Rendre hommage et faire rendre gorge… Alix de Saint-André fait coup double dans son dernier livre publié chez Gallimard l’année du dixième anniversaire de la disparition de Françoise Giroud. Entrée dans l’intimité de cette femme d’action et d’exception, elle en révèle certains traits méconnus tout en corrigeant les erreurs de ses biographes. Il n’est jamais très simple d’intervenir en dernière position quand on connaît si bien le sujet… Sauf à s’employer à démolir ce qui précède.
« L’enquête », annonce le bandeau du livre. L’ouvrage en a l’aridité. L’auteur s’est fait davantage justicier que romancière. Pour débusquer l’émissaire des fameuses lettres anonymes reprochées à Françoise Giroud, pour livrer la clé de sa judéité mal assumée, Alix de Saint-André s’est muée en Sherlock. Aidée de la fille de Françoise, la psychanalyste Caroline Eliacheff-Watson, elle s’est livrée à un fastidieux jeu de piste. Elle a épluché les carnets de la défunte déposés à l’IMEC (Institut des mémoires de l’édition contemporaine), multiplié les démarches auprès des conservateurs (de patrimoine et de cimetières), contacté mairies et diocèses pour dénicher ici un certificat de baptême, là un acte de décès d’une famille.
Pour traquer les faits, rien que les faits. Ce ne fut pas chose facile : les membres de la famille Gourdji (dont Giroud est l’anagramme) changent de nom et de religion comme on change de chemise. Et pour couronner le tout, Françoise Giroud, davantage passionnée par le futur que tournée vers le passé, était incapable de mémoriser les dates concernant sa famille. Amnésique au point de se méprendre sur celle de la disparition tragique de son fils Alain.
Devenue proche du clan Giroud-Eliacheff, Alix de Saint-André condense dans son livre les conversations qu’elle eut avec Françoise, avec Caroline et avec les quatre garçons de celle-ci. Dégât collatéral, elle déboulonne la statue de JJSS dont le vocabulaire, aux dires de Françoise, se serait limité à 200 mots de français. Comme quoi un cancre littéraire peut faire un talentueux homme de presse !
Pour rendre la parole à Françoise Giroud dix ans après sa mort, but de l’ouvrage, Alix de Saint-André fait montre du même acharnement que celui qu’elle mit à entreprendre trois pèlerinages à Compostelle (son livre « En avant route ! »). A la lecture de son dernier opus, on peut ressentir une gêne. Comme si Alix de Saint-André avait cherché à afficher son intimité avec feue Françoise et sa descendance, allant jusqu’à admettre « J’allais finir notaire de la famille ». La fonction notariale implique le devoir de silence…
L’enquête n’est que prétexte. Journaliste devenu écrivaine, Alix de Saint-André savoure de délivrer ici une leçon de professionnalisme à d’anciennes consœurs ayant colporté des ragots sans rien vérifier. Jacqueline Rémy pour sa nécrologie erronée dans l’Express, Christine Ockrent et Laure Adler pour leurs biographies respectives – la seconde étant toutefois moins égratignée que «la hyène Christine».
Du temps où Alix de Saint-André pratiquait l’interview, Françoise Giroud l’avait complimentée sur son style. Le présent ouvrage mérite-t-il le compliment ? Fait de phrases interminables à nombreux tiroirs, le livre n’est pas, c’est un euphémisme, d’une lecture facilitée. Les recours au copié-collé (échanges de mails) et aux guillemets (conversations retranscrites et documents reproduits) donnent à l’ouvrage un aspect brouillon et décousu, même s’ils procèdent d’une louable démarche d’authenticité. « Je n’avais aucune idée de la façon de raconter cette histoire », confie-t-elle d’ailleurs en toute fin d’opus. C’est dommage car le livre représente une somme impressionnante de recherches et pétille d’humour. Notamment quand l’auteur raille les us et travers de son milieu social ou qu’elle rend compte de son entrevue avec Madeleine Chapsal, la première épouse de JJSS.
Françoise Giroud a romancé sa vie à travers de nombreux ouvrages et nombre d’ouvrages ont été publiés sur elle. Ils fleurissent les vitrines des libraires en cette morne année de commémoration. Celui d’Alix de Saint-André apporte sa pierre à « l’édifice Giroud », son lot de révélations sur le traumatisme de ses années de pension (« l’humiliation fondamentale, la racine de l’écriture »), la méthodique organisation de son suicide, ses singuliers rapports avec sa lignée et même sur son appétit du sexe. Françoise Giroud n’avait nul besoin de lire un livre jusqu’au bout pour en rédiger une étincelante critique. La reproduction de la belle lettre qu’elle rédigea en fin de vie à son petit fils rabbin Aaron-Nicolas pour le rassurer sur la réalité de sa judéité mérite qu’on parvienne au terme de l’ouvrage qui lui est consacré. Sous l’écorce Giroud coulait la sève Françoise.
Apparemment cela n’est pas de l’eau tiède. Les additions cela se paie ou cela se publie. PHB