En mode Paolo Roversi

Il n’y a que quelques pas à faire, juste une rue à traverser: lorsque l’on quitte le musée d’Art moderne afin de se rendre en face, au palais Galliera. Où l’on peut voir actuellement une belle autant que sensible exposition sur le travail du photographe de mode Paolo Roversi. Le tirage qui a été choisi pour orner l’affiche de l’exposition, bénéficie à l’intérieur d’un endroit à part, tout en rouge et noir, comme un écrin, tel un boudoir de luxe. Elle est titrée « Molly, Chanel, Vogue Italia ». Le talent du photographe s’exprime ici devant une silhouette complexe, riche, extravagante. Mais l’exposition contient aussi des photographies de femmes aux corps entièrement dépouillés qui montrent que l’artiste italien a quoiqu’il arrive la main fiable et le regard inspiré. Ce sont souvent des clichés verticaux ce qui s’explique par le fait qu’ils doivent figurer sur la couverture de magazines dont le format de base est la hauteur. Et donc le plus souvent nous sommes face ici à de la verticalité, comme la photo qu’il prit de la princesse Kate Middelton en 2022 et qui constitue si l’on peut dire, une sorte de trophée (de plus) dans sa carrière. Continuer la lecture

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Hélion à cent quatre-vingt degrés

Comme dans la vie, comme dans un film et comme dans une vie d’artiste, il arrive un jour un point de bascule, un changement du rapport de force, quelque chose qui fait que tout va changer. Dans le parcours de Jean Hélion (1904-1987), ce type d’événement s’est également produit. L’exposition qui lui est consacrée en ce moment-même au Musée d’Art Moderne de Paris a été conçue de façon chronologique, méthode banale mais efficace permettant de situer cette rupture. Son existence d’artiste a donc été scindée en deux. Voilà un homme qui a commencé par l’abstraction la plus pure et qui, à un moment donné, a basculé dans le figuratif hyperréel. Dans un genre qui n’est pas sans faire penser à de la bande dessinée, comme cet « Allumeur » ci-contre, réalisé en 1944. C’est à partir de 1939 qu’il accomplit son virage à cent quatre-vingt degrés avec une période d’abstinence due successivement à sa mobilisation, sa captivité, son évasion et ce que l’on pourrait appeler une forme de résurrection, a minima de changement de cap. Une évolution radicale qui n’a pas été forcément bien perçue par le public, par ses pairs, un peu comme un musicien qui passerait du classique au free jazz sans préavis. Continuer la lecture

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Apollinaire à l’heure du Soupault

Malgré l’étroitesse et la modestie des lieux on se serait cru paraît-il dans le « palais d’un roi ». Chez lui boulevard Saint-Germain, sous les toits, Apollinaire se livrait à l’une de ses occupations favorites: manger. Comme la lumière était basse, ainsi que le racontait l’écrivain Philippe Soupault en 1936, « on ne voyait plus que sa joie, son sourire et son appétit ». Il aimait dans le désordre, les escargots, les caramels, les glaces, les concombres, avec une préférence pour les tripes et les petits fours glacés. Peu de temps après André Billy (1), Philippe Soupault lui aussi, ira de son ode au poète disparu en 1918. Qui fut publiée en 1926 (1923 pour Billy) dans un mince ouvrage tiré à seulement 548 exemplaires et contenant quelques poèmes à l’époque inédits. Hormis deux coups de griffes dus aux positions quelque nationalistes d’Apollinaire lorsque celui-ci revint de la guerre, il faut constater que page après page tout n’est qu’affection, avec cette écriture délibérément abordable, sans vocabulaire compliqué, que pratiquait Soupault. Il faut dire qu’ils avaient 17 ans d’écart de leur vivant. L’un périt de la grippe espagnole après avoir été blessé par un éclat d’obus, l’autre faillit y passer après avoir sur le front, été désigné comme cobaye pour un vaccin expérimental. Continuer la lecture

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Le Clos de Vougeot : « Jamais en vain, toujours en vin »

