Gais pique-niques

A priori un pique-nique n’est pas censé dégénérer en partie fine. Lorsqu’ils ont vu cette œuvre de Manet achevée en 1863, certains ont cru y voir une forme d’obscénité, allant jusqu’à penser que ce déjeuner sur l’herbe représentait deux dandys accompagnés de deux prostituées. Ce qui fit sourire Manet qui donna en conséquence le surnom « partie carrée » à l’une de ses peintures les plus célèbres. Certaines époques sont pudibondes et la liberté n’y a pas bonne presse. En tout cas voilà que s’approche la saison des pique-niques et c’est l’occasion de constater, comme une fameuse photo de Man Ray réunissant quelques amis à Mougins durant l’été 1937, que le repas en plein air, n’a pas d’autre objectif que de passer un bon moment. Nombre de déjeuners sont occasionnés par nombre de motivations qui ne peuvent pas être transposées sur une nappe à carreaux posée sur le gazon, voire autour d’une table pliante au bord de la nationale 7 avec le capot de la Peugeot ouvert afin d’aérer le moteur. Il suffit en effet d’y réfléchir d’un peu près. Continuer la lecture

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T’ang Haywen, un peintre à redécouvrir

Suite à la donation exceptionnelle qui lui a été faite par la Direction nationale d’interventions domaniales en 2022, le Musée national des arts asiatiques-Guimet met aujourd’hui en lumière le peintre chinois T’ang Haywen (1927-1991). Vingt ans après une première rétrospective dans ce même musée, cette exposition est aujourd’hui l’occasion de redécouvrir un artiste méconnu et singulier qui vécut et travailla plus de quarante ans à Paris et fut, avec Zao Wou-Ki (1920-2013) et Chang Dai-Chen (1899-1983), l’un des trois grands peintres chinois de la modernité. À travers la sélection d’une centaine d’œuvres, le musée présente les grandes étapes de la carrière de cet adepte du taoïsme qui recherchait, selon ses propres termes, “une peinture idéale, unissant le monde visible et le monde de la pensée”. Car s’il fit de la France sa terre d’élection, T’ang Haywen resta fondamentalement attaché à la tradition chinoise et son œuvre, dans une approche tantôt figurative, tantôt non-figurative, se situe à la croisée de ces deux mondes, habitée par l’art de l’encre et de la calligraphie. Continuer la lecture

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Inexorable écriture

C’est dans l’abstraction, le secret d’un cabinet fantôme, derrière un fin paravent, qu’une main obstinée écrit nos destins. Cela semble particulièrement être le cas concernant Jeanne du Barry dont il a été fait un film sorti l’année dernière. Mais Maïwenn, réalisatrice et actrice, s’est arrêtée en route. Elle a bien commencé par le début mais a stoppé la narration bien avant la fin. Filmé et interprété avec un brio indéniable, son film a fait l’impasse sur la suite infernale. Où chaque pas de Jeanne du Barry semble la conduire inexorablement vers l’échafaud. Ce n’est pas tant la fin qui fascine du reste, elle soulèverait davantage le cœur, c’est cet itinéraire qu’emprunte l’ex-favorite de Louis XV, celle qui ne voit aucune des issues de secours qui bordent la route, qui ne flaire tout simplement pas le danger qui monte, qui se croit innocente, qui continue d’avancer, crâne et droite. L’un de ses biographes (1) décrivait en 1961 ce cheminement impitoyable. Et toutes ces options qu’elle aurait dû saisir, comme celle de rester en Angleterre plutôt que s’entêter à revenir au piège doré de Louveciennes. Car à un moment-clé, il finit par être trop tard pour enrayer le destin, comme l’écrit Jacques Levron. Continuer la lecture

