J’entre ici avec dévotion comme en pèlerinage, dans les pas de ces fidèles du pardon de Sainte-Anne-la-Palud ou de la Troménie de Locronan si souvent croqués par Mathurin Méheut. La rétrospective consacrée à Paris jusqu’au 30 juin à cet artiste n’ignore certes pas le sujet religieux, ce serait péché. Mais ici, au Musée national de la Marine, on ne plaisante pas avec l’eau salée, l’océan est roi.
Je ferai donc pour l’essentiel procession rabot de charpentier de marine en main, col de vareuse relevé, les yeux écarquillés devant le ballet de la faune marine (oh, ces cartons pour les vitraux du restaurant lillois «A l’huitrière» !), aux côtés de marins-pêcheurs, de goémoniers (cette fumée devant Notre Dame de la joie à Penmarch !) ou même de «femmes bernard-l’ermite». Ces dernières, sur deux imposants panneaux composés pour des clients particuliers, sont une curiosité. Art déco en diable, elles dévoilent des rehauts d’or. Ces éclats sont les seuls signes ostentatoires de richesse de l’exposition, qui est à l’image d’un artiste singulier, elle est aussi vaste et sobre que le peintre était prolifique et discret. Le parcours est un respectueux panorama de l’œuvre du « plus populaire des artistes bretons du XXe siècle » aux yeux du commissaire de l’exposition Denis-Michel Boëll, par ailleurs directeur-adjoint du Musée de la Marine, qui accorde ce qualificatif flatteur à celui qui fut le généreux «peintre des gens de mer».
Chaque pièce respire en effet la sincérité d’un Peintre officiel de la Marine (1921) à l’impressionnante palette de talents, tous représentés ici : dessinateur, illustrateur, décorateur, sculpteur et graveur. L’exposition rend particulièrement hommage à la volonté de témoignage par cet artiste né à Lamballe en 1882 (et décédé à Paris en 1958) d’un monde qu’il sait devoir disparaître. A la Libération, le livre « Les vieux métiers bretons » écrit par Florian Le Roy lui offrira la possibilité de rassembler ces souvenirs. Nombre de sujets représentés par Mathurin Méheut restent pourtant intemporels ou font désormais partie du «folklore».
Quand Mathurin Méheut n’immortalise pas sur le vif à coups de crayons, il travaille pour les faïenceries quimpéroises Henriot (ah, le « Service de la Mer », on n’y laissera pas traîner la moindre arête !) ou pour la Manufacture de Sèvres, il dessine un formidable bestiaire marin pour l’ouvrage « Regarde … », sur des textes de Colette. Ce livre pour enfants, petits et grands, est imprimé à 750 exemplaires en 1929. Un Graal aujourd’hui pour les collectionneurs avertis. Mathurin Méheut conçoit encore un service de vaisselle pour le restaurant parisien Prunier. Avis d’ailleurs aux moins démunis, ce dernier sert sur la période de la présente exposition un alléchant « Menu Mathurin Méheut ». L’artiste en aurait sans doute esquissé avec gourmandise la laitue de mer ou le Saint-Pierre.
Mais l’une des activités les plus rémunératrices pour le peintre restera comme le souligne le commissaire le travail réalisé pour les compagnies maritimes. Mathurin Méheut décore les intérieurs de navires de la SFTP (Société française des transports pétroliers), comme le Sologne avec une « Chasse à courre » ou l’Anjou avec les « Vendanges ». Il agrémente également, de fresques en illustrations de menus, le voyage des passagers de paquebots, comme le Normandie avec des scènes de forêt en hiver. Si le peintre consent ainsi à représenter à l’occasion des sujets de l’intérieur des terres, c’est tout de même pour les faire voyager sur toutes les mers du monde.
Mathurin Méheut a d’ailleurs lui-même embarqué, permettant aujourd’hui à l’exposition d’aborder d’autres rivages. Comme ceux du Japon, où le peintre part en 1914 grâce au mécène Albert Kahn. Un voyage écourté par le bruit des canons de la Première guerre mondiale. Il rapportera du front, où il est notamment affecté au service topographique, des croquis bouleversants (comme « L’exécution capitale »). Les tranchées et les poilus, mais aussi la forêt et la faune, ici encore (Mais que fait donc cette belle sauterelle dans la tranchée ?! Elle adoucit sans doute l’angoisse de ce guetteur en uniforme bleu-horizon, au second plan). L’exposition revient également sur le voyage de 1930 aux Etats-Unis, à Pittsburgh, où Mathurin Méheut travaille à la décoration du siège du géant du ketchup Heinz.
On regrettera a priori le manque (ou peu s’en faut) de support audiovisuels, photographies ou films par exemple relatant l’univers ou la vie de Mathurin Méheut. Mais cette absence en réalité préserve le mystère sur le bonhomme et permet au visiteur de rester concentré sur ce que l’artiste nous a légué en héritage commun. Bien sûr figurent des lettres envoyées à Yvonne-Jean Haffen, la fidèle élève, collaboratrice et amie intime. La maison-musée de la Grande Vigne de cette dernière à Dinan conserve quelque 1.400 pièces de cette intense correspondance richement illustrée. Précieuses reliques. Manque également à l’appel, quel dommage, un catalogue d’exposition digne de ce nom, victime d’arbitrages budgétaires. Le texte est prêt en tout cas, Denis-Michel Boëll y a travaillé « depuis des années pendant toutes (ses) vacances ».
La visite est terminée, déjà. Dehors, la Tour Eiffel se prend pour un phare, mais son feu ne guide aucun navire. En clair, voilà pour votre agenda une note incontournable, «MMMM», car Mathurin Méheut est au Musée de la Marine.
Bel article, dont l’écriture sensible rend hommage à ce Monsieur Méheut que l’on a du coup très envie de découvrir. Merci. PHB
Ping : Un cinéma monstrueusement généreux | Les Soirées de Paris
Grâce à votre article si sensible, j’ai eu le goût de découvrir cette expo…. et je ne le regrette pas !
Mathurin est un sacré bonhomme ; j’ai particulièrement apprécié ses dessins et aquarelles du front, notamment « l’exécution capitale ».
Je rêve depuis de déguster un poisson des îles dans une assiette « langouste » !!
Dommage qu’il n’y ait pas de catalogue de l’expo….
Merci Mr B
Bonne nouvelle, l’exposition est prolongée jusqu’au 1er septembre … Bon voyage