A Aix-en-Provence, Apollinaire retrouve la Méditerranée

Par quelles influences n’a-t-il pas été marqué ? Né le 25  août 1880 à Rome d’une jeune femme d’origine russo polonaise, à la forte personnalité et aux mœurs libres, et d’un père dont la véritable identité reste à découvrir, Guglielmo Alberto Wladimiro Apollinare de Kostrowitzky, qui, sous le nom de Guillaume Apollinaire, deviendra l’un des plus grands poètes français, a connu dès sa prime enfance  une vie d’errance… … l’Italie (Rome et Bologne), la Côte d’Azur (études primaires au collège Saint-Charles de Monaco, études secondaires à Cannes et à Nice), les Ardennes belges (trois mois de villégiature à Stavelot, à l’âge de 19 ans), Paris (il a 20 ans), l’Allemagne  (à 22 ans, il devient précepteur d’une petite aristocrate de 8 ans et tombe amoureux de la gouvernante anglaise de la fillette), à nouveau Paris. Les voyages ont été fréquents, les rencontres innombrables.  Il parle français, italien, un peu l’allemand, sans doute le russe. Apollinaire, pratiquement apatride, ne sera naturalisé français qu’en 1916, en même temps qu’il s’engagera sous les drapeaux.

Marchand d’orange en Algérie. Aquarelle d’Apollinaire , 1916. Photo: Gérard Goutierre

Si des études assez poussées ont été publiées sur ses différents séjours en Allemagne ou en Belgique, on peut être étonné de constater que les mêmes recherches n’aient pas véritablement été faites sur l’importance de la culture méditerranéenne dans son œuvre. Or, les influences sont patentes : n’a-t-il pas passé plus de la moitié de sa courte vie au soleil de cette Méditerranée, qu’il évoque assez souvent dans ses écrits, prose ou poésie ?

Fidèle en amitié, Il gardera toute sa vie des relations avec ses amis d’enfance : par ricochet, certains deviendront eux-mêmes célèbres. Dans l’abondante littérature consacrée à l’œuvre d’Apollinaire, trois ou quatre ouvrages seulement sont uniquement axés sur ce thème. Ils sont signés J.J. Pauvert, J.J. Varagnat  ou Axel Benvenuto.

L’exposition qui se tient actuellement à la cité du livre d’Aix-en-Provence comble en partie cette lacune. Elle intervient en tout cas à l’occasion du centième anniversaire de la publication d’Alcools,  et dans le cadre de « MP 13″, comprenez « Marseille Provence capitale européenne de la culture 2013 » (1).

Poème et dessin de jeunesse . Apollinaire a 14 ans ( 1894). Photo: Gérard Goutierre

L’initiative due à Claude Debon, dont les connaissance apollinariennes sont de notoriété publique, a le grand mérite de permettre à tous ceux qui s’intéressent au poète de découvrir de visu des documents parfois rarissimes. Pour cela, Claude Debon a obtenu des prêts exceptionnels des grandes institutions « gardiennes du temple », comme la Bibliothèque Nationale, la Bibliothèque historique de la ville de Paris et le fonds Jacques Doucet.

Présentées dans une douzaine de vitrines, ces documents  – écrits, photos, imprimés, dessins, publications diverses –  respectent l’ordre chronologique et l’on peut ainsi suivre les événements qui ont marqué la vie du poète, avec bien évidemment des vitrines exclusivement consacrées à ses amours qui furent aussi ses muses : la comtesse Louise de Coligny-Châtillon, la fameuse Lou, qu’il rencontra à Nice et aima à Nîmes, et Madeleine, la « petite fiancée d’Oran », pour laquelle il fit le déplacement en Algérie.

Parmi les raretés : le début du manuscrit de Zone (orthographié incongrûment « Zône » ) et aussi une curiosité : le… traité d’hippologie qu’il étudia très consciencieusement lors de son engagement pour ce qui allait devenir la « Grande Guerre ». De son écriture si caractéristique, le bon Guillaume recopia les instructions. Voici ce texte   (début 1915) :

« Avant le travail: 1) Brosser avec brosse chiendent/2) Nettoyer sabots 3) Curer les pieds. Vérifier état ferrure 4) Passer brosse humide sur le crin »

Nul doute que le cheval attribué au soldat Guillaume Apollinaire n’ait bénéficié de ces bons soins. Tous les apollinariens savent que le poète avait surnommé ce cheval « Loulou ».  Dans le poème envoyé à Lou le 10 avril 1915,  Guillaume écrit :

« Car c’est Loulou, mon Lou, que mon cheval se nomme/Un alezan brûlé./Couleur de tes cheveux, cul rond comme une pomme/ Il est là tout sellé. »

Aix-en-Provence,  Cité du Livre,  Fondation Saint John Perse, jusqu’au 23 mars.       Du mardi au samedi de 14 h à 18 h.

Tél. 04.42.91.98.85

(1) Sans que cela donne lieu à des subventions nous précise-t-on.

 

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5 réponses à A Aix-en-Provence, Apollinaire retrouve la Méditerranée

  1. Catherine Frémiot dit :

    Amusants les commentaires hippologiques! Et le début du manuscrit de Zone! tout cela doit valoir le coup d’oeil!
    Merci à Monsieur Goutierre pour ces infos… et l’aquarelle d’Apollinaire (je ne savais pas que ce poète s’était aussi illustré dans les arts plastiques! En a-t-il fait beaucoup?)

  2. de FOS dit :

    On aimerait voir un agrandissement du poème dessiné que Apollinaire réalisa à l’âge de 14 ans et qu’il signe encore de son « vrai » patronyme. Est-ce possible ?

    • Gérard H. Goutierre dit :

      En collaboration avec le spécialiste anglais d’Apollinaire Peter Read, Claude Debon, la commissaire de l’exposition, a publié un important ouvrage, abondamment illustré, sur Les dessins d’Apollinaire » (éditions Buchet Chastel). On y retrouve cette page sur Noël que le jeune Wilhelm de Kostrowitzky a dessinée avec beaucoup d’application et qui est reproduite ici.

  3. Bruno Sillard dit :

    Salut Apo, on ne s’était pas croisé dans un train pour Nice. Quand était-ce? Avant guerre, sûrement. Qu’est-ce que tu as été faire le con là-bas? N’avions nous pas parlé de Cendrars. Mais non, je suis bête, t’étais mort, moi aussi d’ailleurs. En tout cas sympa cette visite, merci Gérard, merci Philippe qui m’avait présenté Guillaume.

  4. Superbe et émouvante cette exposition en 11 vitrines qui nous entraîne des bancs du collège Saint-Charles à Monaco jusqu’au pays d’Aix cher au « poète assassiné ». Promenade que nous avons pu apprécier dans ses moindres subtilités grâce à la patiente érudition de Claude Debon, toujours affable et émouvante dans son inépuisable connaissance de notre « guetteur mélancolique ». Merci aussi à Gérard Goutierre pour ce bel article. Nous avons particulièrement apprécié le manuscrit de « Zône », les aquarelles du « mal aimé » et ses dessins de jeunesse, dont certains sont encore inédits… A visiter de toute urgence!

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