Le grand angle diplomatique

Faute de légendes précises, il faut se contenter des recherches menées par la conseillère scientifique de l’exposition. Sur le cliché ci-contre, la photographe Hélène Hoppenot s’est contentée de mentionner qu’il s’agissait des « Tombeaux des empereurs Sung » et pour la date de la prise de vue, il faudra se limiter à un intervalle entre 1933 et 1937 correspondant au séjour de l’auteur, selon les déductions des scénographes. Mais cette imprécision est quelque peu frustrante. Épouse de diplomate, Hélène Hoppenot (1894-1990) n’avait certes pas les réflexes du reporter-photographe qui annote et renseigne ses clichés. Comme elle rédigeait son journal en parallèle, on comprend que sa volonté affichée de ne pas prendre de notes et de se contenter d’appuyer sur le déclencheur avait surtout pour vocation de ne pas s’ennuyer, pas forcément de tout faire en vue de compléter l’exposition posthume de son travail qui se tient en ce moment-même au Musée du Jeu de Paume, en sa succursale du château de Tours. Il n’en reste pas moins de la vue ci-contre, qu’elle dégage un charme réel et que la prise de vue de trois-quarts dos, révèle un instinct technique satisfaisant. Continuer la lecture

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Un passeport finement ciselé

C’est une course, une course folle de Calais en Érythrée, de Paris au Cameroun, ou jusqu’à Landerneau (le Finistère comme argument d’exotisme). Un grand voyage orchestré par Alexis Michalik, auteur et metteur en scène. Une fois de plus, de main de maître. Bienvenue dans un nouveau tourbillon. « Passeport », c’est son nom, une pièce actuellement au (magnifique) Théâtre de la Renaissance. Le passeport en question, c’est celui qui ne permet pas de passer les frontières. Alors on cogne d’un bord à l’autre, comme une boule de flipper, qui ne veut pas sortir par la trappe du bas mais trouver l’issue cachée tout en haut, la destination rêvée. Fantasmée, plutôt, car la réalité est souvent bien différente. La pièce dit la quête d’identité, individuelle mais à vrai dire universelle. Elle parle d’intolérance, de clandestinité, de police et de coups bas, de débrouille. Parce que l’immigration ce n’est pas que toute la misère du monde. C’est aussi l’espoir d’une vie meilleure. Cela est conté ici sans lamentation. Avec émotion, oui, et avec le sourire aussi, le rire parfois même, tout est subtil. Émouvant et drôle, Alexis Michalik sait bien nous promener. Il réussit encore son coup. Avec lui, le spectateur est emporté, il se laisse porter avec délice. Continuer la lecture

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La guerre c’est toujours selon

Chacun en effet ne la voit pas de la même façon. Tant qu’elle est en cours, il n’y a ni victoire ni défaite, ni vainqueur ni vaincu. Et la façon de considérer le résultat, une fois signé le cessez-le-feu puis l’armistice, dépend de l’instrument de mesure employé. Au 15e siècle, l’écrivain espagnol Fernando de Rojas (ci-contre) avait écrit dans sa pièce « La Celestina » qu’il « n’est vaincu que celui qui croit l’être ». Autrement dit, même s’il ne reste qu’un guerrier sur le terrain, même s’il lui manque la moitié de ses membres, de ses oreilles, de ses dents et de ses yeux, du point de vue des chefs, tout est une question de curseur. À propos de chefs d’ailleurs, vu que le domaine martial ne manque ni d’actualité, ni d’auteurs et de citations qui vont avec, on pourra se rappeler de ce que disait l’écrivain Paul Valéry (1871-1945): « La guerre, c’est un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne massacrent pas ». Ce qu’ont pensé sûrement et par ailleurs, des millions de troufions versés sur le front, sans pour autant se sentir obligés d’adresser une communication à l’Académie. Continuer la lecture

