Passer la seconde moitié de sa vie d’adulte séquestrée chez les fous quand on fut capable d’arracher à la glaise des œuvres magistrales aussi poignantes ou émouvantes que Clotho, La Valse ou La Petite Châtelaine suscite bien des interrogations. Si ce n’est l’indignation… Le film « Camille Claudel 1915 » s’intéresse à la face cachée (dans tous les sens du terme) de la célèbre statuaire. Une femme forte et fragile à la fois comme il en fallut à la fin du siècle dernier pour se faire un nom dans un métier d’hommes, à l’instar d’une Berthe Morisot ou d’une George Sand.
Le réalisateur Bruno Dumont s’est concentré sur l’internement de Camille à Montfavet pour délire de persécution suite à sa rupture avec Rodin. Trente années de séquestration résumées à trois jours o combien édifiants. Son film fait chronologiquement suite à celui de Bruno Nuytten qui mettait en scène l’ascension flamboyante du personnage, incarné par Isabelle Adjani, jusqu’à son autodestruction. Autant le film de Nuytten portait un coup de projecteur sur le génie tempétueux et passionné de l’artiste, autant le film de Dumont emprunte à dessein la palette hivernale des camaïeux d’ocre, de verts et de gris bleus. C’est un film d’esthète sur un mortel huis clos tandis que gronde au loin la « grande » guerre.
C’est aussi une plongée quasi documentaire dans un nid de coucou. Pour interpréter Camille Claudel, Juliette Binoche s’est dit-on immergée en hôpital psychiatrique. La caméra filme ses rapports avec ses compagnes de claquemure – des aliénées qui, elles, ne jouent pas. Elle nous inflige ainsi un voyeurisme à la limite du supportable. Surtout lorsqu’elle s’attarde en gros plan sur des faces édentées qui ne doivent pas au maquillage leur apparence de Quasimodo. C’est ce qui gêne dans ce réalisme cru et poignant : l’histoire vécue date d’un siècle mais les acteurs sont contemporains.
Dans ce film où il ne se passe rien, Camille Claudel ne fait rien qu’attendre. On la voit assise bien droite contre un mur que le soleil d’hiver tente de réchauffer dans cette posture d’expectative immortalisée par une photo d’elle en noir et blanc. Juliette Binoche offre un visage à livre ouvert. On suit sur ses traits les tourments de Camille, on lit sur ses lèvres le bégaiement de ses démons intérieurs, on voit dans ses yeux jaillir le chagrin ou pétiller l’étincelle d’espérance en des miettes de jours meilleurs.
Le regard de Camille-Juliette s’attarde sur la lumière qui filtre à travers les branches d’un arbre dénudé qui longe un mur d’une hauteur aisément franchissable… Comme une invitation à s’évader de cet univers dérangeant. Invitation qu’elle ne suivra pas puisqu’elle lui appartient déjà peu ou prou. Bruno Dumont use de plans longs pour souligner les lignes de fuites : la voiture de Paul Claudel qui disparaît au détour d’un chemin en lacet, l’ascension des pensionnaires dans la garrigue, les pas précipités de Camille qui regagne sa chambre-tanière après une sortie collective.
A travers ces trois jours dans la vie d’une femme séquestrée, on frémit à l’idée de ce que furent trois décennies de claquemurée au milieu de plus dérangées que soi. Un voisinage à se consumer à petit feu. En restituant au destin de la sculptrice sa part escamotée, “Camille Claudel 1915“ concentre dans le temps la diversité de son talent et la richesse de ses œuvres. Il en fait une étoile filante.
Le film de Bruno Dumont s’intéresse aussi aux rapports entre la sculptrice et son jeune frère écrivain-ambassadeur, à partir de la correspondance échangée. Paul Claudel (Jean-Luc Vincent) n’y figure pas à son avantage tout empesé qu’il est de sa conception judéo-chrétienne du péché. Et tout résigné qu’il se satisfasse de voir dans la folie de sa sœur la rançon de son génie. Fraternelle jalousie ? Quoi qu’il en soit, « petit Paul » a dans ce film les yeux aussi secs que ceux de Camille sont humides.
Les biographes de la recluse révèlent qu’il s’abstiendra de lui rendre visite à l’asile pendant sept longues années. Et qu’il restera jusqu’au bout sourd à sa prière. L’implorante n’aspirait pourtant qu’à quitter les lieux pour se rapprocher des siens – qui plus est avec l’aval du corps médical…
« Est- ce que le but de la vie est de vivre ? » (l’annonce fait à Marie) ou « Qu’importe la douleur d’aujourd’hui puisqu’elle est le commencement d’autre chose ! », quelques citations ou extrait de Paul Claudel? Sûr que ce n’était pas un marrant, sûr aussi qu’avec de telle pensée, la pauvre Camille ne pouvait pas attendre grandchose de bonhomme…
… De la charité, tout simplement ! L’une des trois vertus théologales si je ne m’abuse…
La visiter dans son asile moins de fois que les doigts d’une seule main et la laisser inhumer en fosse commune, je ne m’y résoudrai jamais. Surtout à la lecture des extraits que produits Bruno !
C’est toujours l’éternelle question sur l’homme capable de danser avec la beauté du monde mais qui déshabillé de son costume d’artiste peut être bien triste… Aragon (qui est pour moi euh, et plus encore) Picasso, Celine… et justement Claudel, le soulier de Satin , eh ben oui, eh ben oui, eh ben non, cette pièce très légèrement longue (11heures) est passionnante, même vue à l’Odéon (quelle horreur ce théâtre !, là normalement je déclenche la charge de Byam …
Ca me fait penser, quelqu’un a vu le film avec Jean Rochefort, « l’Artiste et son modèle » ?
Guillemette de Fos l’a vu justement et c’est à venir dans Les Soirées! PHB
ye sui dakor avec twa