Secrets au bord du lac

«May December», dernier film de Todd Haynes, cinéaste indépendant américain de 63 ans, nous fait vivre une expérience étrange et nouvelle par rapport à ses films précédents: à la sortie de la salle, nous avons le sentiment d’être restés extérieurs à cette histoire, de n’avoir jamais pu la pénétrer. Sentiment conforté par ces plans répétés où la caméra effleure par larges travellings la surface du lac au bord duquel se situe la demeure, où la caméra caresse les plantes et les fleurs, où elle s’enfonce dans la profondeur des bois alentour. Comme si tout se déroulait à la surface de la nature inaltérable. Sans oublier le thème musical récurrent, riche de mystère et de nostalgie, puisqu’il s’agit d’une réécriture, par le Brésilien Marcelo Zarvos, de la bande originale du film de Joseph Losey «The go-between» (Le Messager, 1971), musique composée alors par Michel Legrand. Non seulement ce thème est proprement obsédant, mais il nous renvoie au passé, ce qui est le cœur même du film. Alors pourquoi avons-nous le sentiment d’être tenus à distance ? Continuer la lecture

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Un songe, une illusion, un mirage, un faux pas

Il y a des évidences qui ont été comprises bien tôt. S’il est dit couramment que pour vivre heureux il vaut mieux vivre dans l’anonymat, certains l’avaient théorisé il y a longtemps. D’autres en avaient fait des quatrains tel Omar Khayyâm qui vécut à Nichapur, l’actuel Iran, à partir du 11e siècle. Ses quatrains ou Rubâ’iyât, encensaient globalement l’art de vivre heureux, d’amour et de vin. Et donc quelque part et en quelque temps reculé, il avait écrit justement: « Si tu acquiers la renommée dans la cité on t’assassine!/Si tu te caches dans ton coin on te dit un instigateur!/Alors ne vaudrait-il pas mieux, fusses-tu Élie ou saint Georges/N’être lié à personne, de personne n’être connu? ». Fascinant personnage, Omar Khayyâm fut traduit par Pierre Seghers dans la seconde partie du 20e siècle. Et ce travail qui fait aujourd’hui autorité, accompagné d’une présentation biographique étincelante d’érudition, vient de ressortir aux éditions Seghers (dès le 8 février), dans un contexte géo-politique qui accentue l’intérêt de sa lecture. L’éditeur français en était tellement entiché que tout en haut du cimetière de Montparnasse, côté Raspail, il a été enseveli avec les carnets de vers de Omar Khayyâm. Continuer la lecture

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Cartoucherie

Le fait que le Musée Carnavalet s’intéresse jusqu’à la fin du mois à la période de la Régence (1715-1723) convoque en pensée le bandit Cartouche. Et il est pratiquement impossible de penser à Cartouche sans lui prêter les traits de Jean-Paul Belmondo dans le film signé Philippe de Broca sorti en 1962 et simplement intitulé « Cartouche » . Pas simple non plus de ne pas appeler le visage de Philippe Noiret dans « Que la fête commence » afin de mieux imaginer celui qui fit l’intérim du roi Louis XV, Philippe d’Orléans. Les deux films ont été des succès mérités. Avec le temps, les génériques des deux longs métrages sont presque devenus des requiem. Outre Belmondo et Noiret on pense pêle-mêle à Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort ou la regrettée Christine Pascal. C’est la force de ces films que d’avoir scellé irrésistiblement des masques sur les visages de personnages historiques. Justement, un jour que le Régent circulait grimé dans une fête qui se donnait au milieu du jardin des Tuileries, un faux abbé (ci-dessus par Bilibine) s’approcha de lui pour lui souffler l’imminence de la « conjuration de Cellamare ». Vivement intéressé le Régent convia discrètement l’homme chez lui afin d’avoir tous les détails. Sans vouloir connaître son identité il lui confia en guise de remerciement, une bague royale, censée le protéger le cas échéant. Continuer la lecture

