Dans le monde merveilleux de Jacques Prévert

“Une pierre / deux maisons / trois ruines / quatre fossoyeurs / un jardin / des fleurs / un raton laveur…” ainsi commençait, rappelez-vous, l’inventaire fantasque de Jacques Prévert (1900-1977) dans “Paroles” (1946). Le poète surréaliste poursuivait sa description, associant, dans un joyeux amalgame, un ecclésiastique, un furoncle, un fauteuil Louis XVI ou encore un cannibale. Et toujours des ratons laveurs. Cette énumération farfelue, qui a depuis donné naissance à l’expression “inventaire à la Prévert”, nous embarquait dans un monde plein de fantaisie, un monde que nous avions appris à aimer dès l’enfance, heureux de réciter les poésies de ce libertaire au cœur tendre qui nous encourageait à préférer la liberté à la stricte discipline d’une salle de classe. Avec “Fatatras ! Inventaire de Jacques Prévert”, actuellement à l’affiche du Théâtre de Poche Montparnasse, Anne Baquet et Jean-Paul Farré nous invitent, avec la complicité facétieuse de Gérard Rauber, à un inventaire poétique plein d’entrain et d’esprit où nous (re)découvrons pêle-mêle le poète, le cinéaste, l’anarchiste, le surréaliste… Un hommage des plus réjouissants ! Continuer la lecture

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L’Éternité pour 700.000 euros (et autres bonnes affaires)

Ambiance tendue, le 8 décembre 2023, à la salle des ventes parisienne Piasa. On sent comme une impatience avant la présentation du lot vedette de l’après-midi, le numéro 138. Sobrement intitulé «Collection d’un amateur» le catalogue propose deux-cents livres ou manuscrits du 19e siècle. Pour précieuses qu’elles soient, les éditions rares de Théophile Gautier, Lamartine ou Victor Hugo suscitent l’intérêt habituel, sans plus. Il y eut certes une pièce maîtresse: le texte des « Fantômes parisiens » de Baudelaire (devenu « Les sept vieillards »  dans les Fleurs du Mal), manuscrit orné d’un dessin à la plume original de l’auteur, représentant un trois-mats voguant sur les vagues. Estimé entre 120.000 et 160.000 euros, il partit à un peu plus de 214.000 euros, ce qui pour les amateurs reste finalement dans l‘ordre des choses. Le véritable clou de la vente était le manuscrit d’un des chefs-d’œuvre de Rimbaud « L’Eternité » (Elle est retrouvée / Quoi ? – L’Eternité. / C’est la mer allée / Avec le soleil), l’un des sept poèmes de « Une saison en enfer ». Une page qu’un journaliste débutant qualifierait immanquablement de «mythique». Continuer la lecture

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Prévisions dépassées

On ne sait pas exactement quand eut lieu le procès, s’il a même jamais existé, mais les faits rapportés situent son déroulement à Hanovre. Ce qui paraît un peu bizarre pour un prévenu nommé Théodore Baveux dans la mesure où le patronyme ne sonne que d’assez loin allemand. Mais admettons. L’homme était accusé d’avoir empoisonné son épouse en en lui servant à déjeuner, un vol-au-vent empoisonné à la strychnine. L’enquête avait prouvé qu’il s’était procuré de cette substance auprès d’un pharmacien. Mais c’était selon lui pour buter des punaises et non afin de tuer sa femme. Le tribunal lui rappela tout de même que sa concierge l’avait entendu dire qu’étant donné son caractère, il ferait « passer à sa femme le goût du pain ». M.Baveux ne se démonta pas et répliqua finement à l’interrogateur qu’il avait effectivement prononcé cette phrase mais qu’il n’avait jamais dit, en revanche, qu’il ferait « passer à sa femme le goût du vol-au-vent ». Déjà invraisemblable, il ressort de cet anecdote parue en 1926 dans l’Almanach National aux éditions du Pêle-Mêle, que le sieur Baveux échappa à la peine de mort car le véritable assassin se fit connaître à la fin de façon très étonnante. Continuer la lecture

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La collection Illuminata éblouit l’École des Arts Joailliers de Hong Kong

