Une DS 19 blanche à la sortie de Saint-Jean-de-Luz. (1975). La voiture s’arrêta à la station-service Antar et se gara devant la pompe à air. «Vous voulez que je vérifie la pression des pneus ?» Le pompiste s’avançait. «Non merci, j’installe le fiston pour la nuit.» Son petit bouc et sa moustache qui lui enserrait le visage lui donnait un air d’instit. Il se prénommait Claude. «Il n’y a pas de mal, bonne route.» répondit le pompiste en retournant vers son bureau. Claude avait coincé son sac de voyage entre les dossiers des sièges avant et les sièges arrière. La nuit tombait. Ils avaient trop bien roulé depuis Paris, aussi s’étaient-ils arrêtés dîner dans un routier, histoire d’attendre le soir. Ils avaient repris la route et roulaient en direction d’Irun. «Pierre, allonge toi et dors». Le môme qui devait avoir une dizaine d’années s’allongea et ferma ses yeux. Un douanier français se pencha par la vitre ouverte de la DS jeta un coup d’œil vers l’arrière puis fit signe à Claude de passer.
Une Renault 8 blanche, un café sur la route de Bayonne. (1975). «C’est bon, j’ai eu Philippe au tel, il faut suivre les flèches et de toute façon les flics font la circule.» Antoine avait repris sa place au volant. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient de Bayonne, un policier transformait chaque carrefour en un plot de flipper, se fiant à la gueule échevelée de la bille pour la diriger vers des champs transformés en parking. C’était l’été, c’était aussi la manif de la dernière chance pour cinq basques que Franco avait condamné à mort. Franco dont on se demandait s’il était déjà mort. La France giscardienne avait toléré ce rassemblement à la seule condition qu’il fut hors la ville et sur un trajet qui n’inviterait pas les dizaines de milliers de manifestants à faire une visite pas du tout courtoise à la frontière espagnole.
La DS 19, douane d’Irun. Le douanier espagnol lisait avec attention les papiers, passeport, carte grise et carte verte qu’il lui avait tendus. «Vous allez-où ?» Claude lui répondit en un espagnol impeccable : «J’emmène mon fils chez ma belle-famille à Santander pour quelques jours». Le douanier les yeux toujours rivés sur le passeport poursuivit : «D’où venez-vous?», «Je travaille à Paris, ma femme est déjà chez ses parents ; le petit vient de passer quelques jours chez ses autres grands-parents.» Le douanier s’était penché et regardait l’enfant blotti entre le dossier du siège arrière et le sac de voyage. «A cet âge, ils ne sont pas toujours facile à endormir… et encore plus difficile à réveiller !» lança Claude en riant. Le policier lui tendit ses papiers, le salua et lui fit signe de passer. Les suspensions de la DS absorbaient les premiers virages de la route sinueuse qui longeait les montagnes basques. « Ca y est ? Je peux me réveiller maintenant, Papa ?»
La Renault 8, sous l’orage. L’orage éclata alors que le cortège venait juste de s’ébranler. Un orage pyrénéen qui en quelques minutes transforma le jour en une nuit noire zébrées par les flashes blancs des éclairs. Un rideau d’eau trempa les manifestants jusqu’au fin fond de leurs cartes d’identité et les plongea dans les affres de l’incertitude face à un tel acharnement électrique. Manifestement ça se fritait au sommet de l’Olympe basque entre grain fasciste et soleil révolutionnaire. La météo choisit enfin son temps, l’orage cessa, et sans rien comprendre sur ce qu’il se passait pour les manifestants, Antoine se retrouva dans Bayonne près d’un pont, dans le brouillard irritant des lacrymogènes. Apparemment le cortège s’était scindé en deux, les anarchistes qui voulaient en découdre d’un côté, les trotskystes et maoïstes qui se voyaient mal gérer le retour de manifestants venus de toute la France, de l’Europe aussi. Et Antoine qui se demandait comment il était arrivé là. «Antoine ?», un de ses potes de voyage, Paul courut vers lui. «On est où ?» « A Bayonne, non ?»
La DS 19, route de Guernica. Un peu avant Bilbao, la voiture quitta la route principale à un carrefour, Un panneau indiquait la direction de Guernica. Puis la DS prit un petit chemin où elle chaloupa jusqu’à une ferme. Un homme, qui guettait sans doute son arrivée, sortit pour ouvrir la porte d’une grange où la voiture s’engouffra sans même s’arrêter.
La seconde partie de ce texte « l’Adieu aux Armes » ainsi que la fin de ce triptyque « une Suite espagnole » demain, mercredi 21 août.
Bigre ! L’attente est insupportable… Est-ce une forme de torture ?
J’aimerais tant qu’en recueil des articles de Bruno Sillard soit publie. Que de talent!
Euh! Ben merci