Le présent compliqué selon Asghar Farhadi

Vivre au sein d’une famille recomposée ne fait pas le quotidien facile. Le passé n’est simple que dans la conjugaison française… et la concorde rarement sacralisée ailleurs qu’au niveau grammatical.   Avec « Le passé », l’Iranien Asghar Farhadi renoue avec un double thème qui lui est cher depuis « Une séparation », celui de la famille et de la responsabilité.

Son premier film en français porte sa signature : dans les rapports humains, foin de manichéisme, nul n’est jamais ni tout blanc ni tout noir. Le postulat met d’emblée le spectateur en empathie avec tous les personnages du script.  

Au départ, l’histoire est ordinaire. Un Iranien (Ahmad) revient en France à la demande de sa femme (Marie) pour officialiser leur divorce. Il se retrouve plongé au cœur d’une famille au bord de l’implosion. La fille aînée de son ex femme (Lucie) s’oppose au remariage de sa mère avec  l’homme dont elle est enceinte (Samir), qui est déjà père d’un garçonnet de cinq ans (Fouad) dont la mère est à l’hôpital pour une tentative de suicide. Si,si, relisez bien, le script est simplissime.

La mise en scène constamment relancée fait oublier la banalité toute relative du sujet. Farhadi sait ménager les rebondissements, toujours vraisemblables, pour nous intéresser aux personnages, à leurs relations croisées. En fin observateur du couple, il pointe sa caméra sur les postures adoptées : les hommes (les mâles) qui s’observent avant de se mesurer en joutes feutrées, les relents de jalousie qu’ils s’efforcent de surmonter, les alliances intrafamiliales à géométrie variable qu’ils nouent au gré des circonstances. C’est imperceptible, mais c’est… Le réalisateur livre une peinture subtile des ressorts humains (tous âges confondus) dont on devrait avoir honte de se divertir.

« Le Passé ». Photo: Carole Belthuel. Source: Unifrance

La scène du petit déjeuner où l’amant et le futur ex-mari de la  mère font connaissance, à côté d’un évier bouché, est un morceau d’anthologie : échange subreptice des regards, prétexte gros comme un tuyau de raccordement pour refuser la poignée de main, réponse à la place de l’autre au questionnement de Marie  «as-tu mangé quelque chose ?».

Et l’enfant dans tout cela ? Il reste la principale préoccupation du metteur en scène qui fait de l’Iranien du script – ce n’est pas un hasard de la distribution – son meilleur défenseur. Ahmad, à l’écran Tahir Mosaffa,  se transforme à son insu puis de son plein gré en médiateur des conflits familiaux, en  patriarche de la tribu, éteignant un à un les départs d’incendie avec ses mots prononcés à voix douce. Il est de ceux qui avancent dans la vie un œil resté dans le rétroviseur. «Coupe, coupe !», lui intime pourtant son compatriote restaurateur. Le fardeau de son passé lui semble si douloureux qu’il  pousse Lucie à se délivrer du sien. On connait la teneur du second, on ne peut qu’imaginer le premier. Le film de Farhadi est aussi une somme de non-dits.   

« Le Passé ». Photo: Carole Belthuel. Source: Unifrance

Bérénice Bejo est épatante dans le rôle de Marie. Elle campe une femme soupe au lait, violente, qui  bout de l’intérieur en s’affairant au-dessus d’un volcan. Front buté, toujours sur ses gardes, elle régente son petit monde,  distribue les lits comme des sanctions ou des récompenses et  préfère intimer « rentre » à sa fille fugueuse plutôt que « reviens« . Elle offre l’image contraire de la sérénité.  

L’acteur d’origine algérienne Tahar Rahim est Samir, cet homme jeune écartelé entre son épouse dans le coma, sa maitresse qui porte leur enfant et son petit garçon incarné par l’époustouflant Alyes Aguis. L’adorable garçonnet a de la répartie, l’œil toujours vif mais le sourcil en permanence froncé par des soucis d’un autre âge. Pauline Burlet joue Lucie, l’adolescente que perturbe la vie amoureuse de sa mère au point de s’immiscer dans les rapports de couples.

Le  film a raté de peu la palme d’or au Festival de Cannes 2013. Il était, dit-on, le chouchou du président du jury Steven Spielberg.  Bérénice Bejo a remporté la Palme de l’interprétation féminine. Récompense méritée pour ce rôle de composition de nature à effacer de nos souvenirs son éclatant sourire affiché dans « The Artist ».  

La bande-annonce sur AlloCiné.

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2 réponses à Le présent compliqué selon Asghar Farhadi

  1. DERENNE Pierre dit :

    Vos commentaires me rappellent bien la confusion de sentiments dans laquelle sont plongés les personnages.
    C’est un vrai bonheur que le seul souci dans un couple, soit d’avoir oublié le pain…

  2. Bruno Philip dit :

    Article prescripteur, je vais aller voir ce film, merci

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