On ne badine pas avec la mort, elle suscite avant tout le respect, assurent les professionnels du funéraire. Soit, mais pas chez Jean Teulé ! L’écrivain-journaliste fait son miel du trépas. Cet attrait pour la grande Faucheuse ne date pas d’hier. Il y eut d’abord « Le magasin des suicides » (2007), un roman porté à l’écran par Patrice Leconte, illustré en bande dessinée chez Delcourt. Puis ce fut « Je voudrais me suicider mais je n’ai pas le temps » coproduit avec Florence Cestac (2009).
Avec « Fleur de tonnerre », son dernier opus publié chez Julliard, l’écrivain passe de l’imaginaire au réel. Il narre à sa façon, l’histoire de la célèbre tueuse en série bretonne Hélène Jégado guillotinée à Rennes en 1852 pour s’être rendue coupable d’une bonne trentaine d’empoisonnements non prescrits. Un score que minimisent les moyens de preuve dont on disposait à l’époque…
Engagée comme cuisinière ou domestique dans des demeures bourgeoises ou des presbytères, cette Médée en tablier et coiffe empesée agrémentait d’arsenic soupes et gâteaux. Fine mouche, elle faisait moisson de chlorophylle (cerfeuil, oseille, cresson, persil, ciboulette…) ou d’angélique pour masquer la couleur verte que prend dit-on (je n’ai pas essayé) toute préparation arséniée. Plus cordon bleu qu’elle, tu meurs ! Elle fit mieux que La Voisin, elle dépassa la marquise de Brinvilliers qui, pour avoir empoisonné (à la tourte aux pigeonneaux, une variante), père, frères et sœur eut elle aussi la tête tranchée. L’aristocrate dut se reprendre à dix fois pour éliminer son paternel dont « elle ne pouvait venir à bout » écrivit à sa fille une autre marquise, épistolière de son état, en son manoir (gothique !) perché. Louait-elle alors l’incroyable acharnement de la parricide de son rang, ou bien en dénonçait-elle la maladresse prononcée ? Destinataire de la missive, la comtesse de Grignan aurait pu seule nous renseigner.
Mais revenons à Jean Teulé. Il fait de son héroïne une accro à la poudre toxique, une mystique en proie aux délires druidiques, une biberonnée aux légendes celtiques se ressourçant à l’énergie des menhirs, une fétichiste mortifère. C’est à sa collection d’objets variés qu’on mesurera l’étendue de son tableau de chasse.
Le récit est enlevé quoique dépourvu de surprise puisque l’arsénieuse en percale empesée élimine tous ceux qu’elle croise, quel que soit l’âge ou le lien de parenté. La scène du bordel militaire de Port-Louis est à ne pas manquer. La belle Armoricaine adjoint à sa rude mission d’empoisonneuse les voluptueux égards d’une péripatéticienne expérimentée. Elans d’initiés, ébats partagés : c’est sa façon à elle de d’administrer les seins sacrements à ses victimes. Tout le régiment y passe. Fleur de Tonnerre imprime à sa frénétique faux encapuchonnée un rythme qui s’accélère au fil de ses clients. Un joyeux refrain de Brel nous trotte dans la tête…
L’ouvrage est plaisant même s’il traîne en longueur jusqu’à la narration du procès, révélatrice des mœurs politiques, judiciaires et journalistiques de l’époque. Jean Teulé mixe, mélange étonnamment comestible, répliques argotiques et dialecte breton. Comme une fève malicieusement glissée dans une galette, il instille dans son texte de menus emprunts littéraires. « Les Fleurs du mal » flottent ainsi au-dessus de la marmite fumante : le romancier a pour « sa » Fleur devenue ridée le regard attendri de Baudelaire pour ses petites vieilles.
On le savait depuis « Le Montespan » et « Charly 9 », Jean Teulé a le révisionnisme jubilatoire. Son dernier ouvrage s’inscrit dans la démarche. Il n’en incite pas moins à se plonger dans la « vraie » vie d’Hélène Jégado. Il invite surtout à goûter sans risque cette fameuse « soupe aux herbes des bourgeois rennais » (allusion au dernier forfait floral) dont Simone Romand livre la recette dans sa « Gastronomie bretonne d’hier et d’aujourd’hui » publiée chez Jean-Paul Gisserot.
Hé bien voilà, il est déjà difficile de trouver une bonne cuisinière ; on croît enfin l’avoir, et nous voilà à manger les pissenlits par la racine. A propos de pissenlit (la transition est limite) , j’ai crû entendre dire que le pigeon gardé dans son sang était toxique . Certains moines en servaient aux condamnés à mort. Au matin on recueillait leurs urines qui donnaient une teinte jamais retrouvée aux vitraux.