L’image est grise, un peu floue, non pas une image de télévision à ses débuts rayée par 625 lignes, simplement une image que l’on a sauvée à temps du grand trou noir dans lequel se sont perdues beaucoup d’émissions dans les années cinquante ou soixante.
Ce n’est sans doute pas le meilleur des remèdes pour un insomniaque que de passer des heures en cherchant à coup de télécommande un programme de télévision pour accompagner mes nuits. Tiens un zèbre défend son patrimoine génétique en massacrant un zébreau ; tiens des américains tout plein de burgers explosent des cibles à coup de munitions creuses ; tiens des bulldozers rasant une forêt tropicale.
Mais c’est ce visage en noir et blanc, qui s’impose. Celui de Robespierre, il était interprété par Jean Négroni. Je me suis souvenu de son phrasé autoritaire au rythme de ses lunettes dans sa main comme battant la mesure. A dire vrai je ne l’ai jamais oublié. La chaîne Histoire rediffuse en ce moment les épisodes de la série historique mythique « La caméra explore le temps ».
J’avais huit ans en 1964 et pourtant j’ai été marqué par ce film historique en deux parties consacré à la Révolution française, « La terreur et la vertu ». Je me souviens même de m’être endormi avant la fin du premier épisode et de m’en avoir voulu. Je me souviens de la voix de Danton alors qu’il est sur la charrette le menant au supplice. Il hurle dans ma mémoire quand il passait devant la maison de Robespierre, « on rasera ta maison et on y jettera du sel… »
La télévision est arrivée tout d’abord chez mes grands-parents sans doute en 1962. Je devais avoir six ans. Il y avait bien un salon, mais personne ne s’y rendait de peur de salir, la vie tournait donc du matin jusqu’au soir autour de la grande table ronde de la salle à manger, il était donc naturel que la télévision se retrouve sur un autre symbole du modernisme galopant de cette époque, le réfrigérateur, pardon, le frigidaire !
Le soir après avoir débarrassé la table, ma grand-mère allait se rasseoir sur sa chaise juste à temps pour le journal télévisé, juste à temps pour s’endormir sur le champ. Mon grand-père s’était levé, sa gitane au bec pour allumer le poste. Ma sœur lisait et moi je m’apprêtais à dessiner mes rêves du jour sur une ramette de papier jauni.
J’ai gardé quelques souvenirs des émissions diffusées alors, Claude Santelli et son phrasé précieux quand il présentait ses adaptations de livres pour la jeunesse, comme « Le bon petit diable », le petit train Interlude pour occuper les pannes fréquentes, « Bonne nuit les petits ». Rien de très construit et dont le souvenir se mêle avec celui des émissions rediffusées depuis.
A l’époque, tout était à inventer pour la chaine de télévision française. La ménagère de moins de cinquante ans balayait, torchait les mômes ou cuisinait dans l’indifférence générale. « La caméra explore le temps » fut ainsi créée sans que l’on se préoccupe de savoir si la ménagère était passionnée par l’Histoire de France. La série en 39 épisodes de 60 à 162 minutes fut créée par Stellio Lorenzi, André Castelot et Alain Decaux et diffusés entre le 14 septembre 1957 et le 29 mars 1966.
L’image est usée mais pas la mise en scène. Elle pourrait même en remontrer aux cinéastes actuels qui semblent effrayés de filmer plus de trois secondes sans plan de coupe. Les dialogues sont riches précis, il le faut, c’est par eux que nous est donné la leçon d’histoire.
Tourné aux studios des Buttes Chaumont, le film était joué comme une générale au théâtre. Il fallait une grande rigueur pour gérer les changements de décors, le déplacement des lourdes cameras, s’y retrouver dans l’écheveau de câbles ( à ce propos je vous invite à voir le document de l’INA sur le tournage de l’épisode Montserrat).
Une gageure aussi pour les comédiens et pas des moindres, qui doivent se jeter et tant pis si le filage (la dernière répétition) se transforme en « générale » faute de temps… mais quels acteurs ! Au hasard, et toutes les caméras confondues, on trouve Michel Bouquet, Marcel Bozzuffi, Roger Carel, Marc Cassot, Jean-Roger Caussimon, Bernard Dhéran, Georges Descrières, Françoise Fabian, Bernard Fresson, François Maistre , Denis Manuel, Jean-Pierre Marielle, Maria Mauban, Pierre Mondy, Raymond Pellegrin , Michel Piccoli, Jean Rochefort, Jean Topart, Pierre Vaneck etc….
Quant à revoir les caméras explorent le temps, la chaîne Histoire, propose effectivement une grille, samedi 1er février, 22h05 (La fuite de Varennes) etc… mais il semble que la diffusion réelle soit plus erratique. Bref à vous de suivre.
Ah ! Vous me ramenez dans la nuit de mon temps…
Je n’ai pas revu « La Terreur et la Vertu », mais si je me souviens bien Danton était joué par un acteur magnifique, Jacques Ferrière, hélas disparu. Acteur qui faisait un duo comique avec Michel Muller, « Muller et Ferrière »… C’était du temps de « Grosso et Modo »…
Je me souviens encore que Saint-Just était incarné par le subtil Denis Manuel, que j’ai vu plus tard au théâtre, notamment dans un Thomas Bernhard…
Tout ça était du temps où l’on croyait encore au Progrès Social, à l’avenir radieux… et à la culture populaire…
Merci pour cette petite madeleine matinale…
Une évocation de patronymes qui ne nous rajeunit pas.
Oserais-je le dire, fais-nous profiter de tes insomnies Bruno… avant qu’elles ne prennent, j’espère, rapidement la fuite !
Baudelaire parlait du « démon de l’analogie »… Outre l’émission en question, cette belle évocation d’une télévision chez les grands-parents me renvoie, quelques années plus tard en ce qui me concerne, à la Piste aux étoiles que je voyais chez eux… C’est certes moins historique et moins culturel mais il s’agit bien de ces repères d’enfance que nous conservons longtemps. Donc merci.
C’est toujours un plaisir de te lire cher Bruno. Une forme de Spleen baudelairien…