Un parfum venu du ciel

A la ville il était un industriel reconnu. Assis sur un banc d’altitude au milieu des vaches carillonnantes, il n’était plus qu’un type qui décompressait. Circonstance rare dans sa vie d’homme d’affaires, Michel était en short. Ses gros mollets pâles attiraient les mouches, venues en voisines, depuis la peau des vaches. Il était habité par une telle lassitude qu’il n’esquissait pas un mouvement pour les chasser.

Au milieu des animaux à cornes, il se sentait au moins à l’abri des conflits, des collaborateurs, des clients, des avocats, des mails, des pannes informatiques, des pensions alimentaires, de toutes ces choses qui vrombissaient comme autour de lui les mouches. L’évocation de ce parallèle le fit sourire, pour la première fois en deux jours.

Et pendant ce temps-là le troupeau des vaches paissait. Elles se décalaient progressivement en fonction de la surface restant à brouter si bien qu’au bout d’un moment, l’homme se retrouva seul au milieu des bouses que les mouches dégustaient à chaud telles des pizzas sorties du four. Le cycle naturel était en marche.

Considérant cette évidence, Michel pensa à sa production et donc à son usine, ses parfums et leur mise en flacons. Au paysage alpestre se substitua alors des images de hauts et de bas de bilan et même des idées bien plus graves qui le tourmentaient jusqu’à le réveiller chaque nuit avant l’aube.

Devant lui s’étalait une large flaque de bouse dont les strates formait sur le dessus un sorte de cratère au bord duquel les mouches s’échangeaient les derniers potins. Peut-être prévenues par des collègues d’une meilleure aubaine, elles quittèrent brusquement leur position, groupées tel un escadron de chasse.

Et puis, advenant ce qui devait advenir, une volée de papillons noirs vint tournoyer avant de se poser qui sur l’herbe, qui sur la bouse et, pour l’un d’entre eux, sur l’avant-bras de Michel. Fort surpris par cet atterrissage amical, il vit le lépidoptère frapper sa peau à quelques reprises de sa trompe velue. Etait-ce un signal ? Toujours est-il que le papillon fut alors rejoint par trois de ses confrères.

Longtemps Michel ne bougea pas afin de ne pas rompre ce qu’il prenait pour du charme. Mais craignant l’ankylose il fit un geste. L’un des papillons s’envola tandis que les autres restèrent bien arrimés. Ils n’étaient pas farouches. A bien les observer, surtout lorsqu’ils ouvraient les ailes, il constata que ces papillons n’étaient pas uniformément noirs mais au contraire parés d’une belle décoration orange avec un petit sigle qui pouvait, au moins sur l’un d’entre eux, ressembler au chiffre huit.

Proprement distrait par la rencontre, il sentit ses soucis fléchir et puis disparaître, lui laissant un répit appréciable. Cependant, piqué par la curiosité, il s’en alla quérir son téléphone intelligent dans la poche de son veston, juste histoire de donner un nom à ces papillons et ce faisant, continuer par diversion de tenir à bonne distance ses soucis professionnels.

Il s’agissait en l’espèce d’un genre suffisamment banal pour qu’apparaisse très vite, sur l’écran de son téléphone une image concordant avec la catégorie de papillons qui lui chatouillait à peine le bras. Michel apprit qu’il avait donc affaire à un «moiré automnal», soit en latin un Erebia neoridas (1).

Pris de sympathie pour le genre, il revint le lendemain sur le même site, par le même sentier et retrouva sans peine ces bestioles éphémères qui lui jouèrent généreusement la même aubade que la veille. Il avait apporté un petit carnet de dessins à spirales et il s’amusa un long moment à reproduire la géométrie de leurs ailes. A l’aide d’une petite boîte de gouache comme celles que l’on offre aux enfants, il colora ensuite ses dessins et fut satisfait du résultat obtenu.

Quelques jours plus tard, premier arrivé et premier assis dans la salle de réunion du 32e étage de ses bureaux, tout en attendant ses collaborateurs, il songeait avec une joie nuancée d’une pointe de triomphe à ces quelques jours d’évasion proches des cimes. Oui, une pointe de triomphe car il annonça ce jour-là, accompagné d’une épreuve graphique, le nom de la nouvelle composition odorante pour femme sur laquelle il comptait rebondir : Le Moiré Automnal numéro huit.

 

 

 

 

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4 réponses à Un parfum venu du ciel

  1. Bruno Sillard dit :

    La douceur d’un champs de papillons au-dessous d’un vol de vaches.

  2. Philippe Bonnet dit :

    Deux genres très sympathiques en tout cas. PHB

  3. jmcedro dit :

    La sérendipité descend souvent d’un froissement d’aile de papillon c’est bien connu …

  4. de FOS dit :

    Plus possible d’engloutir sans renifler la flasque mozarella s’étalant sur sa pizza…

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