Un oratorio pour Ulysse

Après nous avoir émerveillés cet automne au Studio-Théâtre avec “Je reviens de loin” (1), l’auteure Claudine Galea est de nouveau à l’affiche de la Comédie-Française, au Vieux-Colombier cette fois-ci, avec “Trois fois Ulysse”. Une commande de la metteuse en scène et directrice des Plateaux sauvages Laëtitia Guédon. Trois Ulysse donc pour évoquer la figure du héros chanté par Homère (fin du VIIIe siècle av. J.-C.); le vainqueur de Troie à trois étapes distinctes de sa vie, face à trois figures féminines: Hécube, Calypso et Pénélope. L’auteure et la metteuse en scène revisitent ici le mythe sous le prisme féminin, un mythe dont les Dieux seraient absents et dont le héros est ramené à sa simple et si terrible humaine condition. De jeunes et talentueux chanteurs du chœur de chambre lyrique Unikanti accompagnent le texte de Claudine Galea, insufflant à la pièce la dimension d’un oratorio.
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Mexica, dissolution d’une civilisation

Les archéologues comptent beaucoup sur les laboureurs, terrassiers et autres ouvriers en bâtiment. Les découvertes majeures passent souvent par eux. Ainsi, les employés d’une compagnie d’électricité de Mexico, en 1978, mirent au jour à la suite d’un fameux coup de pelle, une pierre circulaire qui n’était rien d’autre qu’une déesse de la Lune. Cette émergence avait un nom, Coyolxauhqui. Et derrière ou plutôt dessous, se trouvait un temple, puis les restes de la ville de Tenochtitlan et en fin de compte, rien de moins que la civilisation de Mexica qui vivait là tranquille, jusqu’au débarquement des Espagnols. Lesquels détruisirent à l’orée du 16e siècle, tout ce qui était possible. Cela donne jusqu’au mois de septembre une exposition pas loin d’être formidable au Musée du Quai Branly Jacques Chirac. Au sein de laquelle on peut voir une mise en situation à part résumant presque tout en deux images. À gauche ce qu’était la ville de Tenochtitlan et à droite, pile sur le même site, la ville de Mexico avec les mêmes montagnes en arrière-plan. Et de ce qui a pu être retiré des dessous de la capitale actuelle du Mexique, figurent des objets tous à peu près fascinants comme ce dieu du feu (ci-dessus), celui « qui réside au centre du monde » par où passe rien moins que l’arbre cosmique. Appelez-le Xiuhtecuhtli-Huehueteotl. Continuer la lecture

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Pliage de gaules

Oublié sous une étagère, au sein de vieux classeurs suspendus qui prennent la poussière dans notre mémoire, le mode d’emploi a resurgi instantanément. S’agissant du simple pliage d’une feuille de papier afin d’obtenir un bateau, on n’ose en effet parler de mode opératoire tellement l’expression vole désormais en zigzags incontrôlés au-dessus des plateaux télé. Quoiqu’il en soit, en cinq minutes chrono et comme au cours moyen, le bateau était revenu en trois volumes, mentalement ponté en acajou. Ce n’était pourtant pas gagné. Car après l’enfance, les adultes ont tendance à oublier et passer à autre chose, aux diplômes par exemple. Sauf en Asie où le pliage, notamment au Japon, a nombre d’adeptes de tout âge. Il est vrai que lorsque l’on plie, cela donne une contenance, cela permet de sauver la face et, par les temps qui courent, garder une contenance, c’est quasiment une mesure de self-défense. Sans être asiatique, en France nous savons quand même ce que plier veut dire, jusqu’à être plié de rire, c’est vous dire que sur la question, nous avons un peu de répondant. Et assis sur nos pliants, quand sonne l’heure de la collation et que vient le moment de plier les gaules, nous déplions nos jambes et rentrons chez nous d’aplomb. Continuer la lecture

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Ni point, ni virgule, ni point-virgule

Les premières décennies du XXe siècle furent particulièrement fécondes en petites revues littéraires au point qu’en dresser la liste complète aujourd’hui est une entreprise périlleuse. La plupart étaient vouées à une disparition rapide, mais  Apollinaire acceptait volontiers les sollicitations des éditeurs, pour leur plus grande satisfaction: si son nom figurait au sommaire, la nouvelle revue bénéficiait déjà d’une certain prestige. Le 3 décembre 1913 paraissait le premier numéro des Écrits français  (photo ci-contre)  que venaient de créer Louis de Gonzague Frick, le poète dandy qui fréquentait le Tout Paris, et deux autres hommes de lettres aujourd’hui quelque peu oubliés, Louis de Monti de Rezé et Marc Brésil. Parmi les signataires de ce premier numéro assez copieux  (près d’une centaine de pages), on trouve des auteurs qui comptaient dans la vie intellectuelle de l’époque comme André Salmon, Francis Carco et…Guillaume Apollinaire. Ce dernier y donne « Un fantôme de nuées », poème qui sera repris cinq ans plus tard dans « Calligrammes » et qui se termine par ces deux vers beaux et mystérieux   « Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux / Siècle ô siècle des nuages. » Continuer la lecture

