C’est jour de Shabbat à Jérusalem. Dès la veille au soir, chœurs joyeux et cris d’enfants se sont tus dans les jardins publics alors que le soleil chauffait encore de ses derniers rayons les murs d’or gris de la ville lumière. L’étourdissante circulation automobile s’est tarie au pied des remparts ottomans. Le silence s’est installé, presque insolite.
Le Musée national d’Israël figure parmi les rares bâtiments à ouvrir ses portes en ce jour de repos du Créateur. L’établissement est situé sur une colline à proximité de la Knesset et de l’Université israélienne. S’y rendre à pied en zigzaguant dans les rues de la Jérusalem moderne à la recherche de l’ombre portée par les néfliers, oliviers et lauriers, vaut la récompense. Le Musée, récemment rénové, offre au visiteur l’apaisante fraîcheur de ses salles climatisées et l’éclectisme de ses richesses.
Ses bâtiments cubiques aérés s’inscrivent en complet contraste avec les ruelles bruyantes et encombrées de la vieille ville où se côtoient, s’entassent et s’enchevêtrent, en un hallucinant creuset, un nombre incroyable d’édifices cultuels et de minorités ethniques ou religieuses. Jérusalem en ses remparts, c’est un chaudron de métal à peine refroidi, prêt à s’enflammer à la moindre étincelle…
Hymne à ce que l’homme sait faire de mieux sur cette terre, le Musée enjambe les millénaires. Premier captivant flash back, l’entrée sous la coupole immaculée qui abrite les rouleaux de la Mer morte : ces fragments de parchemins et des manuscrits bibliques extraits des profondeurs des grottes de Judée. Ce sont les plus anciens écrits de notre histoire.
Et quelle singulière architecture que ce Sanctuaire du Livre qui leur sert d’écrin, un dôme recouvrant une structure aux deux tiers enfouie dans le sol et se reflétant dans un plan d’eau. On la doit à un architecte américain d’origine autrichienne. Pour abriter les précieux écrits bimillénaires relatant la déportation des juifs à Babylone et de la reconstruction du Temple de Salomon, Frederick Kiesler eut l’idée de cet édifice mi-crypte mi-rotonde éclairé par en-dessous.
C’est dans un quasi recueillement qu’on y pénètre, l’œil s’exerçant peu à peu à la pénombre dans un apaisant murmure d’eau. Eau purificatrice, eau symbole biblique de vie. La longueur des fragiles parchemins atteint plusieurs mètres. Leur calligraphie force le respect, leur découverte suscite la stupéfaction : ils ont été découverts à partir de 1947, année du vote de la naissance de l’Etat d’Israël.
Avec la maquette géante de Jérusalem à son apogée, en l’an 66 de notre ère, on entre davantage dans le concret. La cité aux mille influences s’étendait alors, au temps de ses splendeurs, sur plus de 20 hectares soit deux fois la superficie actuelle de la vieille ville.
Quatre longues années furent nécessaires pour réaliser ce modèle réduit à partir de fouilles archéologiques et de sources religieuses et littéraires. En faisant le tour de cette ville-maquette, on se plait à situer le Golgotha (calvaire), la tombe du roi David, le marché, le théâtre, les piscines, les palaces. On repère surtout l’imposant second temple de Salomon (le premier avait été détruit par les Babyloniens) construit par Hérode le Grand. Il fut incendié par les légions romaines en l’an 70 de notre ère après la première révolte des juifs. Il n’en reste plus aujourd’hui que le mur ouest de soutènement (le Mur des lamentations) et les arches d’accès à l’esplanade (des mosquées), de loin reconnaissable à l’or de la coupole du Dôme du rocher.
Le roi de Judée fut un grand bâtisseur. Le musée lui rend hommage à travers l’exposition « Le dernier voyage d’Hérode le Grand » (prolongée jusqu’au 4 janvier 2014). Il fit aussi édifier palais, théâtres et hippodromes. On reste ébahi devant l’audace qui préside à la construction de sa forteresse-mausolée d’Hérodion. Exploitant les ressources du dénivelé, le roi ingénieur fit creuser les entrailles d’une colline artificiellement exhaussée pour y loger tout un réseau d’irrigation souterraine. Ainsi évidée, le monticule renfermait résidences, jardins arborés et bassins d’agrément. A la romaine bien sûr, car ce contemporain et ami de Marc-Antoine, Auguste et Agrippa était admirateur de la culture romaine. C’est dans cette forteresse qu’on retrouva son mausolée et son sarcophage sculpté. Le roi avait décidé d’y faire son dernier voyage depuis son palais de Jéricho.
C’est un Musée où vous pouvez passer la journée, préviennent les guides. Ils sont en-deçà de la vérité. Les pièces exposées foisonnent et surprennent par leur éclectisme. Ainsi trouve-t-on, à côté de toiles et de sculptures de maîtres (Picasso, Monet, Rembrandt, Giacometti, Rodin…), nombre d’œuvres d’artistes israéliens contemporains à l’imagination fertile. Telle cette hypnotisante animation horizontale intitulée « Dead Sea » signée Sigalit Landau. Il s’agit d’une vidéo projetée sur le sol où l’artiste s’est figurée en naïade emprisonnée dans une spirale aquatique de pastèques rouges et vertes. Alors que l’escargot des fruits se défait fait lentement dans l’eau, le corps flottant de l’artiste épouse le mouvement des cucurbitacées avant de disparaître du champ, laissant place à la profondeur des eaux sombres. La mise en scène est d’une sensuelle beauté. Elle illustre les relations quasi amniotiques nouées par l’artiste avec l’endroit le plus bas et le plus salé de la planète, la Mer morte.
A défaut d’approfondissement faute de temps, tout mérite le survol dans le musée. Pour n’en citer que quelques uns, ce chef d’œuvre d’enluminure qu’est la copie manuscrite de la Torah, écrit hébreu moyenâgeux restauré à la feuille d’or ; ou cette grande fresque illustrant le massacre et la déportation des Juifs par les Assyriens au VIIème siècle avant JC. On y voit les assaillants écarteler leurs prisonniers ; ou encore ces précieux manteaux en tous matériaux abritant les rouleaux de la Torah, ces parures féminines de mariage originaires de divers pays.
Jérusalem et son musée offrent au visiteur une plongée dans l’espace-temps qui le laisse ébloui et désorienté. Tant de richesses accumulées dans ces vitrines à accélérer l’histoire, tant d’efforts pour les réunir, tant de menaces de les perdre.
Que dire après la lecture de cet article. Sortir de ses rêves et se donner rendez-vous à Jérusalem.