Un ingénieur en aéronautique italien prévient le héros du dernier film de Miyazaki que la force créative dure dix ans et qu’après c’est fini. En annonçant que « Le vent lève » serait son dernier cantique, le magicien japonais du film d’animation devait avoir, à plus de 70 ans, sa petite idée sur les capacités de sa propre imagination.
« Le vent se lève » dont le titre emprunte à l’œuvre de Paul Valéry (Le cimetière marin) n’est pas son meilleur film mais chacun s’accorde à dire cependant qu’il est excellent. Et ce n’est pas faux tant la dextérité du réalisateur est intacte durant chaque seconde de la projection.
Personne n’est allé aussi loin que lui dans le détail. Si une goutte de pluie tombe sur un sol sec, ses films ne font pas l’économie de l’évaporation qui s’ensuit. Et tous les ingrédients enchanteurs sont bien là dans dernière oeuvre, jusqu’à la moindre feuille des arbres qui s’agite sous le vent. Le mot « animation » prend chez lui tout son sens.
L’histoire est celle d’un jeune et élégant garçon passionné d’aviation mais trop myope pour piloter. Il deviendra donc ingénieur et concevra le chasseur Zéro aussi célèbre durant la deuxième guerre mondiale que les Messerschmitt et autres Spitfire. Dans ce domaine pourtant, Miyazaki n’innove pas. Dans l’injustement méconnu « Porco Rosso », il avait déjà laissé libre cours à son goût pour les avions en racontant l’histoire d’un pilote de l’Adriatique volant pour son compte sur fond de montée du fascisme en Italie. Les plans, les feuilles de calcul, la courbure des ailes, les aspects du fuselage, la puissance nécessaire du moteur, Miyazaki faisait déjà passer beaucoup de séances techniques qu’il mâtinait de romantisme en y mêlant plusieurs histoires de cœur.
Dans « Le vent se lève », le mélange n’est pas exactement le même puisque les protagonistes sont des ingénieurs qui s’échangent des histoires d’ingénieurs. L’amour n’est pas en reste mais il y est moins conducteur.
On y trouve du rêve bien sûr, c’est l’un des fonds de commerce de l’auteur, mais il y semble ajouté comme on le ferait d’une sauce avec, pour ceux qui connaissent bien Miyazaki, une nette impression de déjà vu. Sans que ce soit forcément bien grave mais la surprise fait défaut. Le terrain est familier.
Ce film est impeccable et sa portance, comme celle d’un avion, nous emmène sans peine dans les nuages. La poésie est bien là mais quelque chose manque encore comme le charme de Totoro, l’un de ses premiers personnages, ou encore les cohortes inquiétantes de fantômes qui n’apparaissaient qu’à la nuit tombée dans « Le voyage de Chihiro ». Le caractère épique de « La Princesse Mononoké » a disparu tout comme la magie astrale du « Château dans le ciel ». Autant de titres qui nous dégageaient vers d’autres mondes, d’autres cieux, en sollicitant notre âme d’enfant et en dissolvant nos névroses de citoyens modernes sous pression numérique.
Le titre emprunte on l’a dit, à l’écrivain Paul Valéry et la phrase complète est « Le vent se lève, il nous faut tenter de vivre ». Pour Hayao Miyazaki, un autre vent s’est levé semble-t-il, qui lui fait se dire qu’il lui faut passer à autre chose. A nous spectateurs affamés, en manque de son talent, il nous a fait ce beau et dernier cadeau dont on ne ratera aucune miette jusqu’à la dernière seconde du générique de fin.