Même dans ce curieux portrait d’Apollinaire « au bonnet égyptien », sans chercher bien longtemps, il y a une trace d’autoportrait. La grande exposition que consacre à Marie Laurencin le musée Marmottan, rassemble pas moins de quatre vingt dix œuvres dont quelques autoportraits officiels et beaucoup, beaucoup, d’autoportraits sous forme d’actes manqués. Une démultiplication des plus fascinantes.
Dans les dessins colorés de Christian Dior on retrouvait ce « soi » inconscient. A bien étudier le visage d’un de ses modèles dessinés, on pouvait retrouver sans peine le visage du couturier. Comment ne pas être frappé par le même phénomène chez Marie Laurencin qui a surtout peint des femmes. Souvent elle idéalise son propre visage à travers des personnages imaginaires ou réels. Elle s’attribue alors une grâce dont elle rêvait peut-être. Parfois, mais c’est rare, il s’agit bien d’elle-même et l’on y voit bien qu’elle n’a pas cherché à tricher.
Nous sommes donc en face d’une galerie probablement non préméditée d’autoportraits. Y compris dans sa célèbre toile (présente à l’exposition), « Apollinaire et ses amis » où elle figure au piano, l’hallucination persiste. Guillaume Apollinaire, l’homme qu’elle aimera toujours malgré une relation tourmentée, est officiellement entouré de ses proches (1). Si l’on se concentre un peu sur chaque faciès, on a finalement l’impression qu’il n’est pratiquement entouré que d’elle. Que lui-même est un peu elle. La peinture de Marie Laurencin est un aveu désarmant.
Même lorsqu’une de ses peintures est censée brocarder Fernande Olivier, figure montmartroise qui n’avait pas des propos particulièrement amènes à son égard, il y a cette constante qui vient et revient comme un ressac. Comme si l’autre, quoiqu’il arrivât, ne fût qu’un miroir. Ce qui n’est d’ailleurs pas complètement faux en général, mais avec Marie Laurencin, la démonstration est flagrante.
On pourrait taxer cette femme d’égocentrique, le raccourci serait trompeur. Si elle parle d’elle, ce n’est pas forcément en bien et notamment dans ses lettres à Nicole Groult (2), elle se présente régulièrement comme une chialeuse à la déprime facile. Cette lucidité sur elle-même, le fait qu’elle ne croit pas vraiment à son génie contrairement à nombre de ses pairs, amène à poser sur ses œuvres et sur son personnage une certaine indulgence, jusqu’à déclencher une certaine sympathie.
Marie Laurencin à travers sa production picturale, c’est, s’il fallait un résumé, « Marie pleine de grâce ». Ses peintures sont délicates, riches de douceur. La palette de couleurs qu’elle utilise concourt à créer un univers tout en caresses pour le regard. Ses mondes sont irréels, tels des songes qui l’éloigneraient efficacement des dures réalités comme la guerre, l’exil, la solitude, les dépits amoureux.
Pour apprécier cette exposition, il est donc bien utile de connaître un peu le personnage. Elle pouvait se faire « rosser » par Apollinaire pour un risotto mal fait, se faire égratigner par Picasso, subir les vacheries de Fernande Olivier (qu’elle soutiendra néanmoins quand elle sera dans la dèche), mais elle savait parfaitement se montrer peste à l’égard de ceux qui la bousculaient.
Depuis plus de trente ans, il existe près de Tokyo un musée Marie Laurencin. La majeure partie des œuvres exposées à Marmottan en provient. La cote de l’artiste a toujours été plus élevée à l’étranger qu’en France où sa peinture est facilement qualifiée de mièvre. Cela est sans doute dû à un style dont elle s’est rarement départie, fuyant le cubisme ou l’abstraction qu’adoptaient la plupart des artistes qu’elle fréquentait. Toute sa personnalité réside dans ses choix propres. Et c’est ainsi, dans cette ténacité, qu’elle est au bout du compte convaincante.
(1) Gertrude Stein, Fernande Olivier, Apollinaire, Picasso, Marguerite Gillot, Maurice Cremnitz, et Marie Laurencin.
(2) Marie Laurencin par Flora Groult chez Mercure de France (1987).
Vision intéressante sur l ‘oeuvre de Marie Laurecin Il serait intéressant de comparer avec l œuvre d Irène Lagut même époque même entourage artistique deux admiratrices d ‘ Apollinaire l une plus proche de Serge Ferat
Madelir
Merci pour votre commentaire chère amie lectrice et auteur de « Apollinaire illustré ». PHB
Philippe, tu m’avais prédit passer un beau momement, tu ne t’es pas trompé.
La grâce, la féminité et la sensualité de ces blondes geischas (de par leurs yeux bridés) enchantent le regard, même si à la lumière de ton fil conducteur (tout est autoportrait) la similitude des oeuvres cède un peu à la lassitude.
Une interrogation : pourquoi l’artiste dessine-t-elle des visages allongés à la Modigliani et des mains aux doigts interminables alors que les jambes de ses danseuses sont lourdes ? Quoi qu’admirablement stylisées sous forme de ciseaux.
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