L’esprit d’escalier

Ils sont parmi nous. Ils sont de plus en plus nombreux. Leur corps est bien là mais leur esprit s’est absenté. Seuls leurs yeux captent l’essentiel de leur environnement. Les passants qui les entourent évoluent dans un monde abstrait qui ne les atteint pas. Le casque haute fidélité qui prend appui sur leurs oreilles diffuse un programme musical connu d’eux seuls.

A une personne qui leur dit «pardon je voudrais m’asseoir» ou «pardon je voudrais descendre», ils ne répondent pas car ils ne les entendent pas. Il faut poser la main doucement sur leur épaule ou sur leur avant-bras pour qu’ils s’effacent. Ils ont l’air étonné, comme si quelqu’un était entré dans leur chambre. Ils font alors ce que l’on attend d’eux puis réajustent leur casque après l’interruption non désirée. Leur esprit repart « dans l’escalier », comme les concierges.

Parfois ils n’écoutent pas de musique mais c’est leur téléphone qui vient de leur signifier qu’un message vient d’arriver. Et ils s’arrêtent net, comme stoppés par un frein à main actionné d’un bras impavide.

Ils n’ont pas vu la personne juste derrière qui a failli les percuter. Ils ne voient pas non plus les autres passants qui les évitent par la droite et par la gauche tout comme une rivière contourne une pile de pont. Ils prennent connaissance du message et réfléchissent déjà à la réponse qu’ils vont adresser à l‘expéditeur au moyen de leur pouce articulé. Ils sont aliénés. Tenus en laisse par un opérateur télécoms et un réseau de correspondants eux-mêmes ficelés comme des pièces jointes. L’arrivée imminente des lunettes intelligentes nous promet Dieu sait quel étape supplémentaire.

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Une réponse à L’esprit d’escalier

  1. de FOS dit :

    Limite terrifiant…

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