La troisième bobine

Cette année encore et plus précisément aujourd’hui vers midi, un hommage sera rendu au Père Lachaise autour de la tombe d’Apollinaire, décédé le 9 novembre 1918. On ne peut pas vraiment dire que la foule sera au rendez-vous, chaque année le petit groupe compte ses membres. La seule échéance manquée depuis 1918, fut à l’époque de la pandémie de Covid 19 et encore, il y eut au moins deux visites clandestines selon la police. Nous profitons en tout cas de cette commémoration amicale pour donner des nouvelles sur le « dossier » des deux bobines, films moins mystérieux désormais, tournés le 9 novembre 1945 en la présence probable de Pablo Picasso, lequel était réputé ne jamais rater le meeting relatif à son ami disparu. C’est en 2019 (1) que Gérard Goutierre, collaborateur des Soirées de Paris, évoqua dans un article la présence d’un «un Américain journaliste en uniforme» lors de la cérémonie d’après-guerre. Il tenait cette information d’un carnet de notes de Pierre-Marcel Adéma (1912-2000), biographe historique d’Apollinaire. Mais le mystère restait entier.

Continuer la lecture

Publié dans Apollinaire | 5 commentaires

Jean Marais, 25 ans déjà…

“J’ai vécu vingt-quatre ans avant de naître” avait coutume de dire Jean Marais (1913-1998), faisant allusion à sa rencontre avec Jean Cocteau (1889-1963). S’il semble, en effet, difficile d’évoquer le comédien sans citer son Pygmalion, l’inverse est également vrai, comme le prouve une nouvelle fois la rétrospective consacrée au poète-cinéaste à la Cinémathèque. (1) En 1937, lorsque le jeune Marais, élève-figurant chez Dullin, auditionne pour “Œdipe-roi”, la rencontre s’avère déterminante pour l’un, comme pour l’autre. Le poète quadragénaire prend le jeune homme sous son aile, l’éduque, le révèle à lui-même, et lui apporte une gloire qu’il sait méritée; celui-ci, en retour, lui inspire ses plus belles œuvres. Poèmes, dessins, pièces et films naissent de cette relation exceptionnelle, amoureuse, intellectuelle et artistique. La beauté et le talent de Marais, conjugués au génie de Cocteau, font de “L’Éternel retour” (1943), “La Belle et la Bête” (1946), “Orphée” (1949) des chefs-d’œuvre du 7e art. Le 8 novembre 1998, il y a 25 ans, Jean Marais s’en allait retrouver son poète. Par la magie du cinéma, il est encore un peu parmi nous. Continuer la lecture

Publié dans Cinéma, Portrait | 5 commentaires

Quatre sous d’opéra

Qui ne connaît pas la complainte de «Mack The Knife», popularisée dans le monde entier par Ella Fitzerald dans les années 1960 ? Eh bien voilà l’occasion de la fredonner à nouveau ou de la découvrir grâce à la Comédie Française. Redécouvrir ou découvrir un chef d’œuvre musical est un bonheur rare qu’il ne faut pas laisser passer. «When the shark bites, with his teeth dear…» chantait Ella sous les délires de la foule à Berlin en 1960 (CD «Ella in Berlin»). C’était le temps de la première résurrection de «L’Opéra de quat’sous» créé à Berlin en 1928 sur un livret de Bertolt Brecht et la musique jazzy de Kurt Weill. Immense succès : en cinq ans, l’œuvre est donnée plus de dix-mille fois en Europe et traduite en dix-huit langues. L’un des trois génies du cinéma austro-allemand avec Fritz Lang et Murnau, G. W. Pabst (celui qui a dirigé les deux plus beaux films de Louise Brooks dont «Loulou»), tourne dès 1931 une double version en allemand et français. Continuer la lecture

