Depuis les jardins des serres d’Auteuil on perçoit bien les clameurs des spectateurs qui proviennent du stade Roland Garros lors du tournoi du grand chelem qui réunit les meilleurs joueurs du monde entre le mois de mai et le mois de juin.
Et ce promeneur habillé en pâle comptable d’un jour pluvieux avec son pardessus passe-partout n’en avait cure, puisqu’à l’intérieur de la grande serre on n’entendait plus que les oiseaux de la volière. Jim cherchait parmi les branches d’une certaine plante tropicale un tout petit fruit sphéroïde et jaune qu’il avala d’un coup en trois gorgées de Fanta.
Il ressortit, s’installa sur un banc agréablement ombragé et attendit. Les rumeurs du court central lui parvenaient comme le son d’un aspirateur à éclipses. C’est d’ailleurs en réalisant qu’il pensait à un aspirateur en lieu et place d’un ensemble de gorges humaines, qu’il se dit que ce fruit à peine plus gros qu’une baie, commençait à faire son effet. C’est-à-dire, et principalement, substituer un son à un autre et lui donner une image ou inversement. De loin comme de près il avait surtout l’air de piquer du nez et une maman accompagnée d’un enfant et d’une poussette mit un doigt sur sa bouche afin qu’on ne le réveillât point.
Il sentait progressivement son sang couler dans ses veines comme du sperme dans le canal inguinal. Son système sensitif éprouvait le débit affluer jusqu’à son cerveau en passant par la racine de ses cheveux et la plante de ses pieds. C’était comme une sorte de voyage interne qui débutait par des sensations épidermiques plutôt agréables.
Jim rouvrit les yeux et fut frappé par les couleurs rehaussées du jardin qu’il entourait. La netteté dominait. Son regard se fixa au-delà de l’allée jusqu’à ce qu’il finisse par remarquer une vieille balle de tennis abandonnée. Une très vieille balle, éventrée en son milieu, qui devait peut-être sa déportation à une lointaine reprise de volée ou encore à un puissant lob mal contrôlée qui l’avait fait s’échoir là.
Cette balle captait toute son attention. Elle était devenue le centre du décor. Il s’attarda d’abord sur la brèche qui l’ouvrait en deux. Il pensait à une faille rocheuse ouvrant sur un gouffre obscur. Cependant, progressivement, la balle pivotait. Sa faille était devenue longitudinale s’offrant maintenant à la vue comme une bouche ouverte.
Deux points apparurent en amont de cette paire de lèvres sur la surface croûteuse. Ils se dilatèrent jusqu’à devenir deux cercles sur lesquels brillaient des reflets. Il fixait la balle qui le fixait aussi, avec la même intensité. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme/Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? », Jim se souvint du poème écrit par Alphonse de Lamartine et sourit devant l’évidence qui s’imposait à lui.
Voilà ce qu’il voyait avec sa conscience perturbée par l’effet de la drogue. Lorsqu’il se décida à regarder alentour, n’eût-ce été on l’a dit les couleurs bien plus vives des éléments de garniture du jardin, rien d’autre, ni un arbre, ni une fleur ne révélait une transformation, si peu que ce fût, anthropomorphique. Tel un parasite, un esprit occupait la balle et en distordait la forme afin de se manifester. Ce qui déplut à Jim était que ce masque n’était pas particulièrement amical sans exprimer pour autant une intention hostile. Néanmoins il convint que le mieux était de la garder à distance.
Incapable de mesurer le temps qui passait, Jim fut néanmoins rappelé à la réalité par un signal vocal qui signifiait que quelque part de l’autre côté de la rue, deux joueurs étaient à égalité et qu’une balle de service venait d’être attribuée à l’un des deux.
Son regard revint à la sienne (de balle) et il constata que le phénomène s’estompait. Son corps commença à se détendre tandis qu’un filet de brise lui caressait normalement les joues sans effet exagéré. Jugeant son retour à l’ordre établi à peu près effectif, il s’étira, fit deux pas, saisit la vieille balle verdie par les saisons et la mit dans la poche.
Depuis, elle siège dans la corbeille à fruit installée au-dessus de son frigidaire parmi les oranges et les pommes. Inerte.
Poc-poc; poc-poc; poc-poc… Han! Woaoh. 15-30. Sympa les petits fruits que tu m’as donné Philippe, t’es sûr pas plus de trois?
Poc-poc; poc-poc; poc-poc… Han! Woaoh…
C’est bon, les fruits de saison…