Récit d’un avortement clandestin dans les années 60

“Des milliers de filles ont monté un escalier, frappé à une porte derrière laquelle il y avait une femme dont elle ne savait rien, à qui elles allaient abandonner leur sexe et leur ventre. Et cette femme, la seule personne alors capable de faire passer le malheur, ouvrait la porte, en tablier et en pantoufles à pois, un torchon à la main…” Maintes fois représentée, en littérature ou au cinéma, cette évocation lugubre d’un avortement clandestin n’a pourtant rien d’une fiction. Elle appartient bien à notre histoire collective, et a hanté des générations de jeunes filles, terrorisées à l’idée de tomber enceinte avant le mariage. Jusqu’à ce 17 janvier 1975 où, en France, la loi sur l’interruption volontaire de grossesse a été promulguée. Autant dire, hier. Un droit encore fragile, il ne faut pas l’oublier. Ces mots que l’on peut actuellement entendre sur la scène du Théâtre de l’Atelier, à Paris, sont d’Annie Ernaux, extraits de son récit autobiographique “L’Événement” (2000). L’écrivaine y relate trois mois marquants de son existence, d’octobre 1963 à janvier 1964, lorsque jeune étudiante, apprenant une grossesse non désirée, elle n’eut d’autre choix que de s’adresser, dans le plus grand secret et au péril de sa vie, à une “faiseuse d’anges”. Continuer la lecture

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Sur le pas de tir de l’innocence présumée

À vrai dire, depuis huit siècles, les fonts baptismaux du grand Saint-Louis ne sont plus indemnes. Au sein de la Collégiale de Poissy (Yvelines) protégés par une grille et reliés par une barre de fer, ils évoquent plutôt et soit dit sans méchanceté, un reliquat de chantier oublié. C’est là ce 25 avril 1214, que l’on a baptisé Louis IX alias Saint-Louis, chaînon tout à fait remarquable de la famille des capétiens. Lui qui théoriserait une fois mûr, ce qui allait devenir la présomption d’innocence, entre autres éléments de modernisation du droit. Et à bien regarder cette vasque, ce qui est une façon de parler tellement cette collégiale est sombre, l’histoire de Saint-Louis contient bien des références à nos actualités plus ou moins récentes. Et pas seulement pour la présomption d’innocence dont il publia une base en 1256. Via une grande ordonnance qui postulait que « Nul ne sera privé de son droit sans faute reconnue et sans procès « . Continuer la lecture

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De l’urgence de la sobriété

“Demain est annulé” affiche, pour sa nouvelle exposition, la Fondation groupe EDF. Les trois mots de cette sentence pour le moins pessimiste, écrits en lettres capitales, sont heureusement barrés en leur partie supérieure. On reconnaît là le style de Rero, le graffeur aux messages énigmatiques. En dessous, trois petits carrés, tels des points de suspension, viennent compléter l’axiome et, plus bas, un sous-titre à l’exposition, plus explicite : “de l’art et des regards sur la sobriété.” Comme à son habitude, l’activiste de rue ambitionne d’affirmer par la négation, de clamer l’inverse de ce qui est écrit. Demain n’est donc pas annulé si nous prenons conscience de la fragilité de notre planète et considérons que l’inaction n’est plus envisageable, tel est le message. Pour ce faire, la Fondation a réuni une vingtaine d’artistes et de scientifiques. Devant l’amer constat d’une planète en décrépitude, ceux-ci nous amènent à explorer quelques-uns des chemins menant vers un monde durablement vivable. Continuer la lecture

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Éternelle alchimie

Les critiques adressées à l’alchimie n’ont jamais manqué, y compris les condamnations officielles survenues tout au long de l’histoire. De celles qui ne voyaient en elle que l’œuvre de faussaires à celles qui contestaient son efficacité (le médecin Avicenne, les philosophes des Lumières). Wikipedia nous dit : “Le Grand Œuvre est, en alchimie, la réalisation de la Pierre philosophale, de la Pierre philosophale en poudre, dite “poudre de projection”, ou de l’élixir philosophal, teinture active aux mêmes propriétés que la Pierre. Cette pierre ou cet agent est vu comme capable de transmuter les métaux, de guérison infaillible (panacée) et d’apporter l’immortalité.” Comme l’a montré dès 1956 Mircea Eliade, l’idée de la transmutation des métaux n’est pas nouvelle. Elle s’enracine dans le temps des premiers forgerons, plus de 1000 ans avant notre ère, dans les montagnes d’Arménie et dans des îles de ce qui ne s’appelait pas encore la Grèce. Empreints d’une vision sexualisée d’une terre qui accouchait des métaux, ces artisans cherchaient à leur manière à reproduire et à accélérer le même processus de transformation de la matière métallique vers plus de perfection. Continuer la lecture