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Une aquarelle de Folon « stellée de gemmes pâles »

Voilà une vente aux enchères qui aura lieu après-demain et valant d’être signalée. Car en 1983, l’artiste belge Jean-Michel Folon, intégrait dans une aquarelle encre et papier, un fragment de poème d’Apollinaire. L’usage de l’aquarelle n’est pas sans rappeler aux spécialistes du poète que lui-même avait quelque peu tâté de la technique. Concernant Jean-Michel Folon c’est une découverte. Le poème emprunté s’intitule « Mardi-gras » et, associé à Folon sous forme d’un extrait, ce n’est sans doute pas la première fois qu’il passe à l’encan. Avant de le publier aujourd’hui car nous tenons la rare occasion de le faire, rappelons que Folon né en mars 1934 à Uccle (Belgique), expatrié en France en 1955 à Bougival et terminant ses jours à Monaco, est surtout connu des Français par un générique de fin de soirée sur Antenne Deux, lequel hypnotisait les téléspectateurs afin de les envoyer, de 1975 à 1983, dans un sommeil sans angoisse quoique teinté d’une mélancolie ineffable. À l’abominable musique des Dossiers de l’écran, anxiogène jusqu’à la tentative de suicide, on préférait les petits bonhommes de Folon planant avec délicatesse dans l’espace interplanétaire sur une musique de Michel Colombier. Entre autres faits d’armes, Folon, acteur quelquefois, fut aussi retenu puis écarté, pour créer le logo de l’ordinateur Macintosh, l’aïeul des Macs actuels. Continuer la lecture

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Pâtisserie littéraire

La madeleine est un gâteau en forme de coquille, fait de farine, de sucre, d’œufs, de beurre fondu, avec une pincée de levure chimique. La bosse caractérisant son apparence constitue un exemple de physique amusante. Le secret consiste à réaliser, au moment du début de cuisson, un choc thermique, entre la pâte, préalablement conservée au réfrigérateur, et le four, chauffé à 220°C. Dès lors, dans le moule propre à la confection, la pâte en contact avec les bords chauffe en premier, gonfle sous l’action de la levure et de la vapeur d’eau. Elle remonte le long du moule pour recouvrir le centre de la préparation. Ce dessus cuit rapidement, formant couvercle. Lorsque le centre sous-jacent, plus épais, commence à gonfler, il pousse ce couvercle et provoque l’apparition d’un petit monticule. Le tour est joué. L’histoire de cette pâtisserie relève, comme souvent, de l’improbable. On y retrouverait Stanislas Leczinski, passé roi de Pologne, beau père de Louis XV, présentement duc de Lorraine, de 1737 à sa mort, en 1766. Il reçoit, ce jour là, en son château de Commercy. Une dispute a éclaté, à l’office, entre son intendant (d’autres prétendent son bouffon, Nicolas Ferry) et le maître-queux. Celui-ci, furieux, rend son tablier, et s’en va, avant d’avoir réalisé les desserts.. Embarras de l’Altesse, exposée à un repas raté. Continuer la lecture

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La neige des profondeurs

C’est le seul endroit de la Terre où il neige tous les jours. Sous la surface des océans et au moins jusqu’à 5000 mètres de profondeur, là où n’y voit goutte sans une lampe de poche: les particules organiques descendent lentement vers le sol, faisant le déjeuner des gourmets à l’esthétisme maudit. Malheureusement, ces particules ne sont pas les seules à jouer les parachutistes subaquatiques. Les déchets plastiques sont désormais partie prenante de ce ballet muet. Ceux qui ont quitté la surface, ceux que l’on ne récupérera pas autrement qu’à une station quelconque de la chaîne alimentaire. Matière inventée par l’homme au début du 20e siècle, elle n’a pas fini de nous empoisonner. Ces deux aspects des profondeurs marines figurent au sein d’une exposition ayant lieu depuis l’automne au musée des Arts et Métiers sur l’exploration des infinis. L’un des chapitres de la scénographie est, on l’aura compris, la mer. Un joystick placé devant un grand écran permet au visiteur de descendre par paliers d’environ mille mètres à chaque impulsion, afin de voir ce que l’on peut y trouver. L’homme ayant été le plus bas s’appelle Ahmed Gamal Gabr. En 2014 il a réussi à palmer jusqu’à 332 mètres (luminosité zéro, température 7 degrés), aux limites de l’implosion. Si on veut aller plus loin il faut monter à bord d’engins de descente. Ce qui n’est pas vraiment une promenade de santé. Continuer la lecture