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Incontournable blanquette

La blanquette de veau figure au répertoire culinaire français, en compagnie du bœuf bourguignon, du pot au feu, du navarin d’agneau, du petit salé aux lentilles, du civet de lièvre…… Elle est souvent dénommée «à l’ancienne», sur la carte des brasseries ou de certains restaurants, afin de conforter dans leurs certitudes les tenants de la tradition.
Au risque de les décevoir, le mode de préparation actuel du plat n’a que peu à voir avec la recette initiale, excepté son apparence. Une recette dénommée blanquette figure, pour la première fois, dans «Le cuisinier moderne», traité publié en 1735 par Vincent La Chapelle, à cette époque au service de madame de Pompadour. L’auteur y fait état d’une manière d’accommoder un restant de rôt. Cette pièce de viande, par conséquent déjà cuite, est coupée en tranches minces, mises à revenir (c’est-à-dire dorée au beurre dans une poêle). Celles ci sont ensuite recouvertes d’une sauce blanche, et servies en entrée, sans accompagnement. De cette couleur de la préparation, certains ont tiré l’origine de son appellation, du provençal blanqueto, diminutif de blanco. Mais d’autres se sont souvenu du passage de La Chapelle chez le comte de Chesterfield. Le traité mentionné plus haut a d’abord été rédigé en anglais, sous le titre «The modern cook», en 1733, et la préparation en cause intitulée veal blanquet du mot blanket signifiant couverture. Continuer la lecture

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Un PM très occupé

Il n’est pas indifférent que l’idée originale de la série norvégienne «Occupied» présentée sur Arte tv (troisième saison depuis le 14 janvier) revienne à Jo Nesbo, un des maîtres du «polar nordique». Il est le créateur de Harry Hole, inspecteur de la police criminelle d’Oslo, mondialement célèbre depuis plus de vingt ans pour ses crises d’alcoolisme, son flair, et son pessimisme. Il n’est pas indifférent non plus que Jo Nesbo ait imaginé que dans un avenir proche, alors que les États-Unis ont quitté l’OTAN, les Norvégiens annoncent mettre un terme à leur production pétrolière et gazière. Mais l’Europe traversant une grave crise énergétique, la communauté européenne se tourne vers la Russie pour lui demander son appui. Voilà donc l’Europe dans le rôle du méchant, à côté de la Russie… Continuer la lecture

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La poésie et ses agios

S’intéresser à la poésie peut parfois amener à frapper à des portes inattendues comme celles de la Banque Centrale d’Uruguay ou tout du moins son site Internet. Le point de départ étant une enveloppe à fenêtre, achetée un jour sur le marché des vieux papiers, avec comme en-tête « Banco Supervielle de Buenos Aires » filiale française (à l’époque) de la Société Générale, la banque au logo rouge et noir bien connu. Parce que cette enseigne partage la même origine que Jules Supervielle (1884-1960), poète dûment répertorié dans le Gotha tricolore. Jules qui a, on peut le dire écrit de jolies choses au cours de sa vie, est né en Uruguay, à Montevideo précisément, là où son oncle avait fondé la fameuse banque. Laquelle depuis, est partie prospérer en Argentine en laissant tomber derechef le pavillon français tout en conservant son vieil ADN. Quant à Jules Supervielle, il a pu user dès son plus jeune âge du papier à en-tête de la Banco Supervielle pour y calligraphier ses premiers mots puis ses premiers textes. De fil en aiguille c’est le moins que l’on puisse dire, d’autres informations du même tonneau, du même compte devrions-nous dire, sont apparues. Continuer la lecture

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Dans le monde merveilleux de Jacques Prévert

“Une pierre / deux maisons / trois ruines / quatre fossoyeurs / un jardin / des fleurs / un raton laveur…” ainsi commençait, rappelez-vous, l’inventaire fantasque de Jacques Prévert (1900-1977) dans “Paroles” (1946). Le poète surréaliste poursuivait sa description, associant, dans un joyeux amalgame, un ecclésiastique, un furoncle, un fauteuil Louis XVI ou encore un cannibale. Et toujours des ratons laveurs. Cette énumération farfelue, qui a depuis donné naissance à l’expression “inventaire à la Prévert”, nous embarquait dans un monde plein de fantaisie, un monde que nous avions appris à aimer dès l’enfance, heureux de réciter les poésies de ce libertaire au cœur tendre qui nous encourageait à préférer la liberté à la stricte discipline d’une salle de classe. Avec “Fatatras ! Inventaire de Jacques Prévert”, actuellement à l’affiche du Théâtre de Poche Montparnasse, Anne Baquet et Jean-Paul Farré nous invitent, avec la complicité facétieuse de Gérard Rauber, à un inventaire poétique plein d’entrain et d’esprit où nous (re)découvrons pêle-mêle le poète, le cinéaste, l’anarchiste, le surréaliste… Un hommage des plus réjouissants ! Continuer la lecture