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Un médecin très holmésien

Face à la popularité de son irascible détective, Arthur Conan Doyle finit par en avoir assez qu’il fasse de l’ombre à ses romans historiques, «ses romans sérieux», et il décida de lui régler son compte lors d’une empoignade mortelle avec son grand ennemi le professeur Moriarty sous les chutes suisses du Reichenbach («Le dernier problème», 1893). Mais les personnages de roman sont tout à fait capables d’échapper à leur créateur, et Doyle reçut des milliers de lettres d’injures de lecteurs persuadés que leur héros vivait bel et bien au 221 b Baker Street en compagnie du Dr Watson. Doyle tint bon près de dix ans, jusqu’à ce que Sherlock Holmes ressuscite dans «La maison vide» (1903), et l’écrivain s’excusait en 1927, dans la préface des «Archives de Sherlock Holmes», de la longévité de sa créature, semblable aux ténors qui ne cessent de «multiplier leurs adieux à un public indulgent». Continuer la lecture

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Le grand angle diplomatique

Faute de légendes précises, il faut se contenter des recherches menées par la conseillère scientifique de l’exposition. Sur le cliché ci-contre, la photographe Hélène Hoppenot s’est contentée de mentionner qu’il s’agissait des « Tombeaux des empereurs Sung » et pour la date de la prise de vue, il faudra se limiter à un intervalle entre 1933 et 1937 correspondant au séjour de l’auteur, selon les déductions des scénographes. Mais cette imprécision est quelque peu frustrante. Épouse de diplomate, Hélène Hoppenot (1894-1990) n’avait certes pas les réflexes du reporter-photographe qui annote et renseigne ses clichés. Comme elle rédigeait son journal en parallèle, on comprend que sa volonté affichée de ne pas prendre de notes et de se contenter d’appuyer sur le déclencheur avait surtout pour vocation de ne pas s’ennuyer, pas forcément de tout faire en vue de compléter l’exposition posthume de son travail qui se tient en ce moment-même au Musée du Jeu de Paume, en sa succursale du château de Tours. Il n’en reste pas moins de la vue ci-contre, qu’elle dégage un charme réel et que la prise de vue de trois-quarts dos, révèle un instinct technique satisfaisant. Continuer la lecture

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Un passeport finement ciselé

C’est une course, une course folle de Calais en Érythrée, de Paris au Cameroun, ou jusqu’à Landerneau (le Finistère comme argument d’exotisme). Un grand voyage orchestré par Alexis Michalik, auteur et metteur en scène. Une fois de plus, de main de maître. Bienvenue dans un nouveau tourbillon. « Passeport », c’est son nom, une pièce actuellement au (magnifique) Théâtre de la Renaissance. Le passeport en question, c’est celui qui ne permet pas de passer les frontières. Alors on cogne d’un bord à l’autre, comme une boule de flipper, qui ne veut pas sortir par la trappe du bas mais trouver l’issue cachée tout en haut, la destination rêvée. Fantasmée, plutôt, car la réalité est souvent bien différente. La pièce dit la quête d’identité, individuelle mais à vrai dire universelle. Elle parle d’intolérance, de clandestinité, de police et de coups bas, de débrouille. Parce que l’immigration ce n’est pas que toute la misère du monde. C’est aussi l’espoir d’une vie meilleure. Cela est conté ici sans lamentation. Avec émotion, oui, et avec le sourire aussi, le rire parfois même, tout est subtil. Émouvant et drôle, Alexis Michalik sait bien nous promener. Il réussit encore son coup. Avec lui, le spectateur est emporté, il se laisse porter avec délice. Continuer la lecture

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La guerre c’est toujours selon

Chacun en effet ne la voit pas de la même façon. Tant qu’elle est en cours, il n’y a ni victoire ni défaite, ni vainqueur ni vaincu. Et la façon de considérer le résultat, une fois signé le cessez-le-feu puis l’armistice, dépend de l’instrument de mesure employé. Au 15e siècle, l’écrivain espagnol Fernando de Rojas (ci-contre) avait écrit dans sa pièce « La Celestina » qu’il « n’est vaincu que celui qui croit l’être ». Autrement dit, même s’il ne reste qu’un guerrier sur le terrain, même s’il lui manque la moitié de ses membres, de ses oreilles, de ses dents et de ses yeux, du point de vue des chefs, tout est une question de curseur. À propos de chefs d’ailleurs, vu que le domaine martial ne manque ni d’actualité, ni d’auteurs et de citations qui vont avec, on pourra se rappeler de ce que disait l’écrivain Paul Valéry (1871-1945): « La guerre, c’est un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne massacrent pas ». Ce qu’ont pensé sûrement et par ailleurs, des millions de troufions versés sur le front, sans pour autant se sentir obligés d’adresser une communication à l’Académie. Continuer la lecture