Au-dessus de la route qui mène de Dijon à Beaune, au cœur de la prestigieuse Côte de Nuits, on ne peut le manquer. Le château du Clos de Vougeot surgit, souverain, au milieu d’un clos de vignes de 50 hectares, soit la plus grande zone bourguignonne classée Grand cru. S’il ne possède aujourd’hui plus de vignes et ne commercialise plus de vin, le château se visite. En février, alors que la Bourgogne sommeille en attendant que la vigne se réveille, la visite du château sans aucun touriste laisse une impression intense. Depuis le cellier du XIIe s, ce sont 9 siècles d’Histoire que l’on traverse dans les arômes d’un des crus les plus prisés au monde. L’histoire du Clos de Vougeot commence en 1098, quand, à quelques kilomètres de l’actuel château, Robert de Molesmes, fonde l’Abbaye de Cîteaux, berceau de l’Ordre Cistercien. Pour les moines convers, il s’agit de concilier deux exigences de la règle de Saint Benoît: vivre du travail de ses mains et dans l’enceinte du monastère. Si les moines doivent faire vœu d’obéissance, pauvreté et chasteté, l’abstinence vinicole n’est, dieu merci, pas requise. Pas de monastère sans vin. Dans une région aux sols propices à la viticulture, le choix est donc tout fait. Continuer la lecture

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Les lieux d’un écrivain

Comment mieux évoquer Georges Perec qu’en se rendant sur quatre lieux qui furent essentiels dans sa vie et son œuvre? Écrivain inclassable entre tous, disparu à quarante-six ans, n’est-ce pas lui qui entreprit en 1969 une œuvre bien mystérieuse appelée «Lieux»? «Sur les lieux de Georges Perec» est la belle idée de Claire Zalc, «historienne des migrations et des persécutions» comme elle se définit, qui vient de consacrer sur France Culture à l’écrivain oulipien (1) une série de quatre émissions: «Rue Vilin», «Le moulin d’Andé», «Ellis Island», «Lubartow». Elle s’en explique: «Être né quelque part, être né autre part, les lieux sont des marqueurs, des stigmates parfois. Or au cours de mes enquêtes, je ne cesse de croiser Georges Perec, fils d’émigrés juifs polonais réfugiés en France, orphelin de la Shoah.» Voilà, c’est dit. Et cela explique sûrement l’émotion profonde qui nous saisit à l’écoute de toutes ces voix apportant leur témoignage rythmé par la musique, à commencer par le piano de Schubert et de Schumann… Continuer la lecture

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Preuve par l’œuf

Objectivement, l’œuf-mayo constitue un barbarisme diététique. Affichant plus de 160 calories aux 100g, certes dépourvu de glucides, mais dégoulinant de lipides, il fait froncer le sourcil du nutritionniste le moins sourcilleux. La plupart des brasseries le traitent en scélératesse: jaune sec et sur-cuit, mayonnaise industrielle, et le flanquent d’une pathétique feuille de laitue aux abords de la flétrissure. Tant et si bien qu’il s’en est allé de l’offre des menus, frappé de ringardise. Conscient du risque de disparition de ce fleuron du répertoire gastronomique, le journaliste Claude Lebey (1) a parrainé, en 1987, une association de sauvegarde de l’œuf mayonnaise: afin de promouvoir et préserver ce patrimoine culinaire français. Curieusement, si on trouve, dans le Guide d’Auguste Escoffier (1903) des œufs durs couverts de béchamel ou de sauce Mornay, il ne répertorie aucune association avec la mayonnaise. En revanche, un nommé Antoine Bautté, cuisinier cosmopolite, dans un traité intitulé «Mille manières de préparer les œufs (1906)», les envisage, curieusement affublés d’anchois, de câpres, d’olives, de lamelles de betterave, dressés sur des croûtons. Mais il faudra attendre les années 1920 pour le voir apparaître dans les propositions des bistrots ou des bouillons, en alternative au hareng pommes à l’huile. Un plat populaire et peu coûteux. Continuer la lecture

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Picasso in extenso

Quelques luthiers ont possiblement dû s’étrangler depuis les années vingt face aux deux guitares assemblées par Picasso, actuellement visibles au sein du musée parisien. Comme sur celle achevée en 1926, les matériaux utilisés sont la toile, les clous, les pitons. Nous sommes loin des fins bois d’érable, d’épicéa ou encore l’acajou dont on se sert afin d’assembler une guitare en vrai. Il nous est précisé que l’utilisation des clous peut en l’occurrence rappeler les poupées votives Kongo Nkisi Nkondi (bassin du Congo ndlr) dont le style intéressait les surréalistes en général et Picasso en particulier. Dans la seconde guitare que l’on ne voit pas ici, l’artiste a aussi utilisé de la corde, une serpillère et du papier journal. Louis Aragon parlera à ce sujet de « vrais déchets de la vie humaine, quelque chose de pauvre, de sale, de méprisé ». La recherche du beau n’était il est vrai, pas particulièrement parmi les objectifs poursuivis par l’une des grandes figures de proue du cubisme. En 1905 déjà, Guillaume Apollinaire avait écrit à son propos que « plus que tous les poètes, les sculpteurs et les autres peintres, cet Espagnol nous meurtrit comme un froid bref ». Implacable commentaire qui allait droit au but, valable y compris des années après. L’art révolutionnaire en cours n’était pas fait pour plaire mais pour atteindre, tel un strike sur un groupe de quilles de bowling. Continuer la lecture

