Le Québécois Robert Lepage abat son fabuleux jeu de cartes aux Ateliers Berthier de l’Odéon. Tandis que la salle historique du Théâtre national, dans le 6e, propose un bien dispensable Prix Martin d’Eugène Labiche, place Porte de Clichy à l’enchantement avec «Jeux de Cartes 1 : Pique». Un titre mystérieux qui annonce l’entame d’une tétralogie.
Bien heureux pourtant le spectateur qui y viendra à bout du problème de la quadrature du cercle. Il n’y a rien à résoudre ici, il suffit de se laisser emporter par le torrent visuel. Soit, donc, une scène ronde aux mille facettes, un espace qu’entourent les spectateurs et riche de mille trappes qui s’ouvrent et se ferment sans cesse pour créer le tourbillon.
Au centre des débats, Las Vegas, capitale mondiale de l’enfer du jeu. Autour des tables de jeu gravitent un jeune couple québécois uni par Elvis dans la Chapelle de l’Amour, des femmes de chambre latinos sans papier, petites mains attirées par les lumières de la ville, ou un producteur britannique d’émissions télévisées venu faire son marché. «J’ai commencé à croire à mes mensonges» lance ce dernier comme pour résumer les contradictions d’un univers singulier dans lequel il est venu se jeter, lui l’accro au jeu venant retrouver sa maîtresse française.
Il y a encore Dick, cowboy diabolique, ainsi que des GIs, Danois et Espagnol en l’occurrence, membres des forces de la coalition venus dans le désert voisin s’entraîner à envahir l’Irak (une lamentable croisade perdue d’avance nous rappelle la pièce, sans doute interdite de Maison blanche). Tous les comédiens (d’ailleurs coauteurs du texte avec le metteur en scène) sont impeccables de sobriété, au service de la machination.
Peut-être cela me semble évident parce que j’ai découvert les deux artistes dans ce même lieu modulable des Ateliers Berthier, mais il y a fraternité entre Robert Lepage et Joël Pommerat, artiste associé jusqu’à cette saison à l’Odéon. Une grande beauté formelle unit les spectacles de deux artistes, qui nous entraînent dans un monde parallèle. Le « théâtre à l’italienne », frontal quelque soit le plan de la salle, paraît si vieux jeu en leur compagnie. Certes, n’est pas Théâtre national qui veut pour avoir la prétention et les moyens de monter une telle folie, un tel ballet réglé au millimètre et à la milliseconde.
Sur scène, l’ensorceleur croupier Robert Lepage vient de distribuer les cartes mais a conservé tous les as, le spectateur est perdu d’avance. Vivement la suite. Cœur, Carreau, Trèfle.