Souvenirs d’un mur

Le 9 novembre 1989, à 18 heures, le camarade Günter Schabowski, secrétaire du Comité central du SED (Parti Socialiste Unifié d’Allemagne), commençait une conférence de presse. À l’ordre du jour, de nouvelles mesures suspendant les conditions très restrictives de voyage à l’étranger des citoyens de la République Démocratique. L’ouverture des frontières entre la Hongrie et l’Autriche, six mois plus tôt, la pression populaire est-allemande, rendaient intenable le verrouillage en vigueur. À 18h57, un journaliste italien, Ricardo Ehrman, risque la question sur la mise en pratique de ces dispositions. Pris au dépourvu, l’orateur s’empêtre dans ses notes, et laisse échapper: « pour autant que je sache, immédiatement!» Réponse retransmise en direct à la télévision et la radio d’État. Très rapidement, des centaines de Berlinois de l’Est se pressent au poste de contrôle de Bornholmer Strasse. À 23h30, ils sont plusieurs milliers. En l’absence de consignes, Harald Jäger, l’officier commandant les gardes-frontières hésite à faire tirer, mais comprend vite que lui et ses hommes seront, dans ce cas, écharpés sur place par la foule. Il donne l’ordre de lever les barrières. Continuer la lecture

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Le Bauhaus de Dessau : école révolutionnaire, bâtiment emblématique

Autant dire que le Bauhaus a eu une vie mouvementée. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir l’un des mouvements artistiques qui a le plus marqué le XXe siècle et qui « façonne » toujours notre monde aujourd’hui. L’école du Bauhaus a été fondée à Weimar (Thuringe) en 1919 par un architecte visionnaire de génie, Walter Gropius. Jugée trop libérale par la ville de Weimar, l’école s’est installée à Dessau (Saxe-Anhalt) en 1926 dans un bâtiment iconique du mouvement. Elle a été fermée par les nazis en 1932 à cause de ses idéaux prétendument bolchéviques. Bombardé pendant la guerre, puis boudé par la RDA, le bâtiment du Bauhaus, in fine restauré en 1976, est ouvert au public. Une occasion unique de bien s’imprégner de ce courant révolutionnaire. Dont acte. « Bauhaus » dans un quartier périphérique de Dessau, les lettres se détachent sur un bâtiment moderne qui semble banal aujourd’hui.  Continuer la lecture

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Fée brune

Presque partout c’était la même chose. Sauf réception entre bourgeois, la consommation d’opium se faisait dans des pièces, caves et soupentes, où le décor n’avait pas d’intérêt. Il fallait juste la place suffisante pour s’allonger et tirer sur le bambou. Dans une ambiance forcément calme puisque le voyage était intérieur. Nul besoin d’un rideau protecteur pour fantasmer, le rêve s’épanouissait quelque part dans une antichambre du cerveau. Les éditions L’Échappée ont eu cette excellente idée de mettre en librairie dès demain 5 novembre, les écrits d’un journaliste ayant décidé d’un reportage en profondeur dans les fumeries parisiennes, avant que l’interdiction de 1916 n’y mette officiellement  le holà. Il se faisait appeler Delphi Fabrice, il était né en 1877 et vivait de sa plume, surtout la nuit. La comédienne Polaire racontait qu’il débarquait chez elle le matin, « mal réveillé d’entêtants sommeils d’éther, le cou protégé d’un cache-nez blanc qui dissimulait son linge encore nocturne, les doigts bagués sans discrétion ». On imagine un peu ces oiseaux de nuit au teint grisâtre comme la presse en a toujours connu. Il avait du pain à découper sur la planche et de la résine à brûler dans le fourneau, car la capitale française comptait apparemment 300 officines spécifiques.
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Retour le 4 novembre

Nous sommes un peu sans nouvelles de la vente qui devait avoir lieu le 22 octobre à Drouot et que nous avions annoncée le 16. Beaucoup de pièces autographes liées à Guillaume Apollinaire, certaines inédites, du brouillon d’écrivain à de nombreuses lettres de Picasso, le tout était attendu par les collectionneurs, curieux et amateurs (1). Mais le site de la maison Magnin Wedry affiche désormais ce message à la fois clair et hermétique: « Guillaume Apollinaire et ses amis », vente reportée à une date ultérieure (remarquable pléonasme au passage). Pas moyen de savoir de quoi il retourne, l’affaire semble être classée secret-défense. Ce qui ne nous empêchera pas chers lecteurs, d’observer une brève pause éditoriale en cette semaine de Toussaint. Et de vous retrouver avec joie dès le lundi 4 novembre. PHB Continuer la lecture

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Arrêt sur images

Le film ne dure que 38 secondes. C’est peu. Et c’est suffisant pour que l’on éprouve une réelle émotion en reconnaissant le visage de Jacqueline Apollinaire, coiffée d’un sobre chapeau noir et tenant un bouquet de fleurs à la main. À ses côtés, le compositeur Francis Poulenc qui vouait une totale admiration au poète. On aperçoit le visage caractéristique de l’écrivain André Salmon, l’ami de toujours, et aussi celui du peintre russe Serge Férat, autre ami intime, par ailleurs auteur du monument funéraire. Nous sommes le 9 novembre 1945, date anniversaire de la mort d’Apollinaire. Comme ils le font chaque année depuis 1919, ses amis et admirateurs viennent se recueillir devant sa tombe, au cimetière parisien du Père-Lachaise. Continuer la lecture

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Laisser le temps faire son œuvre

