Une correspondance s’embrasse comme un puzzle, une fois que toutes pièces sont réunies. On localisait les lettres que l’artiste italien Ardengo Soffici adressait à Serge Férat (peintre cubiste, directeur artistique des Soirées de Paris) et à son amante (puis ex) la Baronne d’Oettingen (également mécène des Soirées) mais cela ne faisait qu’un bout. Les autres ayant été retrouvées à l’Archivio di Stato de Florence, les éditions L’âge d’Homme viennent d’éditer 311 pièces, autant d’allers et retours épistolaires entre 1903 et 1964.
Ces échanges parlent d’art essentiellement et d’artistes comme Rousseau (le Douanier) ou Picasso. Ecrits dans un français approximatif dont les travers orthographiques et syntaxiques ont été conservés, ils témoignent d’une époque séduisante à maints points de vue et de l’amitié qui unissaient les trois protagonistes. Il s’agit-là d’un univers assez codé, nécessitant sans doute une érudition d’universitaire pour en tirer profit.
Le plus intéressant est ce qui ne s’y trouve pas ou trop peu. Certes dans un des courriers, Ardengo Soffici évoque son amitié avec Benito Mussolini mais il aurait été bien de préciser que l’artiste a aussi manifesté avec d’autres intellectuels italiens, son soutien aux lois raciales de 1938. C’est en Italie, dès 1919, que le vocabulaire politique a intégré le fascisme, vocable alors inconnu et qui signifiait selon Mussolini lui-même, un Etat totalitaire (stato totalitario).
A cette époque-là bien sûr, les démocraties étaient encore un peu fraîches et on manquait peut-être d’un peu de recul, pour comprendre que les idéaux de pureté et d’ordre, étaient ô combien contraire aux valeurs humanistes. Ardengo Soffici, malheureusement, n’était pas du bon côté de la ligne jaune. Son adhésion préalable au mouvement artistique futuriste qui prônait notamment l’hygiène par la guerre l’avait d’une certaine façon prédisposé à soutenir l’expression fasciste.
Il faut noter que certains peintres futuristes comme Gino Severini avaient pris leurs distances avec ce qui n’était au début qu’une tendance artistique et Apollinaire de son côté détectera dans ce mouvement venu d’Italie des aspects dont le développement pouvait être inquiétant.
Cette correspondance a ceci de fascinant qu’elle ne trahit presque rien de tout ça. Serge Férat et la Baronne d’Oettingen feront quand même comprendre à leur ami Ardengo que les futuristes via leurs idées sanito-guerrières, avaient tendance à débloquer sur les bords mais, l’amitié perdurera d’autant plus facilement que les clivages politiques n’entraient pas en ligne de compte dans cette correspondance. S’ajoute à cela qu’en 2013, le fascisme a tracé sa route et qu’on en en connaît désormais les conséquences catastrophiques. Dans l’entre-deux guerres, le concept était un peu neuf pour briser les amitiés. L’on choisissait moins qu’aujourd’hui cette voie extrême en toute connaissance de cause.
Les préoccupations de Serge Férat et la Baronne d’Oettingen étaient en outre bien loin de tout cela. Ce qui les intéressaient étaient le monde de l’art et ses acteurs qu’ils ont soutenus financièrement avec une générosité que l’on pourrait juger excessive. Ils ont à eux deux sauvé et relancé les Soirées de Paris, organisé des festivités auxquelles il est encore plaisant de s’y rêver invité. Lui était aussi discret qu’elle était extravagante, n’hésitant pas apprend-on dans cette volumineuse correspondance, à changer ses bas devant un visiteur de façon à lui adresser un signal des plus clairs. Soffici aurait mieux fait de rester l’amant d’Hélène d’Oettingen, elle lui aurait peut-être évité de s’égarer.
