L’idée de mettre en scène les propos que Marguerite Duras a pu tenir en 20 ans à la télévision ou à la radio tient très bien la route. Dommage que cette pièce, « Marguerite et moi » récemment jouée au théâtre de Belleville soit encore si peu programmée. Elle ne dure qu’une heure et l’on ne s’ennuie jamais tant l’aplomb de l’écrivain désarçonne et amuse.
Durant une heure seulement donc, mais le dosage s’avère en l’occurrence équilibré, on se réjouit à l’écoute des piques, répliques et réflexions de l’auteur de «L’amant». Les gens ne savent pas ce qu’ils veulent, Marguerite Duras le déplore comme une tare de société, mais ajoute-elle ce n’est pas le cas de tout le monde. Elle cite alors les «dépravés sexuels», lesquels selon elle, ont de leur côté une vision très précise de ce qu’ils attendent.
En fait on peut se rendre compte au fil de la pièce que Marguerite Duras, qui a l’air de bien savoir ce qu’elle veut a, de surcroît, des positions tranchées. Elle ne se balance pas entre les peut-être, les je ne sais pas, les faut voir, les ça dépend. A Jacques Chancel (journaliste radio, totémique d’une époque révolue) qui lui demande si elle admet que des gens pensent autrement qu’elle, elle répond en riant mais quand même, « eh non, je ne l’admets pas ». Quand d’aventure elle nuance, c’est depuis son point de vue.
L’acclimatation avec l’actrice en scène se fait très vite. En peu de temps, avec sa façon bien particulière de chercher des doigts son paquet de cigarettes dans la poche de son gilet, Fatima Souahlia-Manet devient Marguerite Duras. Ou plus exactement elle lui redonne de la voix, l’accueille dans son jeu, se substituant ainsi aux hauts parleurs radiophoniques qui à l’origine ont diffusé les mêmes propos. L’actrice est l’enceinte par qui transite la voix de Duras.
Son partenaire sur scène, Christophe Casamance, est de son côté le porte-voix des interviewers et du public. Sa sobriété de jeu très efficace est un élément essentiel de la mise en scène qui soulage l’ensemble des risques de saturation liés au monologue.
Tout est là d’ailleurs. Puisque le personnage de Marguerite Duras «répond» la plupart du temps. C’est la question qui anime le mieux Marguerite Duras, la conforte mais jamais ne l’ébranle. C’est la question qui lui inspire son toupet, ses réponses provocantes, incorrectes, impertinentes et assez souvent drôles.
Pourtant la pièce débute par un genre de monologue depuis la cuisine de l’écrivain. Là aussi, le talent de Fatima Souahlia-Manet fait que nous, spectateurs, finement sollicités, marchons dans la combine. Elle nous explique que si tout n’est pas deux tout est rien. Une bouteille d’huile c’est le néant, deux bouteilles d’huile en revanche c’est une bouteille d’huile. Elle nous fait là une ode à l’amour par l’entremise d’une liste de courses. Le vieux système de la procuration est éculé depuis Pagnol mais il est toujours efficace.
Dommage vraiment qu’en l’état actuel des choses il faille attendre le 8 novembre pour aller voir ou revoir cette pièce à Grand Couronne en Seine Maritime. Après c’est 2014, carrément. Programmateurs chaussez vos lunettes, allumez le récepteur, branchez vos écouteurs !
On aimerait pouvoir y aller
Pas de lien vidéo qui permettrait de se faire une idée?
Un peu frustrant effectivement