Dans son autobiographie, le photographe Man Ray raconte sa rencontre avec la marquise Luisa Casati. Elle voulait qu’il fasse son portrait. Il s’était donc déplacé avec ses lampes dans l’appartement qu’occupait place Vendôme Luisa Amann, épouse du marquis Casati Stampa di Soncino. Mais au moment d’allumer les lampes, le compteur disjoncta, car l’époque était reculée. Il lui expliqua alors qu’elle ne devait pas bouger, ce que cette femme instable était incapable de faire. Il en résulta un portrait célèbre avec trois paires d’yeux.
L’épopée de cette dame extravagante, fantasque, vient de sortir chez Dargaud. La couverture cramoisie résume bien le personnage : une folle chevelure rousse et des yeux outrageusement cerné par le khôl. Luisa Amann était née richissime, elle voulait personnifier un objectif artistique.
Si cette bande dessinée manque peut-être un peu de substance en raison du manque de traces historiques concrètes, elle dresse néanmoins en fresque, les multiples facettes de ce personnage hors du commun que l’on voit par exemple se promener presque nue dans Venise avec son félin en laisse.
Vanna Vinci raconte l’itinéraire dément de la marquise, entre ses multiples palais et villas, de Venise (Palazzo Venier dei Leoni) au Vésinet (le Palais Rose) en passant par Capri et le Ritz où circulait son python. Sexe, champagne, décadence, accoutrements munificents, la Casati ne pouvait qu’attirer, avec sa beauté exubérante, l’attention des artistes comme Kees Van Dongen ou Romaine Brooks, « peintre lesbienne, grande amie d’Annunzio et ancienne compagne d’Ida Rubinstein, habituée de Capri ». Elle aurait été la femme la plus représentée dans l’art.
Née riche en 1881, elle dilapida dès son indépendance sa fortune en frasques diverses. Cette sorte de suicide par apothéoses cumulées la conduisit logiquement à la ruine en 1932, époque à laquelle elle vit tous ses biens dispersés. Elle vécut ensuite, jusqu’à sa mort en 1957, dans une certaine pauvreté.
C’est d’ailleurs ainsi que démarre cette BD sulfureuse. Deux personnages la croisent dans les années cinquante, à Londres. Ils la prennent pour un fantôme avant de la reconnaître. Et son histoire peut alors commencer avec sa naissance à deux pas de la Scala, à Milan.
« La seule œuvre d’art c’est moi, annonce-t-elle un jour au peintre Boldoni, et je veux que mon nom soit sur toutes les lèvres ». Pour ce faire il fallait apparemment se ruiner et mourir. Comme le souligne Camille de Peretti dans la préface de l’album (auteur de la Casati, éditions Stock, 2011) la BD de Vanna Vinci serait le 123e portrait du personnage. Elle est sous-titrée « La muse égoïste » ce qui n’est sans doute pas strictement exact dans la mesure où beaucoup ont profité de ses dépenses phénoménales.
Toute histoire a besoin d’une ascension et d’une chute. Avec la Casati les repères étaient faciles à trouver.
PHB
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