Cette télé a dû connaître Catherine Langeais, cette femme qui personnifia à l’écran les débuts de la télévision française. A coup sûr, lorsque l’on tombe sur un objet de ce genre abandonné sur un trottoir, c’est que quelqu’un a vidé l’appartement ou la cave d’un papi ou d’une mamie ayant définitivement quitté son appartement. Bien souvent c’est assez crasseux, car cela vient de la cave justement et on y voit en plus quelques vieux outils, tubes de cirage ou vieux journaux.
Mais ce meuble de télévision avait encore une certaine gueule et son écran arborait comme des couleurs de lagon dans un au-delà cathodique ou d’oeil de chat crevé comme l’on voudra. Un inconnu avait en outre abandonné sur un étage intermédiaire une bouteille de vodka. Une benne municipale emporterait bientôt l’ensemble avec les détritus qui gisaient autour, soit un peu de paille et quelques bouteilles vides aux étiquettes fameuses. Tous ces lambeaux irrécupérables étaient destinés à l’incinérateur, au broyeur ou au recycleur. Une histoire s’était arrêtée.
D’autres fois il y a des choses que l’on ne peut s’empêcher de sauver. Il en est ainsi de cette photo noir et blanc aux bords dentelés. On y voit une petite fille brune accroupie dans la mer et fixant l’objectif. Nulle légende ne précise qui elle était. Son propriétaire la gardait comme un souvenir. C’était peut-être la petite fille en question, l’un de ses proches ou un parent de Catherine Langeais.
C’est triste de se dire en tout cas que ce petit bout de joie saisi durant les vacances va lui aussi partir aux ordures.
Alors on l’a glissé dans un dictionnaire qui se trouvait dans le tas. Un petit Larousse dont une mention au crayon sur une page intérieure précise qu’il a été acheté en 1930. Son état est presque impeccable. Il servait peut-être à faire des mots croisés. Il contient du vocabulaire que l’on ne trouve plus dans les dictionnaires les plus récents. C’est important un dictionnaire et plus encore un vieux dico puisque cela explique tout et notamment des choses qui n’ont plus cours.
L’idée qu’un chien pourrait pisser sur cette photo ou sur ce dictionnaire, que la pluie pourrait les transformer en déchets minables et spongieux a quelque chose de triste. La procédure d’interpellation peut se mettre en branle.
Les voilà donc qui font signe au passant qui n’y voit pas une tranche d’immondice mais une aubaine. Ils sont désormais protégés pour encore un moment. Quelque part quelqu’un nous en saura gré.
Délicieusement mélancolique!