L’exposition «An Eye for Beauty, the Illuminata Jewelry Collection» de L’École Asia Pacific, School of Jewelry Arts à Hong Kong est en parfaite harmonie avec l’atmosphère de fête qui règne ces jours-ci. À peine sorti des festivités destinées à célébrer l’arrivée de 2024, le Port au Parfum se pare à nouveau de mille feux afin d’accueillir l’année lunaire du Dragon de Bois. Des orchidées jaunes ou fuchsia, des fleurs de pêcher rose foncé, des mandariniers et des morelles mammiformes orangées s’emparent des rues, à l’ombre des lanternes flamboyantes, pourpres et or, accrochées au-dessus des échoppes. Une avalanche de couleurs vives s’abat sur la ville, rayonnante, à l’image de la joaillerie éblouissante offerte (l’exposition est gratuite) à l’œil du visiteur du cinquième étage du K11 MUSEA. Ce centre commercial de luxe jouxtant le somptueux hôtel Rosewood, qui confère un air futuriste à la promenade du front de mer de Kowloon, devrait son nom, dit-on, aux neuf muses de la mythologie grecque. Quoi qu’il en soit, c’est dans cet écrin mythique, quasiment neuf (ouvert au public fin août 2019), par ailleurs qualifié de «Silicon Valley de la culture» par ses architectes, que la branche Asie Pacifique de L’École des Arts Joailliers se situe. Ouverte en 2019 sous l’égide de Van Cleef & Arpels, son objectif est de sensibiliser puis de former le grand public hongkongais à l’univers de la joaillerie. Dans cette optique, un programme très riche de cours et de conférences est proposé. Continuer la lecture

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En cadence

Certains l’éprouvent en ce moment-même au front: durant l’assaut, toute forme d’encouragement est bonne à prendre. Bien que l’usage se soit dissout, peut-être qu’en réhabilitant le rôle du tambour, un camp serait à même de prendre l’avantage sur l’autre. C’est ce qui est indiqué au pied de cette sculpture de bronze avec la mention « pendant l’assaut ». Tout indique, de l’uniforme en passant par le nom du sculpteur (Charles Anfrie, 1833-1905), que le soldat ainsi figé dans le bronze, opérait vers la fin du 19e siècle. Il a mis un certain temps pour gagner son actuelle demeure vu son poids respectable. Très fort serait le voleur qui pourrait partir avec en courant. Avec sa moustache, sa cartouchière en bandoulière, il personnifie l’élan figé de celui qui d’une façon générale, était là pour marquer la cadence. Une pratique qui relève de la céleustique, c’est-à-dire et en d’autres termes, l’art de transmettre des ordres par des signaux sonores.  Si l’on recule dans le temps, le tambour pouvait être accompagné d’un fifre et, dans les deux cas, il semble que cet accompagnement musical spécifique d’une armée en marche, soit venu de Suisse. Continuer la lecture

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Guadalajara (Mexique) : mariachis, tequila et haute technologie

Guadalajara, les syllabes de ton nom ricochent comme les pierres qui dégringolent tes collines poussiéreuses. Avec environ 5 millions d’habitants, Guadalajara est la deuxième ville du Mexique et la capitale de l’État de Jalisco. État qui sait marier traditions et haute technologie. Guadalajara est en effet le lit de la Silicon Valley mexicaine. Le mexicain Carlos Slim, magnat de Carso, empire prospère de télécommunications, finance et industrie, est l’un des hommes les plus riches du monde. Le Jalisco est aussi la patrie des mariachis (petits orchestres ambulants emblématiques) et de la tequila. Guadalajara, un embrouillamini de styles. Continuer la lecture

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Sofia et Priscilla

Rappelez-vous, vers la fin du «Parrain3 » (1990), comment Mary Corleone s’effondre sur les escaliers de l’Opéra Massimo de Palerme, et comment son père brandit son cadavre à la face du ciel. Dans le rôle de la fille assassinée par erreur, Sofia Coppola, dix-huit ans, fille de Francis, engagée au dernier moment pour pallier au désistement de l’actrice prévue pour le rôle. La scène est doublement symbolique, car les Coppola ont tout d’un clan, le père associant étroitement sa famille à son destin. Après le succès inattendu et délirant du premier « Parrain » (une œuvre de commande), le roi du New Hollywood exigera que sa famille le suive sur ses tournages, et la petite fille traversera innocemment le tournage d’«Apocalypse Now» aux Philippines en 1976-77, l’un des plus dramatiques de l’histoire du cinéma, ou celui de «Cotton Club» en 1985, l’occasion pour elle de découvrir vraiment New York à treize ans. Plus tard, alors que son papa tourne «L’idéaliste» à Memphis, Tennessee, en 1997, elle découvre Graceland, la propriété très bling bling achetée par le roi du rock’n’roll Elvis Presley en 1957. L’ex femme du King, Priscilla, tient alors fermement en main la gestion de l’extravagant domaine, manoir, tombe, piscine, voitures, avions, costumes, disques d’or. Aujourd’hui, Graceland serait le deuxième site du pays le plus visité, après la Maison Blanche. Le King n’a-t-il pas été le précurseur du rock’n’roll et le premier Blanc à se déhancher comme un Noir sur scène ? Continuer la lecture