Publié dans Musique | 4 commentaires

Perret au Havre : l’esthétisme d’un visionnaire

Il serait dommage de séjourner au Havre sans visiter l’appartement-témoin des immeubles d’habitation reconstruits par Auguste Perret au lendemain de la Seconde guerre mondiale. La visite (guidée obligatoire) commence à l’extérieur d’un îlot de Perret où une guide passionnée explique la reconstruction du Havre en l’éclairant d’informations techniques sur les travaux de l’Atelier de Perret. La porte de l’appartement témoin franchie, les visiteurs s’extasient. Il séduit par son élégance, son confort, sa modernité, sa lumière, son côté novateur et fonctionnel. Et il séduit d’autant plus que son mobilier des années 1950 est devenu tendance. Il fait très envie aux jeunes couples de visiteurs parisiens, qui vivent dans un logement étriqué et mal aéré. Quant aux commentaires de leurs ainés baby-boomers, ils vont bon train. En reconnaissant un équipement, ils se retrouvent soudain plongés dans leur passé : «Ma grand-mère avait la même cocotte-minute et la même yaourtière Yalacta !», «Le frigo de mon enfance !», «Mais c’est exactement le meuble du bureau de mon père !» Continuer la lecture

Publié dans Architecture | 4 commentaires

Vivaldi et les pizzas climatiques

Dans son édition d’hier, le Figaro faisait état d’un concert des « Quatre saisons », donné cette semaine dans un théâtre de Madrid à l’occasion du tricentenaire de la plus célèbre œuvre de Vivaldi. A priori pas de quoi fouetter un chat sauf que le chef d’orchestre en l’occurrence, s’est fait assister d’un climatologue-physicien. De ce que l’on comprend, le concert est dû à l’initiative du groupe énergéticien EDP. Lequel considérant que le public n’entendait plus les alertes liées aux évolutions climatiques, n’a semble-t-il pas hésité à faire introduire en ce sens des modifications, rien que ça, dans la partition de chaque « saison ». Cela paraît improbable, effarant, mais « l’été » a été rallongé et « l’automne » drastiquement raccourci à quatre minutes contre un peu plus de dix minutes en temps de paix météo. Tant qu’il s’agit de la défense du climat, tout semble autorisé. La profanation s’est notamment traduite, comme le précise le journaliste, par un « inconfort musical » assumé en ces termes par le chef d’orchestre Hachè Costa: « Je suis un musicien délibérément stressant. Avec le public comme avec un enfant, il faut parfois faire preuve d’autorité, dépasser un peu l’assertivité (…) ». Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique, Musique | 3 commentaires

Bleu saphir et autres nuances pétrole ou lavande

Contrairement au rose, le bleu est ambivalent. Si l’on parle de bleus à l’âme ce n’est pas pour dire que nous sommes dans une bonne passe. Si l’on évoque en revanche le bleu céleste, il nous vient des idées de paradis sans commencement ni fin. On aime le bleu parce que c’est la couleur de notre astre. De leur côté Uranus et Neptune ont beau se la jouer bleu horizon, planètes bien jolies à regarder, elles sont invivables. Lorsque Joan Miró a peint ses « Trois bleus » (dont un ci-dessus) depuis Palma de Majorque, ce fut dans le cadre « d’une très grande tension intérieure » visant au dépouillement final. Grâce aux variations de la teinte, chacune de ses trois toiles produit un effet bienfaisant. Le fait qu’elles fussent additionnées de quelques interventions rouges et noires ne faisaient dès lors que stabiliser, voire renforcer l’effet apaisant, leur charme. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique, Peinture | 6 commentaires

Paul Guillaume, par chance

Apollinaire avait en effet dit qu’il n’avait pas rencontré de toute sa vie un homme plus chanceux que Paul Guillaume. Comme le marchand d’art est celui qui fait en partie l’angle d’une exposition actuellement en cours à l’Orangerie (1), une biographie est opportunément sortie en même temps, rédigée par l’historienne d’art Sylphide de Daranyi. Apollinaire ne pouvait pas savoir que la chance finirait par tourner. Car celui qui portait son prénom en guise de patronyme devait mourir prématurément, à 42 ans, dans des circonstances discutées. En revanche, celui qui ne s’était pas trompé, ayant même la réputation de voir loin et juste, c’était le poète Max Jacob en prédisant à Paul Guillaume la notoriété et la fortune. Sylphide de Daranyi ne nous dit pas grand-chose de la jeunesse de celui qui devait se faire un nom fameux dans le monde de l’art. Parce que l’on n’en connaît pas grand-chose si ce n’est qu’il apparut en 1891 et qu’il salua pour de bon la compagnie en 1934. La biographie qui nous intéresse est fluide, renseignée mais surtout factuelle, soulignant trois rencontres-clés. Continuer la lecture