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La vocation comme pouvoir artistique

Il y a tout juste 50 ans, le label RCA publiait « Rock and Roll animal », un disque du compositeur et interprète américain Lou Reed (1942-2013). Et il se trouve que sur cet album live où deux guitaristes électrocutaient les auditeurs de riffs croisés, l’auteur évoquait sa vocation à travers les lignes d’une chanson intitulée tout simplement « Rock and Roll ». Un texte qui raconte deux histoires équivalentes. L’une fait allusion à l’une de ses amies d’enfance qui vit sa vie changée par la découverte à la radio, de musique rock. Et Lou Reed a indiqué que cette chanson parlait aussi de lui. Que celui qui était encore un jeune homme tyrannisé par les soins psychiatriques en raison de son homosexualité et désappointé par le décor d’une société qui ne lui correspondait pas, entendit également du rock à la radio. Sans cela, « il n’aurait pas su qu’il y avait de la vie sur (la) planète ». Un appel d’air qui en fit l’un des artistes pop les plus marquants du 20e siècle. Malraux avait dit, non pas à propos de Lou Reed (pas exactement sa tasse de thé, le pauvre), mais à propos de la vocation artistique, qu’elle ne « naissait pas de l’émotion éprouvée devant un spectacle, mais devant un pouvoir ». Continuer la lecture

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La longue longue théorie des tabous

L’avertissement est net quoique légèrement étêté: emprunter ce ponton polynésien est « tabou ». Que se passerait-il si l’on tentait malgré tout d’y cheminer, la conséquence n’est pas précisée. Il n’est écrit que « tabu », dans une orthographe locale. Au bout du ponton on ne  devine qu’une île, quelques voiliers, un ciel azuréen, mais pas l’enfer. L’avertissement est assurément moins net qu’un « défense d’uriner sous peine d’amende ».  On peut donc supposer que le ponton est simplement privé et qu’il n’est pas ouvert à la promenade. D’ailleurs vu du bord ou vingt mètres plus loin, le panorama est globalement le même. Pourquoi risquerait-on dès lors de se fâcher avec le propriétaire d’une si mince passerelle. Le tabou, comme l’interdit, est un vocable dont les attendus sont hautement variables avec le temps. Il est progressif ou régressif avec des périodes de calme entre les deux. Cette semaine nous avons eu un Premier ministre qui, à propos de la mort, publiait sur son compte Twitter, ou « X » comme on voudra, que la mort ne pouvait être un sujet « tabou et silencieux ». Car l’idée de mettre fin légalement à ses jours, dans les cas dûment désespérés est maintenant inscrit dans la météo parlementaire. Les Belges ou les Suisses nous avaient sur ce point devancés, inventant respectivement quelque chose comme la frite ou la fondue létales.
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Sciences Po

Point n’est besoin de convoquer Aristote, pour comprendre le sens de l’expression société civile. Elle constitue l’antonyme de classe politicienne où se regroupe le monde des élus. A l’annonce de la composition de tout nouveau gouvernement, les commentateurs s’appliquent à y dénombrer les «ministres issus de la société civile». Leur légitimité repose sur un concept qui n’est pas absolu: une personne ayant réussi dans un quelconque domaine de la vie professionnelle est apte à diriger un ministère. À la condition que les instances de l’exécutif y trouvent un intérêt. Ce peut être pour des raisons techniques, des questions d’image ou d’ opportunités. Le ministre issu de la société civile se retrouve propulsé a son poste, dans la liesse d’une victoire électorale, sans jamais avoir affronté préalablement le suffrage universel, ni le grand jury de l’ENA (1). Sa caractéristique principale: il est sans étiquette. Ce type de personnage n’est pas récent. On croise déjà un Joseph Honoré Ricard, en 1920, sous la présidence d’Alexandre Millerand, passé d’ingénieur agronome à Ministre de l’Agriculture. Il possédait d’incontestables compétences techniques et une parfaite connaissance de la paysannerie. Continuer la lecture

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