L’effacement programmé des bouquinistes

Le sort des bouquinistes a été scellé cette semaine lors d’un Conseil de Paris. Leurs boîtes seront bien démontées dans le cadre des jeux olympiques, d’une part pour des raisons de sécurité invoquées par la préfecture et d’autre part selon la maire qui s’exprimait au micro, afin d’offrir la plus large vue possible au public sur les festivités d’ouverture. Ils seraient 140 à devoir plier bagage soit une large majorité d’entre eux. L’ancien ministre des sports Léo Lagrange, ex-sous-secrétaire d’État aux sports et à l’organisation des loisirs sous le Front populaire, avait recommandé un jour qu’il ne faudrait pas « dans un pays démocratique (…), caporaliser les distractions et les plaisirs des masses populaires et de transformer la joie habilement distribuée en moyen de ne pas penser ». La formule est limpide mais vaine à l’heure où la cancel culture a tous les droits, même dans le cadre d’une mesure provisoire. Les bouquinistes ne sont pas les seuls à être indésirables si l’on compte aussi des étudiants du Crous priés de laisser leur chambre et les SDF d’aller camper ailleurs. « À l’approche des Jeux olympiques, les associations s’alarment d’une stratégie d’invisibilisation des populations précaires en Ile-de-France » était-il ainsi écrit dans le journal Libération le 25 juillet 2023. Pour les rats et les punaises de lits en revanche, ce n’est pas encore réglé. Continuer la lecture

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Partition inachevée pour une disparition

“Je reviens de loin”. Le titre est à prendre au propre comme au figuré. À travers l’histoire d’une mère qui retourne dans la maison où elle a vécu avec son mari et ses enfants, après les avoir semble-t-il abandonnés, le très beau texte de Claudine Galea (1), actuellement à l’affiche du Studio-Théâtre de la Comédie-Française, parle avec subtilité et délicatesse de l’absence. Pièce de l’intime, “Je reviens de loin”, tout en maintenant un suspense peu banal, nous plonge au cœur du manque et de l’inconcevable. Un spectacle d’une grande poésie pour raconter le vide abyssal de la disparition. Continuer la lecture

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L’Espace Monte-Cristo, une ode à la sculpture contemporaine

En poussant la porte du 9 rue Monte-Cristo, une rue banale de l’ancien village de Charonne (20e arrondissement de Paris), on est tout étonné de découvrir un espace d’exposition insolite dédié à la sculpture contemporaine. C’est là, dans un ancien entrepôt industriel de 300 m2, que s’est installé en 2018 l’Espace Monte-Cristo, qui est l’antenne parisienne de la fondation Villa Datris de l’Ile-sur-la-Sorgue. L’Espace Monte-Cristo organise chaque année sur une nouvelle thématique des expositions originales des œuvres de la Collection de la Fondation Villa Datris. L’ancien entrepôt industriel de la rue Monte-Cristo n’a pas été choisi par hasard. Il regroupait autrefois les bureaux et le stockage de la société de cartons RAJA, à l’origine une petite entreprise de distribution de cartons, créée par Rachel Marcovici en 1954. Continuer la lecture

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Nicolas de Staël pleins phares

Nicolas de Staël aimait les lumières du nord et le fait est qu’elles lui réussissaient. Comme en témoigne cette vue de Calais en petit format dont on peut voir ci-contre un détail. L’on dirait qu’il a planté au premier plan, sur la plage, comme trois fantômes de religieuses teintées de bleu. Nous sommes ici bien loin d’Antibes où il s’est paraît-il suicidé du haut de sa terrasse, nul n’évoquant la possibilité qu’il ait tout simplement perdu l’équilibre. Ce 16 mars 1955, une passante a vu le corps par terre avec aux pieds sa paire d’espadrilles. Il avait alors suffisamment de tourments intérieurs pour que l’on conclût au suicide. En tout cas, il fut convenu de titrer un peu partout que sa fin avait été « tragique ». Vingt ans après une rétrospective organisée au Centre Pompidou, le voilà qui fait son retour au Musée d’Art Moderne (MAM), lui qui n’aimait pas les musées. Avec autour de deux cents œuvres présentées, on peut dire que monsieur de Staël circule pleins phares. Avec l’avantage pour le visiteur de découvrir autre chose que les images qui peuvent immédiatement venir  à l’esprit, c’est-à-dire des géométries mêlant finement abstraction et figuration. Continuer la lecture