Rassembler des contenants faits de terre crue, copies de récipients réels après moulage, en remplir certains d’eau et laisser la gravité agir. Moyennant quoi l’œuvre va se métamorphoser au fur et à mesure que le temps passe et nul ne sait, en milieu de parcours, à quoi elle ressemblera exactement lors du baisser de rideau. Le travail ci-contre est signé Julia Gault, une artiste ayant fait le choix inverse de la plupart des acteurs du monde de l’art. Réalisée en 2018 et titrée « Où le désert rencontrera la pluie », l’installation n’a en effet pas vocation à être stabilisée ou figée. Relativement marginale, la démarche soulève quantité de questions intéressantes. De l’art pariétal à Picasso en passant par Léonard de Vinci, l’idée a toujours été que ça « tienne », ce que les hommes des cavernes faisaient déjà très bien. Et de nos jours, le métier de conservateur se fonde sur l’immobilisation, l’arrêt de la dégradation. D’un côté très fréquenté, il s’agit d’abord de créer pour la postérité. La Joconde par exemple, étant peu ou prou ce qu’elle était dès l’origine. De l’autre, sur les chemins de traverse, il s’agit surtout de contrôler l’œuvre du temps, en la guidant. Continuer la lecture

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Nocturne au Luxembourg

Tout le monde ne sait pas que la nuit tombée, lorsque les grilles du jardin du Luxembourg sont fermées, il se produit des événements louches. Sauf la comtesse de Ségur (1799-1874) qui ne se dépare jamais d’une rigidité décourageante, certains personnages statufiés descendent de leur socle afin de se dégourdir les jambes. Un petit garçon en 1964, qui s’était aventuré dans le parc, avait raconté le phénomène à sa mère et il se souvient encore qu’il s’en était pris une, car à l’époque, c’était ainsi que l’on scellait le débat, étant entendu que le verbe clore n’a pas d’imparfait. Parmi ceux qui profitent des allées désertes, on peut reconnaître Pierre Mendès France (ci-dessus), toujours vêtu de son imperméable, ce qui lui permet de ne pas être trop transparent comme il sied aux fantômes sachant se tenir. Tout en déambulant il parle à voix haute. Il se souvient qu’au début de 1955, son séjour à la tête du gouvernement semblait compromis malgré une popularité encore bonne à plus de 55% d’opinions favorables. Toute ressemblance avec l’actualité n’est pas fortuite. Bien qu’il soit considéré à gauche comme une personnalité morale, les socialistes l’avaient laissé tomber comme une chaussette trouée et presque tout ce que l’Assemblée comportait de démocrates aussi. Continuer la lecture

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L’Odyssée en Asie mineure de Simon Abkarian

Fasciné par les grands mythes, le comédien, metteur en scène et auteur Simon Abkarian reprend “Ménélas Rebétiko Rapsodie” et “Hélène après la chute” avant la création en janvier de “Nos âmes se reconnaîtront-elles ?”, dernier opus de cette Odyssée en Asie mineure. Invoquant deux figures majeures de la mythologie grecque, il revient sur l’histoire d’amour d’Hélène et de Ménélas, la plus belle femme du monde et le mari délaissé. Car, selon la légende, après avoir déclenché la guerre de Troie, qui dura dix ans et causa d’innombrables morts, Hélène et Ménélas vécurent heureux pour l’éternité dans les Champs Élyséens. Dans sa vision du mythe, Abkarian s’attache à comprendre les sentiments des deux époux et “redonne de la grandeur et de l’ampleur à ces personnages mythiques dont les antiques et humaines aspirations ne sont pas étrangères aux nôtres”. Deux spectacles d’une grande beauté où, mêlé à la musique et au chant, le texte puissant d’Abkarian nous renvoie avec maestria aux grands récits fondateurs de notre civilisation. Continuer la lecture

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En direct du MET

Il y a maintenant dix-huit ans, en 2006, Peter Gelb, nouveau directeur du Metropolitan Opera de New York, eut une idée de génie: diffuser en direct des opéras de sa très prestigieuse maison dans des cinémas, pour démocratiser cet art soi disant élitiste. Première saison prudente, et dès la seconde, succès foudroyant. Aujourd’hui, quelque cinquante-cinq pays à travers le monde, jusqu’aux Îles Vierges en passant par la Russie ou la Chine, retransmettent chaque année en direct huit à dix opéras par saison, avec sous-titres locaux. À travers la France, la retransmission passe par le circuit des cinémas Pathé. L’idée est de transporter au Met, le temps d’une soirée, ceux qui n’ont pas les moyens de prendre l’avion jusqu’à New York. Tout est organisé dans ce but. Continuer la lecture

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Les guerres d’avant et d’après-guerre

Sorti il y a pile un an dans les salles (février pour la France), réalisé par Paola Cortellesi, « Il reste encore demain », est une plongée bouleversante dans les réalités sociales de l’Italie d’après-guerre, une période marquée non seulement par la reconstruction physique du pays, mais aussi par des conflits sociaux latents, en particulier la violence domestique. Ce film rappelle que, même après la fin des hostilités militaires, d’autres guerres -plus subtiles mais tout aussi destructrices- persistent au sein de la société. Cortellesi dresse un parallèle puissant entre les luttes visibles sur les champs de bataille et celles, invisibles, qui se déroulent au quotidien dans les foyers et dans l’âme des individus, surtout celles des femmes. Le personnage central du film, Delia, interprété par Cortellesi elle-même, incarne ces conflits avec une intensité saisissante. Delia, une femme au foyer apparemment ordinaire, est soumise à la violence de son mari, une violence banalisée et acceptée par son entourage. Une des scènes les plus percutantes du film survient lorsqu’elle renvoie ses enfants pour ne pas qu’ils assistent aux coups réguliers de leur père à leur mère. Continuer la lecture

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