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Les pas éperdus

Saint-Lazare peut-être plus que d’autres gares, provoque cette sensation de machine à destin. C’était encore plus vrai lorsque l’on y prenait encore le train pour l’Amérique via le Havre ou Cherbourg. La gare Saint-Lazare y cycle et recycle tout un jusant d’hommes et de femmes toujours inquiets des horaires. « Nul ne gîte à Saint-Lazare, c’est un quartier de passe », écrivait finement l’écrivain Paul Guimard (1921-2004) qui vivait rue du Havre, à deux pas de la rue de Budapest, longtemps connue pour sa prostitution pas folichonne. Les éditions de l’Échappée, pour sa collection Paris Perdu, ont eu la bonne idée de racheter les droits de « Rue du Havre », un roman de Paul Guimard qui obtint le prix Interallié en 1957. Un film en avait été tiré mais il a moins laissé de traces dans les mémoires que « Les choses de la vie » de Claude Sautet, sorti en 1970 et justement adapté d’un roman de Guimard. Il n’en reste pas moins que ce livre qui est dès aujourd’hui sur les rayons des librairies, est une belle découverte, grâce entre autres choses à une écriture très plaisante, en raison d’un style fluide et inspiré dont on s’aperçoit au passage qu’on l’avait un peu perdu de vue. Continuer la lecture

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Aragon au-delà des limites

Ils se cherchaient un thème nouveau, une direction à prendre, quelque nom dont ils feraient une marque à l’huis des champs de conscience et il se sont rendu compte que Guillaume Apollinaire en avait laissé un exprès, sur l’étagère. Le mot surréalisme avait en effet été fort peu utilisé, juste une fois pour la représentation des « Mamelles de Tirésias » en juin 1917. Apollinaire en était l’auteur et il avait qualifié son drame de surréaliste. « Surréalisme n’existe pas encore dans les dictionnaires, avait-il précisé, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé par les Philosophes. » N’en ayant par la suite ni enregistré le brevet, ni déposé la marque, la franchise était libre depuis le décès de l’inventeur. Ce qui fait qu’un certain nombre de poètes au début des années vingt, André Breton en tête, s’emparèrent de la dénomination pour en faire leur oriflamme d’explorateurs des banlieues de l’inconscient. André Breton (1896-1966) théorisa l’affaire et se fit à la fois gardien du temple, juge et procureur, à toutes fins utiles. Son manifeste du surréalisme parut en 1924 la même année qu’un texte moins connu de Louis Aragon (1897-1982), du même tonneau mais pas de la même encre. Les éditeurs faisant bien leur métier, « Une vague de rêves » vient de sortir cent ans après, aujourd’hui même chez Seghers. Continuer la lecture

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Andromaque du côté de chez Brook

Point de fioritures pour jouer le grand Shakespeare (1564-1616), nous avait dit en son temps Peter Brook (1925-2022), avec une version merveilleusement dépouillée d’“Hamlet” qui fit date. La tragédie y était réduite à sa plus substantifique moelle, écourtée et ramassée, certains comédiens allant jusqu’à jouer plusieurs rôles. Fidèle à sa théorie de “l’espace vide” (1), le metteur en scène avait une fois pour toutes placé l’être humain au cœur de son théâtre, dans un espace-temps qui concentrait la vie de la manière la plus dense. Ce qui vaut pour Shakespeare vaut aussi pour Racine; et le metteur en scène Jean-Yves Brignon semble un digne disciple du maître en nous donnant aujourd’hui à voir et à entendre une “Andromaque” (1667) à l’esthétique totalement “brookienne”. Dans une langue racinienne qui résonne ici d’une savoureuse clarté, avec en tout et pour tout quatre interprètes -mais quels interprètes !-, et une scénographie des plus sobres, il nous offre un spectacle d’une grande fluidité qui fait la part belle à la passion des sentiments. Continuer la lecture

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