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Belle comme un grand lys

Démangée par une fringale tenace, Perle Germain-Joubert avait fini par déclarer au baron Jérôme Napoléon Antoine qu’elle était prête à se noyer dans l’eau telle Ophélie, en allusion au fameux poème signé Rimbaud. Ce à quoi le baron répliqua finement qu’Ophélie « n’a pas marchandé sa noyade contre une boîte de pâté ». C’est l’un des bons dialogues du terroir cinématographique que l’on trouve dans le film « Le baron de l’écluse », sorti en 1960. Le baron n’est autre que Jean Gabin et la dame qui se plaint d’avoir faim est interprétée par Micheline Presle, celle qui nous a finalement quittés cette année après 101 ans d’existence. Pour en finir avec Rimbaud, l’actrice était justement belle comme « un grand lys », et cela ne l’empêchait pas de tourner des films avec drôlerie, avec ce « Baron de l’écluse » tourné par Jean Delannoy à partir d’une nouvelle de Georges Simenon, adaptée par Maurice Druon, et des dialogues toujours au poil de Michel Audiard. Plus de trois millions de spectateurs en tout, se sont régalés du cocktail. Sans compter ceux qui continuent de le faire via différents supports.
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Un vaudeville dans le monde de l’entreprise

Situations rocambolesques et quiproquos, avec courses-poursuites, portes qui claquent et amant dans le placard, sont la marque des meilleurs vaudevilles. Labiche et Feydeau ne s’y étaient pas trompés. Avec “Mondial Placard”, à l’affiche du Théâtre Tristan Bernard, à Paris, Côme de Bellescize imagine un vaudeville d’aujourd’hui dans le monde de l’entreprise. De placard, il y est question à plus d’un titre puisque l’entreprise ici en a fait sa spécialité. Mais on y parle avant tout d’égalité hommes-femmes, de lutte des sexes et même d’intelligence artificielle. Si le ton est à la pure comédie, le trait est à peine forcé, prouvant que le rire est sans doute le meilleur moyen pour soulever les questions qui agitent notre époque. Drôlement intelligent ! Continuer la lecture

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De l’expression d’amour en version française

Sans doute que l’amour  est le plus puissant des carburants pour le moteur poétique. On croit avoir tout lu, s’être étonné de toutes les métaphores possibles, avoir sifflé intérieurement d’admiration devant une belle trouvaille imagée, il y a toujours un nouveau moyen de se faire attraper par un auteur inspiré. Dans la collection Poésies chez Gallimard, vient ainsi de (re) paraître « Vingt poèmes d’amour » par Pablo Neruda, un pack de vingt, chiffre bien carré évoquant un peu la promo de bière en supermarché mais le contenu est très largement à la hauteur de la promesse énoncée. C’est alors qu’un jour de tempête « au cœur de l’été », le poète chilien a cru voir dans le ciel des nuages voyageant « tels de blancs mouchoirs d’adieu ». Avouons qu’une telle pépite engage à lire la suite. On sent bien le vent, on voit bien les nuages qu’ils poussent et l’on pense à tous nos adieux passés et à venir. Pablo Neruda sait y faire, il parle donc d’amour, de ses mots à lui qui forment « un collier infini » pour quelqu’un dont les « blanches mains » sont douces comme le raisin. En plus le livre est bilingue ce qui fait en tout trois idiomes, car à l’espagnol et au français s’ajoute la traduction dont Umberto Eco disait qu’elle était la langue plus parlée au monde. Continuer la lecture

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