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Belle comme un grand lys

Démangée par une fringale tenace, Perle Germain-Joubert avait fini par déclarer au baron Jérôme Napoléon Antoine qu’elle était prête à se noyer dans l’eau telle Ophélie, en allusion au fameux poème signé Rimbaud. Ce à quoi le baron répliqua finement qu’Ophélie « n’a pas marchandé sa noyade contre une boîte de pâté ». C’est l’un des bons dialogues du terroir cinématographique que l’on trouve dans le film « Le baron de l’écluse », sorti en 1960. Le baron n’est autre que Jean Gabin et la dame qui se plaint d’avoir faim est interprétée par Micheline Presle, celle qui nous a finalement quittés cette année après 101 ans d’existence. Pour en finir avec Rimbaud, l’actrice était justement belle comme « un grand lys », et cela ne l’empêchait pas de tourner des films avec drôlerie, avec ce « Baron de l’écluse » tourné par Jean Delannoy à partir d’une nouvelle de Georges Simenon, adaptée par Maurice Druon, et des dialogues toujours au poil de Michel Audiard. Plus de trois millions de spectateurs en tout, se sont régalés du cocktail. Sans compter ceux qui continuent de le faire via différents supports.
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Un vaudeville dans le monde de l’entreprise

Situations rocambolesques et quiproquos, avec courses-poursuites, portes qui claquent et amant dans le placard, sont la marque des meilleurs vaudevilles. Labiche et Feydeau ne s’y étaient pas trompés. Avec “Mondial Placard”, à l’affiche du Théâtre Tristan Bernard, à Paris, Côme de Bellescize imagine un vaudeville d’aujourd’hui dans le monde de l’entreprise. De placard, il y est question à plus d’un titre puisque l’entreprise ici en a fait sa spécialité. Mais on y parle avant tout d’égalité hommes-femmes, de lutte des sexes et même d’intelligence artificielle. Si le ton est à la pure comédie, le trait est à peine forcé, prouvant que le rire est sans doute le meilleur moyen pour soulever les questions qui agitent notre époque. Drôlement intelligent ! Continuer la lecture

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De l’expression d’amour en version française

Sans doute que l’amour  est le plus puissant des carburants pour le moteur poétique. On croit avoir tout lu, s’être étonné de toutes les métaphores possibles, avoir sifflé intérieurement d’admiration devant une belle trouvaille imagée, il y a toujours un nouveau moyen de se faire attraper par un auteur inspiré. Dans la collection Poésies chez Gallimard, vient ainsi de (re) paraître « Vingt poèmes d’amour » par Pablo Neruda, un pack de vingt, chiffre bien carré évoquant un peu la promo de bière en supermarché mais le contenu est très largement à la hauteur de la promesse énoncée. C’est alors qu’un jour de tempête « au cœur de l’été », le poète chilien a cru voir dans le ciel des nuages voyageant « tels de blancs mouchoirs d’adieu ». Avouons qu’une telle pépite engage à lire la suite. On sent bien le vent, on voit bien les nuages qu’ils poussent et l’on pense à tous nos adieux passés et à venir. Pablo Neruda sait y faire, il parle donc d’amour, de ses mots à lui qui forment « un collier infini » pour quelqu’un dont les « blanches mains » sont douces comme le raisin. En plus le livre est bilingue ce qui fait en tout trois idiomes, car à l’espagnol et au français s’ajoute la traduction dont Umberto Eco disait qu’elle était la langue plus parlée au monde. Continuer la lecture

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Une grand-mère bien-aimée

À quatre-vingt-dix ans, en 2018, ayant pensé entreprendre ses mémoires, Robert Badinter choisit de publier un livre au nom mystérieux: sur la couverture, sous la photo d’un visage de femme nimbé d’un halo, un mot s’inscrit en lettres rouges: IDISS. Un mot. Un seul mot. Un mot à la consonance étrange, inconnue, exotique. Dès le livre ouvert, nous sommes plongés dans un conte: «Avant la guerre, au temps de mon enfance, tous les vendredis, quand tombait la nuit, ma grand-mère Idiss allumait les bougies pour dire les prières du Shabbat.» Les autres membres de cet appartement bourgeois parisien vaquent à leurs occupations. Sauf un petit garçon qui guette sa grand-mère et s’approche. Elle aperçoit son reflet dans le miroir et le prend dans ses bras. Suivent d’autres noms mystérieux: «Idiss, ma grand-mère maternelle, était née en 1863 dans le Yiddishland, à la frontière occidentale de l’empire russe.» Plus de onze millions de juifs vivaient alors dans la misère des shtetels en Bessarabie, vaste région aux frontières vagues, s’étendant des pays Baltes à la mer Noire et de l’Empire allemand jusqu’à la Russie, tour à tour ottomane, russe, roumaine, soviétique, aujourd’hui moldave. Continuer la lecture

