Il faut quand même un sacré cran de nos jours pour lancer un journal quand tout le monde vous balance à la figure que le papier est mort. Du cran, du culot et même une foi à toute épreuve pour publier un trimestriel dont le fondement éditorial est la culture générale et sa mémorisation. Assez justement baptisé « L’éléphant », ce nouveau titre est sorti en janvier. Les premiers résultats sont prometteurs. Reste à réussir le numéro deux, une épreuve toujours délicate.
Guénaëlle Le Solleu et Jean-Paul Arif ne s’y sont pas pris comme tout le monde. Le fait de solliciter un laboratoire d’étude des mécanismes cognitifs (université de Lyon II), afin de faire en sorte que les futurs lecteurs de L’éléphant mémorisent ce qu’ils auront lu, relève d’une démarche jusqu’à plus ample informé, inédite. En matière de presse l’on peut solliciter des spécialistes de marketing, études de marché, des professionnels de la conception artistique, la chose est courante, surtout lorsque l’on n’a pas d’imagination éditoriale mais seulement le désir d’éditer.
Les deux géniteurs de L’éléphant ont voulu dès le départ intégrer une sorte de devoir de mémoire avec l’idée que si l’on oublie ce l’on vient d’apprendre il y a une certaine vanité à vouloir se cultiver. D’où un système perceptible dans ce numéro un, basé sur la répétition et le renchérissement thématique, auxquels sont adjoints des jeux sous forme de questions/réponses permettant de se visser dans le crâne quelques points de repère à partir desquels on peut récupérer tout un sujet. Ce côté « interro » est évidemment facultatif encore que sur un trimestre et pour 15 euros il peut y avoir une volonté d’amortissement conduisant à explorer les moindres recoins de l’offre éléphantesque.
Et l’ensemble se laisse lire sans déplaisir n’en déplaise aux boudeurs à qui on ne la fait pas en matière de culture. Se faire une énième interview de Jacques Attali peut provoquer quelques soupirs a priori mais enfin qui savait vraiment que Diderot ne terminait jamais ses correspondances par la même formule de politesse et alors que chacun succombe de mails signés d’un certain « cordialement »? Tout le monde le savait, bien sûr, avec Attali, sauf vous.
Comme la télé, la presse « mag » a souvent une vocation digestive ou facilite l’attente chez le coiffeur. L’éléphant au contraire nous renseigne et nous apprend au hasard que la « théorie du big bang est compatible avec le récit biblique ». C’est tout de même autre chose que les potins que l’on ne méprisera pas pour autant, puisqu’ils nous donnent une meilleure idée de la distance qui sépare justement la grossesse de telle micro-star avec la pensée de Socrate.
L’écueil de la « culture générale », baseline, propos ou substrat de ce trimestriel, est la largeur de son spectre à 360°. Le risque de fourre-tout est patent. L’avantage est l’étendue possible des surprises. Proust, Vercingétorix et l’histoire des marais salants de Guérande se succèdent finalement dans un éclectisme plaisant que l’on ne trouve pas, par définition, dans les publications spécialisées.
Guénaëlle le Solleu et Jean-Paul Arif revendiquent ce positionnement difficile qu’il faudra éprouver sur la distance si Dieu, le réseau des libraires et des marchands de journaux leur prêtent vie. Ils invitent leurs lecteurs traqués par l’immédiateté des communications modernes à « reprendre le contrôle de leur temps » principe qui ouvre des perspectives de dialogue intéressantes avec les solliciteurs pressés de la vie professionnelle et privée. Prochain opus fin avril.
PS : Sur ce vaste sujet de la mémoire, on pourra grâce aux Soirées de Paris revisiter cette troublante exposition sur la paramnésie que le Frac Ile de France avait organisée en févier 2011.
J’ai découvert ce nouveau « mag » au hasard d’une balade dans les rues de Paimpol, le week-end dernier. Ce magazine d’un nouveau genre est sans aucun doute celui d’un genre à venir qui s’installe : le sens des mots et l’apprentissage littéraire. J’en suis déjà fan.
Tout ce qui relève le niveau mérite un coup de chapeau