoiles, il devient un symbole de la cuisine française ainsi qu’une célébrité internationale. Surnommé le Primat des gueules, il est intronisé Pape de la gastronomie, au cours d’une cérémonie parodique se clôturant, par un banquet. Continuer la lecture

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«Imprimer», une exposition de la BNF qui laisse une forte impression

L’exposition de la BNF-Mitterrand, «Imprimer, l’Europe de Gutenberg», nous plonge au cœur d’une innovation qui a constitué une véritable révolution au XVe s. Près de six siècles plus tard, les applications pratiques de l’intelligence artificielle gagnant du terrain, on ne peut manquer de faire un parallèle entre ces deux inventions propres à ébranler nos pratiques et à soulever le même type d’enjeux économiques, techniques et politiques. Mais là n’est pas le sujet de l’exposition qui retrace de façon passionnante l’histoire du développement de l’imprimerie en Europe et les clés de son succès. Nul besoin d’être un amoureux des beaux-livres pour admirer les incunables (livres imprimés avant le 1er janvier 1501) richement illustrés présentés, issus des réserves de la BNF. Parmi eux, trois pièces d’exception marquent trois étapes majeures de l’imprimerie : le plus ancien bois gravé (vers 1400) occidental pour reproduire des images, le Bois Protat; le plus ancien ouvrage conservé au monde imprimé à partir de caractères typographiques métalliques; le Jikji (Corée, 1377 ; et la fameuse Bible de Gutenberg (vers 1455). Continuer la lecture

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