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Au hasard

Le Larousse définit ainsi le mot «sérendipité»: capacité de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard. D’origine anglo-saxonne, le néologisme apparaît pour la première fois dans une lettre adressée par Horace Walpole, le 28 janvier 1754, à son ami Horace Mann. Celui-ci lui avait envoyé le portrait d’une vénitienne, Bianca Cappello, pour sa collection de peintures. Dès réception, Walpole s’était précipité sur un traité de héraldisme, pour constater la présence d’une fleur de lys dans le blason de cette famille: la marque du mariage de Bianca avec François 1er de Médicis. Il rendit compte de sa trouvaille à son correspondant, comme étant «presque de l’espèce de ce que j’appelle serendipity», en référence à une histoire lue dans son enfance, intitulée «Les trois princes de Serendip». Tout part donc d’un conte d’origine persane, narrant les aventures de trois frères venus de Serendip ( pays aujourd’hui nommé Sri Lanka). La plus connue a trait à un chameau que l’on recherche. Interrogés par le sultan, ils décrivent parfaitement un animal qu’ils n’ont jamais vu, mais dont ils ont suivi le cheminement. De menus détails remarqués leur permettent de préciser qu’il boite, est borgne, avec une dent manquante, le bât chargé de miel d’un côté, et de beurre de l’autre. Tant et si bien qu’ils sont accusés d’avoir volé la monture, et près d’être exécutés pour ce forfait. Lorsqu’un voyageur ramène ce chameau qui s’était égaré. Continuer la lecture

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Misogynes et rassis

Peu après la mort de Mahsa Amini au mois de septembre 2022, démolie par ses geôliers lors de sa détention pour un voile mal porté, Élisabeth Badinter sur l’antenne de France Inter, avait commenté l’événement en ces termes: « Quand Dieu pèse presque entièrement sur une société, c’est la fin des libertés féminines. » De la part de cette féministe, notamment spécialiste du siècle des Lumières, le verdict ne pouvait être plus limpide. Sa réflexion ô combien pertinente nous revient à l’esprit en regardant le documentaire de Claire Billet. Celui qui est actuellement disponible sur Arte à propos de la révolte des femmes iraniennes à l’encontre de leurs persécuteurs. L’actrice Golshifteh Farahani, née à Téhéran, a apporté son concours au film afin « d’amplifier la voix du peuple iranien ». Les personnes sensibles sont averties d’emblée que le documentaire « Femme, Vie, Liberté », comporte des scènes difficiles. Le titre a fait sien le slogan d’un mouvement insurrectionnel dont l’écho est porté par les réseaux sociaux. Continuer la lecture

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La fille Angot est de retour

L’Opéra Comique ou salle Favart est tout à fait dans son rôle en inaugurant sa saison avec «La fille de Madame Angot», le plus célèbre opéra-comique de l’ère «post Offenbach», signé de Charles Lecocq. Voilà donc la fille Angot de retour chez elle après 54 ans d’absence ! Créée à Bruxelles le 4 décembre 1872 puis donnée à Londres, l’œuvre fait ses débuts parisiens en mars 1873 aux Folies-Dramatiques pour 411 représentations, puis dans 103 villes provinciales, puis file ensuite à New York et toute l’Europe. Elle entrera au répertoire de l’Opéra Comique en décembre lors de la saison 1918-1919, et y restera jusqu’après la seconde guerre mondiale. Un bref retour au Théâtre musical de Paris, l’ancien Châtelet, sous la houlette de Jean-Claude Brialy, date de 1984. Continuer la lecture

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Modigliani et son dealer attitré occupent l’Orangerie

