Têtes Raides en bonne compagnie

Trente ans que les inoxydables Têtes Raides traînent leur poésie sur disque et sur scène. Etanche aux diversions sonores contemporaines, le groupe creuse son sillon sans dévier d’un pouce, la voix chaude et les textes de Christian Olivier portée par l’orchestre (d’accordéon en saxophone, de guitare en violoncelle). La troupe envahit aujourd’hui le Lavoir Moderne Parisien (1) pour la reprise du spectacle Corps de Mots créé en décembre dernier aux Bouffes du Nord.

Cette dernière prestation fraîchement inscrite sur dvd accompagne en parallèle en luxueux coffret une version studio de l’album. L’esprit des quelques présents concerts et des deux disques du coffret est le même (j’y viens), même si tous les titres ne sont pas communs (il ne s’agit pas seulement d’efforts marketing, le groupe déployant sur scène et en studio des atmosphères complémentaires). L’offre groupée, donc, constitue un hommage à une certaine idée de la poésie de notre beau pays, une poésie contestataire, rebelle, pas fleur bleue pour un sou, en un mot, politique. Un thème que les Têtes Raides enfilent comme une seconde peau, gardant le poing levé comme à la première heure.

Christian Olivier. Photo: Richard Dumas

Un cortège de poètes, donc, une cohorte de bons mots, avec des textes de Robert Desnos, Arthur Rimbaud ou Antonin Artaud. Et, Guillaume Apollinaire, tout de même, avec … Le Pont Mirabeau. On n’est pas là pour plaisanter, ou alors dans l’absurde dans cette usine à rêves ou à cauchemars, à votre bon cœur. « J’achète un fusil, tant pis / je tue un curieux, tant mieux / je vends mon fusil, merci » nous révèle ainsi Philippe Soupault, tandis qu’à l’autre bout du comptoir Jacques Prévert nous cause des méandres de l’amour chevauchant le Cheval rouge des « manèges du mensonge ». C’est désespéré mais pas désespérant, on imagine toujours le petit coin de ciel bleu après l’orage. « La joie venait toujours après la peine », n’est-ce pas ?

On croise même dans ce Corps de mots une reprise incongrue de Love me tender du King Elvis, un ovni qu’on jurera n’avoir pas entendu. « Et puis y’avait Ginette, qui valse en guinguette », Ginette, inusable hymne ultime des Têtes Raides, qui fait immanquablement mouche en clôture de chaque concert. Ginette, ici présentée dans une version studio très apaisée, aux côtés de quelques titres inédits.
Ces escapades en dehors de l’idée originale de textes chantés empruntés à une myriade de plumes classiques n’enlèvent rien à la cohérence du projet, elles permettent aux Têtes Raides de s’inscrire dans la tradition, de nous présenter avec sincérité une part de leur inspiration, sans concessions. Toute la nuit nous danserons avec Ginette.

Le programme ne précise pas si les Femen, ce groupe de féministes venues du froid mais au sang chaud qui ont fait du Lavoir Moderne Parisien leur « centre d’entraînement » local, ont prévu une démonstration de force lorsque résonneront les paroles un brin provocantes du Condamné à mort de Jean Genet.

 

(1) 35 rue Léon 75018 Paris

 

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