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La princesse de glace

Disons sans faiblir que la célébration du centenaire de la disparition de Puccini cette année a commencé dès l’an dernier avec un enregistrement de « Turandot » qu’on ne peut pas ignorer. La distribution aligne une pléiade de chanteurs à faire frémir les fans: Sandra Radvanovsky et Jonas Kaufmann dans les rôles titres, et dans les seconds rôles, Ermonela Jaho, Michele Pertusi et Michael Spyres en guest star. Ce qu’on appelle une distribution de légende, sous la direction d’Antonio Pappano, maestro de légende lui aussi. Pas très connu du public français, car il ne vient pas diriger chez nous, il est une référence mondiale : la liste de ses CD et DVD pucciniens et verdiens s’allonge depuis 25 ans, lorsqu’il a pris la fonction de directeur musical du Royal Opera House (ROH) à Covent Garden (Londres) en 2002. Son autre titre, tout aussi royal, est celui de chef musical de l’Académie de Sainte-Cécile de Rome, qu’il assume parallèlement depuis 2005.
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Salut Blaise Cendrars !

La couverture, qui reprend un projet d’affiche de 1913, est de Sonia Delaunay. Son texte n’a pas de rapport avec le contenu de la revue. Il faudra se référer au bandeau (s’il est encore présent) qui indique: « Salut Blaise Cendrars », suivi d’une bonne vingtaine de noms d’écrivains ou d’artistes connus comme Jean Cocteau, André Malraux, René Char, Jules Romains ou Fernand Léger. Publié il y a tout juste soixante-dix ans (1954), cet hommage à Cendrars constitue aujourd’hui encore un document d’importance quant à la place de l’écrivain suisse dans la littérature du XXe siècle. Il s’agissait du numéro 9-10 de la modeste revue littéraire « Risques », créée en 1950 dans la région lilloise par trois jeunes journalistes passionnés de littérature: Jean Wagner qui sera par la suit un critique de jazz réputé; le jeune poète Roger Quesnoy, dont l’œuvre est aujourd’hui reconnue et qui deviendra rédacteur en chef adjoint du quotidien La Voix du Nord; et un autre journaliste Michel Salès. Avec les moyens du bord mais aussi avec l’audace de la jeunesse, ils décident de consacrer un numéro spécial à l’auteur de « La Prose du Transsibérien » alors âgé de 67 ans. Ils envoient par courrier un questionnaire aux écrivains ou artistes renommés de l’époque. Eux-mêmes parviennent à obtenir un rendez-vous avec l’écrivain suisse. Ce fut une passionnante soirée de discussions …et de franches libations. Roger Quesnoy se souviendra longtemps de la dextérité avec laquelle Cendrars qui, comme chacun sait, avait perdu un bras à la guerre, parvenait à déboucher les bouteilles d’une seule main. Continuer la lecture

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À nous les créatures de rêve

Il y a toujours quelque chose de sombre dans les films de Hayao Miyazaki. Des forces obscures qui viennent ternir le rêve, l’essence du mal infusant son venin dans les coins. Dans l’avant-dernier film, « Le vent se lève », les prémices de la guerre mondiale étaient constitutifs de la trame principale. La présence de bombardiers au vol lourd et sonore faisait que ce n’était pas vraiment pour les enfants. Après « Mon voisin Totoro » (1988), tabac planétaire, bienveillant et bienfaisant, les films de Miyazaki sont devenus plus manichéens et plus réalistes par voie de conséquence. Il y a le rêve et le cauchemar, ce dernier suintant par les interstices d’un mur comme une muqueuse noire, surgissant tout à coup en escadrille de derrière un gros cumulo-nimbus. L’enchantement est dominateur heureusement, mais au milieu des fleurs et des bons sentiments, Miyazaki disperse des panneaux d’avertissement. Ce faisant il colle à son époque et s’il n’oublie pas de rappeler que le totalitarisme est toujours tapi, il se sert aussi de sa caméra et de ses dessins pour cultiver la veine féministe. Comme dans « Porco rosso » (1992), film dont on parle moins que les « Chihiro » et autres « Princesse Mononoké ». Continuer la lecture

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