Rien que pour ce masque du 18e siècle en provenance du Gabon, un saut à l’Orangerie se justifierait. Sa spiritualité expressive n’a de pair que son élégance. On peut le voir en ce moment-même dans le cadre de l’exposition qui vient d’ouvrir à l’Orangerie avec pour thématique Amedeo Modigliani (1884-1920) et son marchand Paul Guillaume (1891-1934). L’un était sculpteur et les deux aimaient les sculptures, ce qui fait qu’outre les peintures on trouve tout au long de la scénographie des sculptures, de la main de Modigliani ou non. Jusqu’en 1913 au moins, Modigliani sculptait presque exclusivement avant de se consacrer à la peinture et de produire des centaines de tableaux. Avec un style si particulier, dans le traitement et les couleurs, qu’il n’est pas besoin de consulter la signature pour attribuer chacune des toiles à son auteur. Il est mentionné sur place et au conditionnel que c’est par l’intermédiaire du poète Max Jacob (1876-1944) que Paul Guillaume aurait fait la connaissance de Modigliani. Néanmoins il en avait sûrement entendu parler bien plus tôt via Guillaume Apollinaire, son accompagnateur dans le monde des arts. Et gageons  qu’il n’a pu manquer la première exposition monographique consacrée à l’artiste en 1917 à la galerie Berthe Weill (1). Continuer la lecture

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Un vélo pour objectif

À dix-sept ans, en 1939, Ruth Orkin avait déjà quelques idées. Elle était partie de chez ses parents à Los Angeles afin de rejoindre Boston en vélo. Elle n’avait pas fait tout le trajet en deux-roues mais elle en avait tout de même emmené un afin de visiter plus commodément les villes traversées. Une fois quand même, elle fit 180 kilomètres d’une traite, jusqu’aux limites de ses capacités physiques. Elle dormait dans les auberges de jeunesse. Son but originel était de rejoindre l’exposition universelle de New York, car il faut toujours déclarer un but à ceux qui restent et à ceux que l’on croise. Maints écrivains -dont Steinbeck- ont prouvé ce faisant que c’était un excellent moyen d’attirer les encouragements et d’éviter la réprobation. En fait, le périple s’est progressivement transformé en reportage photographique avec cette originalité de traitement consistant la plupart du temps à placer le cadre du vélo au premier plan comme sur cette vue de Washington ci-dessus. L’innovation se trouve souvent chez les amateurs, soit par accident soit par inspiration, ce qui est en l’occurrence le cas. Devenue ce qui s’appelle une grande photographe, Ruth Orkin (1921-1985) est actuellement exposée à la Fondation Henri-Cartier Bresson à Paris. Continuer la lecture

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Bol d’art à Nogent-sur-Marne

Au 16 de la rue Charles VII, à Nogent-sur-Marne, dans une élégante bâtisse un peu en retrait, se trouve un centre d’art contemporain apprécié des Nogentais et de quelques initiés, mais plutôt méconnu du grand public : la MABA (Maison d’Art Bernard Anthonioz). À raison de trois expositions thématiques par an, tels des rendez-vous épousant le fil des saisons, la MABA met à l’honneur les artistes contemporains. Monographies et expositions collectives sont, tour à tour, dédiées au design graphique -fait suffisamment rare pour être souligné-, à l’image, sous toutes ses formes, et à un thème d’actualité. En ce début d’automne, nous pouvons donc contempler le travail (ci-contre) de la designer graphique Alice Gavin, 36 ans. Plus loin, au numéro 14, dans la majestueuse demeure mitoyenne du XVIIIe siècle transformée, en 1945, en maison de retraite, la Maison nationale des artistes propose concomitamment des expositions de ses résidents. Actuellement, c’est au tour de la tisserande Simone Prouvé, 92 ans, d’exposer ses tapisseries. Les deux lieux étant côte à côte (1), la visite d’une expo implique irrémédiablement d’aller faire un tour chez sa voisine. D’autant plus que l’ensemble donne sur un magnifique parc arboré de 10 hectares. La sortie culturelle prend alors d’agréables airs bucoliques… Continuer la lecture

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