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L’Éternité pour 700.000 euros (et autres bonnes affaires)

Ambiance tendue, le 8 décembre 2023, à la salle des ventes parisienne Piasa. On sent comme une impatience avant la présentation du lot vedette de l’après-midi, le numéro 138. Sobrement intitulé «Collection d’un amateur» le catalogue propose deux-cents livres ou manuscrits du 19e siècle. Pour précieuses qu’elles soient, les éditions rares de Théophile Gautier, Lamartine ou Victor Hugo suscitent l’intérêt habituel, sans plus. Il y eut certes une pièce maîtresse: le texte des « Fantômes parisiens » de Baudelaire (devenu « Les sept vieillards »  dans les Fleurs du Mal), manuscrit orné d’un dessin à la plume original de l’auteur, représentant un trois-mats voguant sur les vagues. Estimé entre 120.000 et 160.000 euros, il partit à un peu plus de 214.000 euros, ce qui pour les amateurs reste finalement dans l‘ordre des choses. Le véritable clou de la vente était le manuscrit d’un des chefs-d’œuvre de Rimbaud « L’Eternité » (Elle est retrouvée / Quoi ? – L’Eternité. / C’est la mer allée / Avec le soleil), l’un des sept poèmes de « Une saison en enfer ». Une page qu’un journaliste débutant qualifierait immanquablement de «mythique». Continuer la lecture

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Prévisions dépassées

On ne sait pas exactement quand eut lieu le procès, s’il a même jamais existé, mais les faits rapportés situent son déroulement à Hanovre. Ce qui paraît un peu bizarre pour un prévenu nommé Théodore Baveux dans la mesure où le patronyme ne sonne que d’assez loin allemand. Mais admettons. L’homme était accusé d’avoir empoisonné son épouse en en lui servant à déjeuner, un vol-au-vent empoisonné à la strychnine. L’enquête avait prouvé qu’il s’était procuré de cette substance auprès d’un pharmacien. Mais c’était selon lui pour buter des punaises et non afin de tuer sa femme. Le tribunal lui rappela tout de même que sa concierge l’avait entendu dire qu’étant donné son caractère, il ferait « passer à sa femme le goût du pain ». M.Baveux ne se démonta pas et répliqua finement à l’interrogateur qu’il avait effectivement prononcé cette phrase mais qu’il n’avait jamais dit, en revanche, qu’il ferait « passer à sa femme le goût du vol-au-vent ». Déjà invraisemblable, il ressort de cet anecdote parue en 1926 dans l’Almanach National aux éditions du Pêle-Mêle, que le sieur Baveux échappa à la peine de mort car le véritable assassin se fit connaître à la fin de façon très étonnante. Continuer la lecture

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La collection Illuminata éblouit l’École des Arts Joailliers de Hong Kong

L’exposition «An Eye for Beauty, the Illuminata Jewelry Collection» de L’École Asia Pacific, School of Jewelry Arts à Hong Kong est en parfaite harmonie avec l’atmosphère de fête qui règne ces jours-ci. À peine sorti des festivités destinées à célébrer l’arrivée de 2024, le Port au Parfum se pare à nouveau de mille feux afin d’accueillir l’année lunaire du Dragon de Bois. Des orchidées jaunes ou fuchsia, des fleurs de pêcher rose foncé, des mandariniers et des morelles mammiformes orangées s’emparent des rues, à l’ombre des lanternes flamboyantes, pourpres et or, accrochées au-dessus des échoppes. Une avalanche de couleurs vives s’abat sur la ville, rayonnante, à l’image de la joaillerie éblouissante offerte (l’exposition est gratuite) à l’œil du visiteur du cinquième étage du K11 MUSEA. Ce centre commercial de luxe jouxtant le somptueux hôtel Rosewood, qui confère un air futuriste à la promenade du front de mer de Kowloon, devrait son nom, dit-on, aux neuf muses de la mythologie grecque. Quoi qu’il en soit, c’est dans cet écrin mythique, quasiment neuf (ouvert au public fin août 2019), par ailleurs qualifié de «Silicon Valley de la culture» par ses architectes, que la branche Asie Pacifique de L’École des Arts Joailliers se situe. Ouverte en 2019 sous l’égide de Van Cleef & Arpels, son objectif est de sensibiliser puis de former le grand public hongkongais à l’univers de la joaillerie. Dans cette optique, un programme très riche de cours et de conférences est proposé. Continuer la lecture

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