Depuis huit ans il recevait dès l’aube une liasse de journaux entourée par un élastique. Compte tenu de ce qui va suivre on aurait aussi pu écrire que depuis huit ans il recevait un élastique lesté par une liasse de journaux car…
…plutôt que de jeter son élastique d’une pichenette désinvolte, il eut un jour l’idée, l’intention machinale ou le projet délibéré, d’entourer un galet de cet élément de latex. Et de jour en jour, de semaine en semaine puis de mois en mois, le galet disparut sous un magma d’élastiques enchevêtrés.
Et puis un autre jour, les journaux cessèrent d’être livrés avec un élastique et cet employé modèle bâti comme un menhir de Carnac déposa la boule ainsi constituée sur un socle en verre sans se douter qu’il venait de créer une œuvre contemporaine, celle appartenant à l’art dit « brut », c’est-à-dire un art pas complètement prémédité.
Depuis, l’œuvre en question n’est pas tout à fait figée puisque la matière élastique, sensible à la chaleur comme au froid, à force d’allers-retours thermiques, se dégrade lentement, évoluant vers une sorte de pudding vermiculaire au latex ce qui n’est pas totalement fréquent on en conviendra.
Selon Wikipédia, l’élastique peut mesurer 30×1 millimètres et peser environ 0,2 gramme. Il a été breveté en mars 1845 par l’inventeur anglais Stephen Perry.
Toujours d’après l’encyclopédie en ligne, on le trouve notamment dans la fabrication des vêtements, en coiffure, pour tenir les cheveux, en papeterie, pour grouper des enveloppes, pour faire des prototypes rapidement sans clou, ni colle, ni vis, en cuisine, pour refermer des sachets, des boîtes, en modélisme, pour la propulsion de petits avions et de petits bateaux, en horticulture, pour soutenir des tiges qui vont supporter le poids de fruits lourds, sans abimer les tiges, pour la pêche à la ligne, afin d’éviter trop d’efforts sur la canne à pêche, par les facteurs pour regrouper des lettres (d’ailleurs précise l’auteur de cette intervention, les facteurs anglais ont des élastiques rouges pour les retrouver plus facilement s’ils tombent) et bien sûr, pour enfin tenir les journaux en liasse et non en laisse.
Ajoutons qu’un garnement digne de ce nom sait parfaitement exploiter le fil élastique afin de catapulter en classe, une boulette de papier soigneusement mâchée, sur la nuque d’un camarade. Sans compter que des tas de problèmes abracadabrants, domestiques ou hautement technologiques ont trouvé dans l’élastique comme dans l’épingle à nourrice ou le morceau de fil de fer, la voie du dépannage.
Il restait l’oeuvre d’art vivante. Celle-ci, disons-la réalisée à la fois par un éminent collaborateur des Soirées de Paris, un observateur exigeant de la scène théâtrale, un promeneur accrédité du quai des Paimpolais et pêcheur de bar émérite, pourrait figurer sans peine sur le marché (de l’art).
Merci beaucoup Philippe pour cet hommage à l’art brut. Je n’ai pas prémédité l’oeuvre, elle a grandi jour après jour, m’accompagne, discret animal de compagnie. Un détail tout de même, je n’ai encore jamais pris un bar. Cet été sans doute.
Je ne suis pas sûr de savoir distinguer un bar comme il faut parmi les autres poissons. PHB