Merci pour ce débord toujours bien instructif de la petite histoire de l’art dans l’histoire, la grande. Cela fait penser que l’on sait peu, ou qu’on a peu écrit – ou que cela m’a échappé – sur Apollinaire et la politique…
Excellents analyse qui a le mérite de mettre les choses au point, sans occulter l’intérêt de cette correspondance. Quant à la relation d’Apollinaire à la politique, effectivement le sujet reste à étudier… mais il est probable que la poésie tenait trop de place dans ses préoccupations pour qu’il s’intéresse de près aux contingences de la vie politique !
Merci pour vos encouragements chers lecteurs et amis. PHB
Merci monsieur Philippe Bonnet pour votre article sur cet ouvrage Correspondance 1903 – 1964
Bien qu ‘en effet la syntaxe et l ‘orthographe indique le respect des originaux ; Que des artistes d ‘origines étrangères différentes (russe /italien )s écrivent en français ;mérite de saluer leur effort de communication au début du siècle .
L ‘ envie de corriger les fautes d ‘ orthographe diminue en proportion de l’intérêt grandissant Et a la lecture attentive .
C ‘ est d ‘une genèse du renouveau de l ‘ art dont il s agit ici et par des personnes au destin singulier venus d ‘horizons lointains et milieux sociaux on pourrait dire que rien ne semblait devoir réunir et pourtant!
Grace aux éclaircissements apportes par le remarquable travail de recherche et notes de Barbara Meazzi . L intérêt en effet grandit au fil de la lecture . Car sont Mis en lumiere et évoqués parfois avec humour ou tristesse ,les aléas , les joies les drames de leurs vies respectives , mais toujours present cet amour de l ‘ art ; les cartes representent des oeuvres d ‘art ,centre de leurs réflexions et critiques (parfois acerbes ) comme un jeu entre eux ou codes de reconnaissance ,toujours avec une grande sincérité , sans faiblesses sur leurs propres tourments dans leurs echanges artistiques
ils sont artistes en devenir eux -mêmes et écrivains ) ils évoquent dans leur quête
les personnalités et faits artistiques Et pas des moindres! dans leurs lettres respectives sur l ‘art vont apparaitre Entre autre : les peintres Paul Cezanne Renoir Maurice Denis Picasso ,Braque Léger Matisse Maurice Denis ,DeGroux ,Rousseau , Laurens ,Archipenko, Rosso Papini Marinetti, Severini ainsi que des écrivains Apollinaire , Jarry et Rémy de Gourmont Rouveyre . Etc…. (Voir l index très pratique )
Ces Ecrits de jeunes artistes Jusqu’ à leur maturité rapide
La passion s en mêle
D ‘ un côté russe pour L ‘aristocrate le comte Serge Yastrebzof Naissance A Moscou Fait les beaux arts a Kiev il prend des
pseudonymes voilà qui complique
Serge Ferat -jean Cerusse ) et la baronne d Oettingen née à Rome de mère polonaise (Roch Grey Angiboult ,Léonard Pieux )et italien de l ‘ autre , Ardengo Soffici . à Poggio à caiano près de Florence
ils se rencontrent, à Paris en 1903 , s apprécient s aiment ,peignent ensemble puis se séparent , se retrouvent et s ‘écrivent régulièrement sur de longues périodes .
Avides de renouveau en art « on étouffe dans le cercueil des dieux »
Au centre même des mouvements de l ‘ avant -garde artistique ,ils vont en être acteurs et révélateurs
D ‘un côté ,le cubisme a Paris ,de l ‘autre le futurisme À Florence Rome ; eux-mêmes Au sein de ces révolutions artistiques
Cheminement qui portera le discret Serge Ferat Ami de Picasso 1912 à faire de la peinture cubiste ,puis Sous le pseudonyme Jean Cerusse ) ami du poète Guillaume Apollinaire .
