Loin très loin dans l’Atlantique Nord, en eaux peu profondes, un avis de recherche pour disparition inquiétante avait été lancé par une jeune épousée. Alors qu’elle était en pleine ponte, Omar le homard, son mari, aurait dû se présenter depuis longtemps à l’orée du terrier. Mais il n’était pas reparu et Marie-Cécile, sa femme, craignait plus que tout le coup de chalut fatal. Cela faisait maintenant une semaine bien pleine sans nouvelles de lui.
Sur un étal de produits de la mer, au pied d’une enseigne Monoprix, au métro Strasbourg-Saint-Denis, Omar le homard laissait passer des bulles d’amertume par ses fentes. Il était rangé sur un tapis de glace ce qui le gênait moins que les crampes dans les pinces. Elles avaient été méchamment fermées avec un élastique blanc. Seule une de ses antennes pouvait encore bouger. Elle s’agitait mollement comme un essuie-glace bientôt en panne de batterie.
Déjà morts ou anesthésiés par le froid, de couleur noire comme lui, ses confrères et consoeurs d’infortune ne donnaient pas signe de vie. Omar regardait incrédule le décor qui l’entourait. S’il avait pu, il se serait pincé pour y croire. D’autant que pour un homard, il n’y pas de liberté de penser qui tienne si elle ne se pince. Ce qu’il voyait était tellement étonnant qu’il en oubliait d’avoir peur. « Si Marie-Cécile pouvait voir ça » se disait-il.
Ce matin d’hiver, Sébastien forçait l’allure, pressé de se hâter comme tous les parisiens qu’une urgence inconnue commande. Il jeta un œil oblique à l’étal des produits de la mer, continua son chemin puis s’arrêta net. Quelque chose dans cette rangée de crustacés décapodes l’avait interpellé. Sans réfléchir, il s’arrêta net, fit demi-tour et alla se planter devant le stand également garni de coquillages divers qui attendaient entre accablement et indifférence le moment où ils finiraient dans les assiettes.
Ce jour-là Sébastien était comme l’on dit, mal luné. Sa vie de famille l’énervait, son boulot l’agaçait, le métro l’exaspérait. La vue de ce homard à bulles avec son antenne qui balayait faiblement l’espace interrompit ses mauvaises humeurs entrecroisées. Il s’enquit auprès du vendeur de la provenance exacte des homards. Mal luné comme tous les parisiens en raison de sa famille, de son boulot et du métro, l’homme consentit cependant à lui indiquer que tous ses homards venaient des côtes islandaises et, croyant, que le client potentiel qu’il avait devant lui s’inquiétait de leur fraîcheur, précisa qu’ils étaient arrivés par avion et que c’était 21,90 euros le kilo.
Sébastien le fit emballer avec de la glace et héla un taxi. Le chauffeur était mal luné comme tous les lundis matins mais déposa néanmoins Sébastien à la gare Saint-Lazare dans un délai suffisamment rapide pour que cela lui vaille un pourboire équivalent à un plein litre de gasoil. Supputant un festin à venir en vue des quelques algues qui dépassaient du panier de son client, il lui souhaita de bonnes fêtes. Sébastien lui répondit pareillement avant de disparaître parmi la foule.
Le train pour Dieppe partait dans dix minutes. Pour la première fois Sébastien chuchota quelques mots rassurants à l’adresse de l’occupant du panier. Il n’entendit en retour que le claquement mou des pinces qu’à sa demande, le vendeur avait libérées. Il faut dire aussi que sous sa chape de glace, Omar le homard s’engourdissait, aux limites de l’hibernation.
A l’arrivée en gare de Dieppe, le panier avait laissé une nappe d’eau sur le sol du train. Il fallait faire vite. Sébastien gagna la grande plage de galets au petit trot avec l’angoisse au cœur que son homard noir ne tienne pas le coup. A quelques mètres de l’arrivée ce serait trop bête. Mais le temps frais et humide lui préservait ses chances.
Par discrétion Sébastien avait rejoint le pied des falaises, peu fréquentées en raison des risques d’éboulement. Avec précaution il renversa le panier tout près de l’eau montante. Après un temps de sidération bien compréhensible, Omar le homard prit la direction des flots et disparut rapidement sans un regard pour Sébastien mais c’était difficile de l’affirmer.
Une fois sous l’eau, Omar s’en alla un convaincre un phoque qui vaquait sans objectif immédiat et lui fit comprendre en substance, dans un langage subaquatique inconnu des hommes, « vite chauffeur, sur les côtes d’Islande ! ».
Est ce que Omar a croisé sur sa route de retour vers l Islande un tourteau sauvé d un étal breton il y a une quinzaine d années par un Parisien bien luné et disposé à faire des blagues avec sa fille ?
Jolie histoire appréciée par une parisienne ni pressée ni mal lunée (cela arrive!)
« Sans un regard pour Sébastien »??? Voire. La police est sur les dents (ou les pinces). Une enquête a été ouverte après la découverte du cadavre d’un inconnu au pied de la jetée du port de Dieppe. Les enquêteurs n’écartent aucune hypothèse depuis qu’ils ont relevé sur les pierres de la jetée une inscription qui pourrait être de la main de la victime: « Omar m’a tuer… ». Plusieurs spécialistes de la police technique et scientifiques ont été dépêchés sur place.
J’étais mal luné mais ça va mieux.
Philippe je te serre amicalement la pince, en attendant de retrouver Omar cet été dans le Finistère …
J’en viens à regretter d’avoir apprécié les cinq aînés de Marie-Cécile et Omar, découpés tout vivants puis grillés au barbecue et servis avec une délicieuse sauce au « kari-Gosse »…. par contre, aucun regret d’avoir bu ce vin blanc bio dynamique en diable !
S’ils se rejoignent en Islande, Marie-Cécile et Omar auront sans doute d’autres enfants qui à leur tour ………..
Joëlle H
Cela va être difficile d’en manger désormais. Que lui a dit Marie-Cécile à son retour?
Marie-Cécile lui a dit, le prenant dans ses pinces :
« Omar mon Amour,te voici enfin, tu en as mis du temps à rapporter des allumettes »!!!
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