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Parapluie antique

Pour bien voir une sculpture double-face, ce n’est pas simple. Soit on prend une face comme parti pris en ignorant l’autre, soit on se positionne de côté ou de trois-quarts. La vue restera toujours imparfaite. Ce beau visage ci-contre en cache donc un autre mais on l’admire quand même. Il date de trois siècles avant notre ère et représente en format biface Hermès, divinité tellement polyvalente (messager des dieux, inventeur des poids et mesures…) qu’aujourd’hui encore il continuerait de produire à ce que l’on dit, des sacs à main, parfums et autres produits de luxe. Cet Hermès ci-dessus, divinité de l’Olympe, a été retrouvé du côté de Marseille, dans une région si ancienne qu’elle regorge et dégorge des antiquités presque à chaque fois que l’on y creuse un trou. Ce bel Hermès donc et pour finir, ne manquera pas, par son esthétisme raffiné, de surprendre le visiteur du Musée d’Histoire de Marseille qui se trouve à proximité du Vieux Port et quasiment sur un espace du port antique. D’une façon générale, tous les motifs sont bons pour entrer au musée. Ce jour-là il pleuvait beaucoup, la ville ruisselait par toutes ses rues et toutes ses rigoles, au point que les magasins commençaient à manquer de parapluies. Et il est toujours agréable de jumeler trois activités pas forcément compatibles, s’abriter, se sécher et se cultiver. Continuer la lecture

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Duettistes

Les bruits de la détestation entre Voltaire et Rousseau ont traversé près de trois siècles. Les spécialistes la datent du 8 août 1756, dans les suites d’un tremblement de terre à Lisbonne. Du drame naît entre eux une controverse sur la nature du mal. Mais elle était en genèse dans un incident antérieur, une manifestation banale dans le monde des lettres, la susceptibilité d’auteur. Remontons en février 1745. Ayant atteint la quarantaine, Voltaire est un dramaturge célèbre. Dans le cadre du mariage entre le Dauphin, fils de Louis XV et l’infante Marie-Thérèse d’Espagne, il a reçu commande d’une comédie ballet, sur une musique de Rameau. Intitulée « La princesse de Navarre », elle rencontre un grand succès. Trois mois plus tard, à l’occasion de la victoire de Fontenoy, l’idée vient au duc de Richelieu de produire une version allégée de la pièce. Voltaire n’a ni le temps, ni l’envie de s’y coller. Le duc, alors, dégotte un jeune homme tentant de faire carrière dans la composition musicale, nommé Jean-Jacques Rousseau. Lequel prend soin, avant de se mettre à l’ouvrage, d’adresser à l’auteur une demande d’autorisation pleine de déférence. La réponse est certes positive, mais d’une cordialité de façade. Continuer la lecture

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Un relief au gouvernement

Quand voilà un peu plus de 100 ans, André Malraux, sa compagne Clara et son ami Louis Chevasson débarquèrent en Asie et plus précisément dans la campagne cambodgienne, c’était avec l’idée de récupérer des œuvres sur un temple en ruine et en tirer profit, une fois ramenées en Europe. Ce faisant, le futur ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle procédait juridiquement à une extension massive de la mission dont on l’avait chargé. Comme l’écrivit Jean Lacouture dans « Malraux, une vie dans le siècle » (1973), Malraux avait pour l’occasion théorisé un principe bien pratique pour faire ce que l’on veut, « les risques courus » fondant « le droit au profit ». Il ne fallait pas pour autant, selon son biographe, « tirer trop bas » et réduire l’opération « à une opération de rapine », surtout s’agissant du futur auteur de la « Condition humaine ». Ni tirer trop haut en anoblissant une expédition, avec des aventuriers qui s’étaient tout de même munis de scies égoïnes afin de procéder commodément à des ablations d’art khmer.  Et il y aura cent ans cette année qu’André Malraux se fit deux fois (en première instance et en appel) condamner à de la prison par un tribunal de Phnom Penh. Moyennant quoi les œuvres ne quittèrent pas le pays. Et le très jeune homme qu’était Malraux (1901-1976) put finalement rentrer en France sans passer par la case zonzon, poursuivre une carrière peu ordinaire, entre littérature, guerre et fonction ministérielle. Continuer la lecture