en 1913 Serge Ferat sous le pseudonyme jean cerusse reprend la direction artistique de la revue « les soirées de Paris » et permettra alors de faire découvrir par le biais d ‘icônes les oeuvres des plus grands artistes ses contemporains En s oubliant lui- meme Toujours par discrétion
Cet élan artistique hélas stoppé net par la guerre (il s ‘engage volontairement comme ambulancier puis infirmier ) il soignera lui même Apollinaire blesse
en 1917 Révolution russe ; privation des iens mais « les mamelles de Tiresias » Apollinaire lui demande de composer les décors et costumes et masques
en 1918 :la mort de son ami Guillaume Apollinaire le laisse très attristé
Contraint a vendre sa collection de Rousseau dont « la noce »
Il vivra de son art ; les admirateurs de sa peinture apres la seconde guerre mondiale Cocteau, Braque ami de toujours qui l ‘ invitera à Sorgues avec Zadkine
quelques collectionneurs vont le soutenir Roche ,Rocherand Beres (père ) Cassoulet fera acquérir de ses œuvres au musée d art moderne
Haba Roussot et Roger Roussot
Serge vivra proche d Hélène d ‘ Oettingen Prendra soin d ‘elle pendant sa longue maladie et fera publier son œuvre littéraire Jusque a sa mort en 1950 .
Soffici écrira une ultime missive A Serge Ferat quand il apprendra par Adéma la disparition d ‘Hélène d Oettingen .
en effet Serge Ferat avait cesse d’ écrire depuis longtemps a Soffici ; vous avancez une des raisons plausibles
La dernière partie de l ‘ ouvrage dépasse la mort de Serge Ferat (1958 )
Adèma donne l ‘ adresse d ‘ Haba Roussot à Soffici C est pourquoi il lui écrit
Ps Serge Ferat demande la nationalité française en 1936
Il ne retournera jamais en Russie
Et ne reverra jamais Soffici
leur dernière lettre d échange artistique en 1922 .
En 1956 Soffici écrit à Ferat apres de la mort d Hélène d ‘ Oettingen
Madeleine Ravary
Lire : Jean Cassou qui a fait acheter plusieurs œuvres de Serge Ferat par le musée d ‘ art Moderne
Merci ( iPhone joue parfois des tours )
M r
Vous avez raison cher Philippe de désigner cette ligne jaune (ou noire) que Soffici enjambe en toute connaissance de cause. En 1945, interrogé par les soldats alliés qui lui demandent depuis quand il est fasciste, Soffici répond « Depuis 1909. » Et devant l’étonnement de l’Anglais il précise : « Déjà à cette époque nous, qui étions les collaborateurs de la revue La Voce, nous étions fondamentalement fascistes, puis avec la naissance d’un véritable parti fasciste, chacun a fait ses choix » (Sigfrido Bartolini, « Con Soffici », 2003). Férat a pris ses distances et est resté fidèle à un monde désenchanté. Merci de nous le rappeler avec autant de précision et d’élégance.
1909 me parait quand meme trop tot!
J’aurais du mal à imaginer comment les contributions de Croce ou Salvemini préfigurent le fascisme: il y a bien déja une préoccupation palingénétique et une tendance à la « religion politique » mais comme semble le noter Antonio Gramsci, ces traits ne sufissent pas a définir le fascisme…
Si je devais donner une date qui « précède » la fondation du parti, je choisirais le début de la guerre de Libye en 1911…
Dans tous les cas je pense comme vous que dans le cas précis de Soffici (comme dans un certain nombre de cas d’avant-garde) la séparation de l’oeuvre et de la pensé ne fait pas justice au projet de l’artiste, dans la mesure ou l’abolition de la différence entre l’art et la vie constituait un aspect central de sa pensé!
Concernant Soffici et le fascisme, lire son Lemmonio Boreo, ainsi que les excellents commentaires offert dans Walter Adamson, ‘Avant-Garde Florence: From Modernism to Fascism’ publié chez Harvard U.
Merci en tout cas pour vos commentaires intéressant et un pour un blog passionant!
Merci pour votre commentaire cher lecteur. PHB