«Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d’un mort à l’autre, et vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une voix. De la barricade, dont il était encore assez près, on n’osait lui crier de revenir, de peur d’appeler l’attention sur lui. Sur un cadavre, qui était un caporal, il trouva une poire à poudre.
– Pour la soif, dit-il, en la mettant dans sa poche.
À force d’aller en avant, il parvint au point où le brouillard de la fusillade devenait transparent. (…) Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre.
– Fichtre! dit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »
Difficile de ne pas penser aux Misérables quand on lit ces lignes, souvent on pense alors aux journées de juillet 1830. En réalité, Victor Hugo raconte l’insurrection de juin 1832, dont personne ne se rappelle plus les raisons. En ce printemps tragique, Paris est emporté par une épidémie de choléra, plus de 19.000 mille personnes vont mourir en six mois, Cuvier, Champollion, Casimir Perier furent ainsi emportés. Le général Lamarque aussi. Très populaire, des milliers de Parisiens veulent accompagner le général. Tout tourne à la confusion. Le cercueil est emporté par la foule. «Au Panthéon » crie-t-on. La troupe charge, Gavroche va bientôt mourir.
La «barricade» est née à Paris, son nom vient de barriques, qui remplies de sable ou de pavés formaient un redoutable obstacle qu’empêchait la troupe de charger.
Eric Hazan, écrivain et historien de Paris, nous emmène dans une visite guidée de l’histoire des barricades. Une balade qui remonte à loin. Bien avant celles de la rue Gay-Lussac en mai 68, bien avant celle de la libération de Paris et surtout bien avant le Paris d’Haussmann, le grand architecte de Napoléon III, qui a gâché le plaisir avec ses avenues trop larges et trop droites. Une bonne journée des barricades dans la capitale s’accommode d’avantage des rues étroites du vieux Paris.
L’histoire bien parisienne des barricades remonte à loin, Eric Hazan la fixe au mois de mai 1588. Henri III a succédé à son frère Charles IX, le roi de la Saint Barthelemy, la guerre de religion fait rage et la très catholique ville de Paris s’est insurgée. Elle trouve le roi trop clément et avec la mort du frère cadet d’Henri III, les catholiques voient d’un mauvais œil la perspective de voir Henri de Navarre devenir l’héritier de la couronne. Ils n’auront pas tort, la famille royale est si fragile !
Mais pour autant, la barricade n’est pas synonyme de révolution. Elle n’est pas politique, elle a simplement le sang chaud, c’est le témoin de la colère du peuple.
Peu importe les siècles, les barricades se ressemblent, faites de charrettes renversées, de meubles, de poutres et de tonneaux, mais elles sont toujours dressées à une vitesse qui stupéfie les témoins, chacun participe à sa construction, homme, femme, enfant. Elles se multiplient en quelques heures, souvent proches les unes des autres. Leur faiblesse, elles manquent de chefs. Barricades pendant les guerres de religion, barricades lors de la fronde, n’était-ce pas une arme des insurgés ?
Elles boudent la Révolution de 1789, mais connaîtront leur apogée au XIXe siècle, les journées de juillet 1830 ou de 1848, lui conviennent mieux. Elles ont surtout trouvé leurs auteurs Victor Hugo ou Châteaubriant, leur peintre également, Delacroix et ce tableau La liberté guidant le peuple. Leur chanson aussi, celle des barricades tragiques de la Commune, et cette jeune fille venant de la barricade de Saint-Maur qui offre ses services aux insurgés, ils voulaient l’éloigner, elle resta. C’est à elle que Jean-Baptiste Clément dédiera Le temps des cerises.
La barricade, histoire d’un objet révolutionnaire/Eric Hazan/Ed. Autrement/15 euros
Eric Hazan a raconté plusieurs fois Paris, signalons L’invention de Paris, édition Point
Merci pour cette évocation, je l’espère non prémonitoire !
Attention aux barricades
Les insurrections échouent toujours, avec ou sans barricades
Mais les révolutions sont des émeutes qui ont réussi. Les barricades y sont alors les bienvenues