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L’œil militant de Tina Modotti

Sur la bannière qui borne le Musée du Jeu de Paume, on peut voir le profil parfait de cette femme mexicaine qui marche droit devant elle, sans sembler dévier de son axe. La photographie a été prise en 1928 par Tina Modotti, une femme qui a failli tomber dans l’oubli après son décès brutal en 1942. Le poète Pablo Neruda (1904-1973) avait justement écrit un jour à son propos: « Lorsque je veux me souvenir de Tina Modotti, je dois faire un effort, comme s’il s’agissait d’attraper une poignée de brouillard. Fragile, presque invisible. L’ai-je connue ou ne l’ai-je pas connue? » Militante communiste et photographe, elle avait dans les deux cas la foi chevillée au corps. Au point de laisser tomber la photo pour mieux se consacrer à ses engagements politiques. Au musée du Jeu de Paume, ses petits tirages souffrent de la grandeur des lieux et des reflets du verre qui altèrent le confort visuel. Et finalement, le mieux est de se procurer un album, récent ou ancien. On peut ainsi prendre son temps, sans patienter derrière le visiteur qui vous précède, et sans sentir la pression de celui qui regarde sa montre dans votre dos. L’exposition néanmoins remarquable semble rencontrer le succès, au moins en ces premiers jours suivant l’inauguration. Continuer la lecture

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Alicante, Vamos à la playa

Alicante, située sur la Costa Blanca au sud-est de l’Espagne, a tout pour faire rêver. Du soleil en XXL, un quartier historique plein de charme, des rues animées, de bons restaurants de poisson et bars à tapas… et des plages en plein centre-ville. De grandes plages de sable blond qui attirent de nombreux touristes. Devant tant d’attraits, on a tendance à oublier que la ville est aussi un lieu de mémoire. Et non des moindres. Alicante a été l’un des derniers bastions républicains de la Guerre civile espagnole. Et ses plages ont été, il y a 85 ans, un lieu d’espoir. C’est là que des milliers de réfugiés fuyant l’arrivée des troupes franquistes attendaient les bateaux français et britanniques qui devaient leur permettre de fuir. Sitôt le pied posé à Alicante, le visiteur a droit à un accueil maritime et ensoleillé charmant. En moins de 20 minutes, le bus-navette de l’aéroport dépose ses passagers sur l’emblématique place d’Espagne, une magnifique promenade ombragée par d’immenses palmiers et pavée de plaques de marbre de différentes couleurs. À ses pieds, la mer et les plages que la promenade borde sur des kilomètres. Continuer la lecture

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Cieux soufrés

En orangeant ses cieux à outrance ou en les teintant plus délicatement comme ci-contre dans cette vue de Leeds, William Turner (1775-1851), ne cherchait pas particulièrement à se distinguer. Il n’aurait fait que recopier la nature. Surtout à partir de 1815 lorsque les gaz soufrés émis en quantités gigantesques par l’entrée en éruption du volcan indonésien Tambora ont été disséminés à travers le monde entier, faisant plusieurs fois le tour du globe. Cette passionnante hypothèse est émise dans le documentaire que diffusera Arte dès le 2 mars. Elle s’appuie notamment sur une étude publiée en 2014 par l’Union européenne des géosciences et reprise par l’Agence France Presse. D’où il ressortait également que les paysages peints par Edgar Degas (1834-1917) avaient été affectés dès 1883 par l’éruption cataclysmique d’un autre volcan indonésien, le Krakatoa. La pollution d’une façon générale, autorise la belle peinture. On peut le constater notamment dans nombre d’œuvres de Claude Monet (1840-1926), avec la prise en compte par son pinceau, de la fumée sortant des cheminées d’usines ou des locomotives de Saint-Lazare. Cela est également vrai pour la photographie: rien de plus barbant qu’un ciel bleu. Continuer la lecture

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