Publié dans Livres | 2 commentaires

Vestiaire

Les commissions, conseils et autres assemblées délibérantes siègent habituellement autour de tables fonctionnelles, disposées en rectangle, centrées sur un espace vide. Celles-ci, dépourvues d’abattants, permettent une vision panoramique sur les extrémités inférieures des participants placés en vis-à-vis. Lorsque l’orateur de service enfile un collier de banalités ou s’enlise dans le filandreux, moments propices au vagabondage de l’esprit des participants, il est possible de passer en revue les chaussettes des collègues masculins. Et là aussi, le diable se cache dans les détails. À l’aide de quelques critères discriminants, dressons ici, à l’exemple de Linné, une nomenclature systémique.
S’excluent eux-mêmes d’une telle classification les abstinents, que ce soit à la suite d’un choix de vie, tel le moine franciscain chaussé de sandales, ou d’une posture, à l’image du dandy, pieds nus dans ses mocassins à picots. Celui-ci peut toutefois, à l’hypocrite, adopter la chaussette dite invisible, pour se la jouer libéré sans pour autant renoncer à l’hygiène. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 3 commentaires

Rebrousser chemin

Le fait est qu’une carie linguistique, tenace, gâte la dentition de nombreux éditorialistes et personnalités politiques. C’est le « retour en arrière », expression qui colle parfaitement avec la définition du pléonasme comme « au jour d’aujourd’hui ». Le temps étant élastique on peut, mais c’est plus rare, parler de retour en avant. Attention toutefois aux inspecteurs des oxymores, prompts à verbaliser les rigolos cherchant à jouer les intéressants. Dans une édition de 1806 des Fables de La Fontaine (ci-contre), le grand conteur et moralisateur s’était fait presque prendre. L’éditeur -libraire-imprimeur H.Barrou (au 5 rue des Mathurins) avait en effet adjoint un lexique en fin d’ouvrage afin d’y traduire les mots supposés compliqués. Comme dans le texte « La femme noyée », livre III, où La Fontaine fait dire à l’un des personnages: « Rebroussez plutôt en arrière ». Et dans l’appendice lexical il est mentionné qu’il s’agit d’un pléonasme et qu’il eût mieux valu dire: « Rebroussez chemin ». Dans la mesure où l’auteur a mis la bévue dans la bouche d’un protagoniste, il n’est pas si fautif que cela. Si la fable doit coller à la réalité, il faut bien en effet, se soumettre au mal-parler du bon peuple. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 5 commentaires

Hô Chi Minh ne portait pas de moustaches

Il portait un chapeau oui, mais pas de moustaches. En revanche, à en croire cette fiche de renseignements établie par le ministère des Colonies entre 1919 et 1920 (dont on voit ici un détail), le futur chef de l’État vietnamien suscitait déjà la méfiance des autorités françaises. Hô Chi Minh (1890-1969) était décrit comme quelqu’un changeant facilement de nom (Nguyễn Sinh Cung puis Nguyễn Ái Quốc), cachait son « origine véritable » et pouvait contrefaire son accent. Ce document tout à fait étonnant figure en bonne place au sein de l’exposition consacrée à l’immigration asiatique au Palais de la Porte Dorée. Lequel s’appelait autrefois le Musée des colonies avant de devenir celui de l’histoire de l’immigration ce qui est une façon de rendre une thématique parfaitement circulaire. Cette très intéressante exposition, peut-être davantage que les précédentes, nous emmène depuis la guerre de l’opium aux environs de 1860 jusqu’à nos jours où le « péril jaune » avait pris la forme d’un virus incontrôlable. Elle concerne certes quelques personnalités comme Hô Chi Minh -dont la fameuse fiche est consultable aux Archives nationales (1)- mais surtout ces milliers d’anonymes ballotés de continents en continents au fil des tragédies de l’histoire. Continuer la lecture

Publié dans Exposition | 4 commentaires