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Manneken-Pis, petit héros de Mexico

De quoi pouvait-il donc parler, ce conférencier invité à Mexico au banquet de la colonie belge, le 21 juillet 1923, jour de la fête nationale de Belgique? Ceux qu’on n’appelait pas encore les «expat’» cultivaient fréquemment une forme de nostalgie plus ou moins prononcée pour le pays d’origine. Mais pour les natifs de ce petit territoire indépendant depuis moins d’un siècle et qui offre la particularité de réunir deux peuples de langues et de traditions différentes, comment trouver le sujet acceptable par les deux communautés ? Et au Mexique, qui avait été récemment l’objet de tensions et de bouleversements politiques, il ne faudrait pas qu’à leur tour, ces belgo-mexicains mêlassent imprudemment le genièvre et la tequila. Le thème choisi par l’invité d’honneur Auguste Génin pouvait contenter tout le monde. Le conférencier avait décidé de célébrer le personnage le plus populaire de la jeune Belgique (Tintin n’existait pas encore…) le Manneken-Pis de Bruxelles. Continuer la lecture

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Daaaaaali! film dada

Dali se plaint de ne pouvoir parler au téléphone car dehors, il voit qu’il pleut des grands chiens morts. C’est tout l’avantage de planter une caméra de l’autre côté du miroir, car tout y est permis. L’art de Quentin Dupieux est de ne pas utiliser cette licence pour faire n’importe quoi. Les rêves les plus bizarres ont une logique et son « Daaaaaali » (6 fois « a ») qui vient de sortir, a été doté d’une charpente et même de plusieurs charpentes. Là où il fait fort, c’est que l’on ne s’y perd pas. Dans la salle tout le monde se réjouit des premières images avec un Édouard Baer arborant les fameuses moustaches raidies à la brillantine. Il arpente un couloir sans fin (comme dans un rêve) et l’on se dit que possiblement on va bien rigoler. Mais pas vraiment, la suite nous donne tort. Quentin Dupieux pratique ici la métaphysique, l’absurde et le bizarre à haute dose. Son film aurait d’ailleurs bien mérité le label Dada (mouvement quelque peu entropique apparu et disparu début 20e), mais à ce niveau massif d’incongruités finalement on ne rit plus. On se retrouve dans cette conscience bien connue de rêver, on sait bien que l’on rêve, tout est étrange, aussi vrai que faux. Et l’on marche à pas prudents dans la combine. Continuer la lecture

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Marivaux bien servi

Vous reprendrez bien un peu de Marivaux ? Une nouvelle livraison du « Jeu de l’amour et du hasard » en l’occurrence, classique parmi les classiques. Et pourtant on redécouvre en ce moment au Lucernaire cette pièce presque tricentenaire (1730). Un nouveau printemps animé par «une bande de jeunes qui s’fend la gueule» si vous me permettez l’expression, elle dit bien la fougue de l’équipe de la compagnie l’Émeute. Qui donc déploie beaucoup d’énergie pour nous entraîner dans le labyrinthe du sentiment amoureux. Les chevaux sont lâchés, mais dans le respect de l’intrigue et de la langue originales. Le propos est donc souvent léger, car ici par définition règne le marivaudage, cet art du discours galant. C’est drôle aussi, et le jeu des comédiens n’y est pas étranger, par exemple Dennis Mader en Arlequin, valet en savoureux contre-emploi dans le costume de son maître. Ça court en tous sens et de tous côtés. Même l’ajout de quelques courts passages de musique « contemporaine » comme « Ti Amo » d’Umberto Tozzi tombe bien, avec ou sans boule à facettes. Continuer la lecture

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